Menaces sur la télévision publique ? edit
Nicolas Sarkozy envisage de supprimer la publicité sur les chaînes publiques : immédiatement la France se prend de passion pour ces mal aimées. En un tournemain France 2 et France 3 se sont muées en un patrimoine national, ultime rempart contre les invasions barbares de la télévision commerciale. La question de la place de la télévision publique dans le PAF est reposée. Que faut-il en penser ?
Avec un financement mixte de près de 2,8 milliards d’euros pour son pôle de télévision publique (toutes les données citées dans ce texte sont issues de l’Observatoire européen de l’audiovisuel), la France est en retrait par rapport à l’Allemagne (ARD et ZDF : 7,9 milliards d’euros) et la Grande-Bretagne (BBC home service : 4,4 milliards d’euros). Elle est même devancée par la RAI italienne (3,1 milliards d’euros, un budget qui comporte pour moitié des recettes commerciales). Par contre elle supplante la RTVE espagnole (moins de 1 milliard d’euros, grâce à quelques subventions et surtout de la publicité). Les télévisions publiques les plus richement dotées le sont grâce à une redevance élevée : 204 euros annuels en 2007 pour l’Allemagne, 135 euros pour la Grande-Bretagne, alors que pour la France le montant est de 116 euros, et pour l’Italie de 104 euros. La France est le seul pays où la redevance n’a pas été relevée au cours des dernières années : un comble pour un secteur comme la télévision, dont les coûts, en raison du star system et des luttes commerciales pour les exclusivités, subissent une inflation permanente.
En France les investissements publicitaires qui vont vers les grands médias sont infiniment plus faibles (10,5 milliards d’euros en 2006) qu’en Grande-Bretagne (20,3 milliards d’euros) ou en Allemagne (17,3 milliards d’euros) et sont voisins de ceux de l’Italie (8,7 milliards d’euros ), ou de l’Espagne (7 milliards). Cette pénurie relève de multiples causes : le poids du hors médias qui capte 2/3 des investissements publicitaires ; la réglementation publicitaire stricte ; mais aussi la relative atonie économique.
Dans un marché tendu, les 850 millions de recettes publicitaires captées par France 2 et France 3, soit un peu moins de 10 % des revenus publicitaires des grands médias, et environ un quart des investissements publicitaires vers la télévision, pose un enjeu de taille. À un moment où, de plus, les anciens médias affrontent la concurrence d’internet qui jouit aujourd’hui de la plus forte marge de progression publicitaire.
Le bassin financier dans lequel évoluent les grandes chaînes françaises est étroit comparé à celui de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. L’aisance financière des chaînes dans ces deux pays explique les forts investissements spontanés en matière de programmes, notamment dans le genre qui coûte cher à produire : la fiction. L’Allemagne en produit presque trois fois plus que la France, et la Grande-Bretagne deux fois plus : une production qui repose largement sur les télévisions publiques. La France encadre toutes les chaînes, publiques et privées, par de sévères obligations d’investissements pour obtenir des résultats substantiels, mais moindres, en production audiovisuelle.
Le malthusianisme financier à l’égard des télévisions , avec ses retombées dans le domaine de la production audiovisuelle, résulte aussi de choix culturels. Dans la tradition française, le 7e art bénéficie d’une aura, du noble statut de domaine artistique, que la « folle du logis » ne connaît pas. La politique en faveur du cinéma, qui met largement les chaînes à contribution, a toujours été privilégiée. La France produit plus de 200 longs métrages par an, un record absolu en Europe (en 2006 l’Italie a produit 117 films et la Grande-Bretagne 78).
Presque partout l’audience des chaînes publiques contrebalance celle du secteur privé. En 2006, elles captent 38 % de la part de marché de la télévision en France et en Espagne, 46 % en Grande-Bretagne, 45 % en Allemagne et 42 % en Italie. Leur influence s’érode un peu d’année en année, et elles touchent un public plus âgé que les chaînes commerciales. Mais on doit plutôt s’étonner de leur capacité de résistance dans un contexte de concurrence paroxystique.
Aucun grand pays européen n’ignore donc leur utilité sociale, n’envisage de les faire disparaître, ou d’en réduire le périmètre. Parallèlement, tous les gouvernements sont soumis à la surveillance de la Communauté européenne et les opérateurs publics doivent naviguer entre les missions de service public qui justifient leur financement et les orientations culturelles qu’impriment la télévision commerciale (les frivolités ou transgressions du médiatico-publicitaire) et internet (le culte de l’interactivité et de l’expression de soi). Ajoutons pour souligner la complexité de leur tâche que la télévision, média dominant, est devenue aussi un outil de décompression, une fonction sociale de nature quasi psychologique qui s’ajoute à celle de spectacle culturel.
La Commission Copé compensera-t-elle la manne publicitaire perdue ? La télévision publique en France, on l’a vu, bénéficie d’un financement modeste comparé à l’Allemagne ou à la Grande-Bretagne. En réduisant ses ressources, les pouvoirs publics français prendraient le risque de rompre avec une tradition européenne solidement établie. On imagine mal les membres de cette Commission se révélant soudainement des zélateurs du futile ou des fanatiques de la postmodernité. Le pire n’est pas à exclure. Mais est-ce sérieusement envisageable dans un pays qui ne manque jamais l’occasion de brandir l’oriflamme de l’exception culturelle ?
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