Rémy Pflimlin : le CSA l’aurait nommé ! edit
Le 8 janvier 2008, on applaudissait Nicolas Sarkozy. Créer une BBC à la française, la gauche en avait rêvé, la droite l’avait fait. Bravo l’artiste. Deux ans plus tard, le flamboyant scénario s’est transformé en un feuilleton qui vient de prendre fin avec la nomination de Rémy Pflimlin à la tête de France-Télévisions. Ouf !
Lorsque le CSA nommait le Président des chaînes publiques, régnait un suspense, pas une panique. Dans le climat de l’affaire Bettencourt, cette nomination devenait un grenade dégoupillée prête à exploser en cas de désignation d’un personnage ami et à contre-emploi. Rémy Pflimlin réunit toutes les qualités : expertise, connaissance de la maison, tempérament consensuel. Pas une seconde, on imagine Edwy Plenel lançant ses limiers à ses trousses. C’est clair : Rémy Pflimlin, le CSA l’aurait choisi ! Un happy end en trois épisodes.
Le 25 juin 2008, lors de la remise du rapport Copé, Nicolas Sarkozy annonce que désormais le président de France-Télévisions sera nommé par le président de la République. Sidération !
Après des décennies de mainmise de l’Etat sur l’ORTF, la décision de confier à une Haute Autorité indépendante (loi du 29 juillet 1982) la nomination du président de la télévision publique avait été saluée comme une avancée des libertés publiques. Le retour en arrière acté par la loi Audiovisuel, curieusement, a été entériné en 2009 sans grande difficulté par le Conseil Constitutionnel – qui s’est satisfait de l’avis conforme demandé au CSA et à la Commission des affaires culturelles des deux chambres. Pourtant, une nomination soumise à la discrétion du président dans un secteur aussi crucial pour la démocratie heurte l’esprit citoyen, surtout dans le contexte français qui n’a pas hérité d’une tradition d’indépendance des médias publics comme en Grande-Bretagne, par exemple. La nomination par les neuf membres du CSA n’était sans doute pas parfaite : elle occasionnait certes des jeux d’influence, et l’instance de régulation ne pouvait, à l’évidence, choisir un candidat sur lequel aurait reposé un véto élyséen ou de la majorité parlementaire – l’Etat est l’actionnaire des chaînes publiques. Simultanément elle était menée selon une procédure encadrée (dépôt de candidatures, examen des candidatures, auditions, débat et vote) et assurait une distance entre le pouvoir politique et le dirigeant de la télévision publique.
La décision de Nicolas Sarkozy a soulevé une intense polémique dans l’opinion, réactivant un penchant bien français : celui de sans cesse suspecter l’intrusion du politique derrière l’information télévisée. Pourquoi cette hantise de vouloir contrôler les médias ? Un conseiller aurait pu lui expliquer, une cargaison d’études à l’appui, que dans un pays démocratique, en raison du droit de la presse, du droit de l’information et de la culture « contre-pouvoir » des journalistes, cette idée relève du pur fantasme – autant vouloir contrôler l’eau qui s’échappe de la bouteille brisée. Personne ne l’a fait. C’est dire l’état de solitude de nos Présidents.
Deuxième épisode : fin janvier 2010, la Commission européenne déclare que la taxe imposée par la France au secteur des télécoms pour financer l'audiovisuel public est « une charge administrative incompatible avec le droit européen ». C’est un nouveau coup dur pour France-Télévisions. Les entreprises de téléphonie avaient bien sûr protesté lorsque Nicolas Sarkozy avait avancé l’idée d’une telle taxe pour compenser la perte des recettes publicitaires. Mais elles l’avaient fait avec prudence : l’esprit du droit français vise à faire participer à la création les éditeurs distribuant des contenus audiovisuels sur Internet (depuis 2003 une taxe COSIP de 2 % sur les recettes pèse sur les services de vidéo à la demande), et les opérateurs de télécoms reçoivent avec malaise la pression des pouvoirs publics. Moyennant quoi, ils ne souhaitent pas trop attirer l’attention sur eux, d’autant plus que leurs revenus sont spectaculaires comparés à ceux des industries de contenus – le rapport est de 1 à 8 entre le chiffre d’affaires des trois premiers groupes français de télévision privée et celui des trois premiers groupes français de télécommunications. Ils préfèrent donc les actions juridiques. Comme ils en avaient évoqué la possibilité, ils ont introduit une plainte auprès de la Commission européenne, instance qui leur a toujours été favorable. Cette plainte a prospéré, la taxe est aujourd’hui en sursis.
