Drapés dans le drapeau edit
Les Français sont-ils nationalistes ? A écouter les déclarations récentes des candidats à l'élection présidentielle, on pourrait le penser. Pourtant, si on exalte avec tant de force aujourd'hui la thématique de l'identité nationale, c'est qu'elle s'est singulièrement affaiblie.
Les enquêtes montrent que le sentiment d’appartenance collective est au plus bas en France, par rapport aux pays européens comparables : les Français ont peu confiance les uns dans les autres, ils se défient des principales institutions du pays, ils sont peu impliqués dans la vie associative, très faiblement syndiqués, terriblement méfiants à l’égard des partis politiques, ils ont tendance à se replier sur l’appartenance locale ou, pour les plus jeunes, sur la sociabilité et la culture de classe d’âge.
La France a la particularité d’être un vieux pays de tradition catholique où le mouvement de sécularisation a atteint un niveau inégalé chez ses voisins de même culture, comme l’Italie ou l’Espagne. Chez ces derniers, les valeurs traditionnelles restent un ciment de l’identité collective. Dans les pays protestants, aussi voire plus sécularisés que la France, le sentiment d’appartenance collective reste fort car l’individualisme protestant est un individualisme de conviction, nullement un individualisme social : comme l’expliquait Max Weber, manifester la gloire de Dieu dans le monde par des œuvres collectives était au fondement de l’éthos protestant, et même si la pratique religieuse est dorénavant très faible, cette culture collective s’est perpétuée.
La France a perdu le ciment moral de son identité catholique, et elle n’a jamais partagé la culture civique des pays protestants. L’idéal républicain lui-même s’est effrité avec les doutes émis sur la promotion sociale et le maintien des mécanismes de solidarité collective.
Ce qui réunit les Français aujourd’hui, ce sont plutôt des sentiments négatifs, notamment la méfiance à l’égard de l’économie de marché (d’après une enquête réalisée à l’été 2005 dans le monde, les Français sont les plus réticents à l’égard de l’économie de marché) et de la mondialisation.
Le non au référendum sur l’Europe fut le résultat de cet état d’esprit collectif. On se rappelle le pénible débat du président Chirac avec un panel de jeunes durant la campagne : le président exaltait l’idéal européen, les jeunes lui parlaient de leurs problèmes personnels, de leurs préoccupations locales. Le fossé était béant, pas seulement un fossé générationnel, mais également un fossé culturel – valeurs collectives contre repli identitaire. Dans un élan de sincérité inhabituel, le président confessait en direct à la fin de l’émission ne pas comprendre ces jeunes si frileux. Les candidats à l’élection présidentielle ont compris la leçon : le vent du grand large, le défi de l’ouverture au monde ne sont pas pour les Français. Ils ne veulent pas être réveillés, ils ont besoin d’être rassurés et l’idéal patriotique, même s’il est régressif, joue ce rôle de réassurance.
Les Français peinent aujourd’hui à trouver des raisons de vivre ensemble, si ce n’est dans l’attachement à un état antérieur de la société et de ses valeurs dont ils sentent pourtant confusément qu’il n’est plus adapté à l’état du monde. Les candidats n’ont pas choisi de confronter les Français à cette réalité pénible – il est vrai peu payante électoralement – mais plutôt de leur injecter l’anesthésiant des valeurs patriotiques.
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