Rentrée politique: la balle au centre edit
En cette rentrée, le pouvoir macronien, malgré les graves crises qu’il a traversées, paraît plus solide qu’on aurait pu le croire il y a encore peu de temps. Cette situation inattendue s’explique de trois manières : la résistance du président lui-même, l’attraction que le gouvernement exerce sur une large partie de la droite modérée et les nombreuses faiblesses et divisions de ses adversaires politiques.
La satisfaction à l’égard d’Emmanuel Macron comme président de la République, si elle reste faible (36% en août selon l’IFOP), est cependant de 18 points supérieure à ce qu’elle était en décembre 2018, au moment de la crise des Gilets jaunes. Surtout, aucun leader n’émerge dans les différentes oppositions qui jouisse d’une plus grande crédibilité que Macron pour gouverner. Ainsi, lorsque le même institut demande en mai si les personnalités politiques de l’opposition feraient mieux ou moins bien que lui, la balance des réponses mieux/moins bien est : 20/22 pour Sarkozy, 20/41 pour Le Pen, 15/43 pour Mélenchon, 9/24 pour Baroin, 6/36 pour Jadot et 4/33 pour Faure. Un sondage de juin mesurant les intentions de vote à la prochaine élection présidentielle place Emmanuel Macron en tête avec 28% au premier tour, suivi de Marine Le Pen (27%), François Baroin et Jean-Luc Mélenchon (12%) Yannick Jadot (8%), Nicolas Dupont-Aignan (5%) et Olivier Faure (3%). Au second tour, Emmanuel Macron l’emporte avec 55%. Ces chiffres attestent que, malgré sa médiocre popularité, le président a tenu dans cette période très difficile.
Le pouvoir doit pour une large part sa capacité de résistance à l’attraction que le gouvernement exerce sur la droite modérée. Le tableau 1 montre que, phénomène rare, la cote des deux premiers ministres qui se sont succédés à Matignon est nettement supérieure à celle du président. 50% de bonnes opinions pour Edouard Philippe en juin et 48% pour Jean Castex en août contre 38 et 36% pour Emmanuel Macron. Cette différence s’explique surtout par le soutien des sympathisants des Républicains : 71% pour Philippe en juin (soit 29% de plus que pour Macron) et 62% pour Castex en août (soit 25% de plus).
Certes, Edouard Philippe a remarquablement géré la crise du coronavirus aux yeux de l’opinion. La composante personnelle de sa forte popularité est indéniable. Il est aujourd’hui l’homme politique le plus populaire de France. De même, il se peut que le nouveau premier ministre bénéficie d’un état de grâce. Mais les écarts de popularité des deux premiers ministres avec le président ne peuvent s’expliquer uniquement par des facteurs personnels comme le montre le tableau 2.
En effet, une enquête de juillet montre que Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances et ancien membre, lui aussi, des Républicains, est presqu’aussi populaire chez les sympathisants républicains que François Baroin, l’un des candidats possibles de ce parti à la prochaine élection présidentielle. Ces sympathisants ne considèrent donc pas que les anciens membres des Républicains ont trahi en acceptant de travailler avec Emmanuel Macron. Au contraire, ils semblent considérer que le gouvernement est le leur, alors qu’ils sont nettement moins nombreux à se déclarer satisfaits du président.
L’origine partisane des ministres qui ont quitté LR semble d’autant moins gêner les sympathisants de la République en marche qu’eux-mêmes ont en majorité une bonne opinion de François Baroin. Il faut noter en outre que ces sympathisants se situent aujourd’hui plus à droite sur une échelle gauche/droite qu’ils ne l’étaient en 2017 (note 6,7 contre 5,6)[1]. 54% d’entre eux se positionnent sur les quatre positions de droite de l’échelle, seulement 37% sur les trois positions centrales et 4% à gauche. Ceci explique sans doute que nombre d’entre eux soient ouverts à un rapprochement avec la droite modérée. Quant aux sympathisants de LR, ils se positionnent massivement à droite (87%). Ceci ne signifie donc pas que leur soutien aux ministres issus de leur parti s’explique par leur déplacement personnel vers le centre mais plutôt par la fait que ces ministres ne leur paraissent pas avoir notablement évolué politiquement en se ralliant au président. Ces données montrent ainsi que les sympathisants de ces deux partis constituent le socle politique du pouvoir actuel.
La force relative du pouvoir est due également aux divisions et aux faiblesses de ses adversaires. La gauche est non seulement très affaiblie électoralement (probablement moins de 30%) mais également irrémédiablement divisée. Les Verts et la France insoumise, qui s’affronteront inévitablement à l’élection présidentielle, ôteront à la gauche toute chance d’avoir un candidat au second tour. Quant au Parti socialiste, il est acculé à un choix impossible : disparaître en se fondant dans les écologistes ou présenter un candidat qui risque fort de ne pas passer la barre des 5% en 2022. La difficulté à opérer ce choix stratégique ne manquera pas, comme vient de le laisser penser la récente réunion de ce parti, de créer une nouvelle division, sans doute insurmontable, qui peut hâter sa fin.
À droite, la division entre les Républicains et le Rassemblement national est elle aussi irrémédiable. Le tableau 2 montre que les deux groupes de sympathisants ont une réaction de rejet à l’égard l’un de l’autre. La popularité de Baroin chez les sympathisants du Rassemblement national n’est que de 28% (elle est de 60% pour Philippe !) tandis que celle de Le Pen chez les sympathisants de LR n’est que de 27% (elle est de 89% pour Philippe !). Un candidat de LR à l’élection présidentielle serait placé à nouveau dans une position dangereuse entre une candidature du centre et une candidature de la droite populiste. En outre, il y a pléthore de candidats potentiels dans cet espace politique dont certains ont pris leur autonomie et aucun ne paraît s’imposer. L’organisation d’une primaire serait donc problématique et d’ailleurs, la direction de LR n’y semble pas favorable. L’avenir de ce parti est donc très incertain.
Dans cette situation, l’éventualité d’une repolarisation gauche/droite paraît impossible. Certes, nous sommes encore loin de l’élection présidentielle. Le pouvoir va devoir affronter une période particulièrement difficile en cette rentrée et il est impossible de prévoir la manière dont il la traversera. Mais, pour l’instant, la balle est au centre.
[1] Le sondage Ifop de juillet a demandé aux personnes interrogées de se classer sur un axe gauche/droite allant de 0 à 10, (gauche : 0 à 3 ; centre : 4 à 6 ; droite : 7 à 10). 13% se sont classés à gauche, 32% au centre et 39% à droite, 16% refusant de se classer.
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