L’issue de ce combat juridique est difficile à prévoir. La Commissaire européenne en charge des médias et de la société de l’information, Viviane Reding, s’est prononcée à plusieurs reprises contre cette taxe et la jurisprudence européenne est en faveur des télécoms (arrêt Albacom de 2003). En jeu : un montant situé entre 300 et 350 millions d’euros annuels que les opérateurs de télécoms versent à France-Télévisions depuis mars 2009. Juillet 2010 : la Commission européenne n’a toujours pas pris de décision.
Troisième épisode : début février 2010, France-Télévisions annonce qu’elle vient d’entrer en négociation exclusive avec Lov (la société de Stéphane Courbit) et Publicis pour vendre 70 % de sa régie publicitaire. Ce projet de cession est difficilement compréhensible – mais il a reçu l’aval de tous les personnels de la Régie. Certes, après novembre 2011, la publicité devrait disparaître complètement des antennes nationales, mais elle demeurera sur les décrochages locaux ; en outre, le parrainage continuera – c’est une source de recettes de plus en plus prisée dans les médias, car elle agresse moins le spectateur. De plus, le groupe France-Télévisions, destiné à se muer en média global, va développer des sites Internet, et ceux-ci ne sont pas interdits de publicité. L’opération de vente à des entrepreneurs privés prend alors l’allure d’un mélange des genres du plus mauvais effet. Le fait que Alain Minc, qui figure parmi les éminents visiteurs du soir de l’Elysée, conseille Stéphane Courbit pour Financière Lov, société dont il détient 3 % (cette société serait différente de celle qui est destinée à prendre des parts dans la régie publicitaire, affirment les protagonistes) n’arrange rien au tableau. Finalement, les tractations tournent court. Le 13 avril 2010, le courageux Patrick de Carolis fait voter en conseil d'administration de France-Télévisions la suspension de la privatisation de la régie publicitaire du groupe.
Parallèlement, les incertitudes sur l’avenir de la taxe Télécoms incitent à la circonspection : France-Télévisions pourrait-elle conserver des recettes publicitaires dans la journée – son régime serait alors proche de celui des télévisions publiques allemandes ? Certains parlementaires y semblent favorables.
La vérité, c’est que les dirigeants de France-Télévisions, Patrick de Carolis en premier, n’avaient pas mérité une telle série de malheurs. Le plus surprenant, c’est que la grande presse vient juste de le découvrir. Dommage, elle aurait dû chanter les louanges de France-Télévisions plus tôt, au lieu de répéter en boucle que les télévisions publiques sont un décalque des chaines commerciales.
Depuis une dizaine d’années, en effet, et bien avant que le gouvernement Sarkozy se lance dans le vaste chamboulement, les télévisions publiques avaient redressé leur image. Après l’avènement des réseaux privés, elles avaient subi une mauvaise passe. Confrontées à la concurrence triomphante de TF1, qui « cartonnait » avec les soirées de foot et ses séries à héros récurrents, elles avaient été tentées par le suivisme et s’étaient essoufflées dans une course à l’audience. Leur première chance, ce fut la loi de 2000 qui portait à cinq ans la durée des mandats du président et regroupait les diverses chaînes sous une holding, ce qui a facilité l’harmonisation des grilles et les synergies. L’autre chance a été l’engouement des chaînes privées pour la téléréalité (Loft Story, Star Academy, la télé coaching), une voie que la télévision publique n’a pas suivie. À partir de là, France-Télévisions marque avantageusement sa différence : budgets en augmentation pour des fictions, confiance accordée à des auteurs de fictions unitaires ou de mini-séries, engagement dans une politique de documentaire et de magazines culturels, effort accru en faveur de la production d’œuvres patrimoniales, rajeunissement des stars de l’info (arrivée de David Pujadas à France 2 en 2001 et de Marie Drucker à France 3 en 2005). Et pendant que les chaînes privées s’embourbent dans des magazines plus ou moins racoleurs (merci Endemol, l’ancienne société de Stéphane Courbit), et que, à partir de 2007-2008, elles essuient de plein fouet la concurrence des chaînes de la TNT la télévision publique gagne en crédibilité.
Rémy Pflimlin rêvait sans doute (secrètement) de devenir président de France-Télévisions. On le comprend. La tâche est exaltante, presque un projet de civilisation. Face à la profusion des réseaux commerciaux et des sites Web, la télévision publique, plus que jamais, a pour mission de s’ériger en référence pour la culture et l’information. Simultanément, aucune institution de la République n’est autant soumise à l’obsession et aux délires des politiques. Tant pis pour lui.
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