BPI : une solution en quête de problèmes edit
Le projet de création d’une Banque publique d’investissement (BPI) regroupant dans un premier temps des organes de crédit et d’investissement, nationaux et régionaux, et dans un deuxième temps des guichets d’assurance et d’aide à l’export est le type même de la solution en quête d’un problème. Avec la BPI, on prétend créer du neuf avec de l’existant sans moyens supplémentaires pour remplir des missions contradictoires avec des acteurs qui poursuivront leurs logiques spécifiques. Avec la BPI régionalisée réclamée par les hiérarques régionaux du PS, on risque fort de créer en France l’équivalent des Landesbanken et des Cajas au moment où elles s’effondrent dans leurs pays respectifs. Enfin avec l’apport programmé d’Ubifrance et de la Coface à la BPI régionalisée, on s’apprête à émietter un appareil de soutien à l’exportation déjà sous-dimensionné alors que la France voit ses parts de marché à l’export s’effondrer.
Pour comprendre comment le projet de BPI est devenu le point central du programme Hollande en matière de compétitivité et de politique industrielle et pourquoi loin de contester ce projet Sarkozy s’est vanté de l’avoir réalisé avant l’heure sous un autre nom, il faut revenir à la question des PME.
Le diagnostic a été cent fois fait, la France souffre d’un manque de grosses PME innovantes et exportatrices. Une comparaison avec l’Allemagne montre qu’à taille comparable les entreprises françaises ont des taux d’autofinancement plus faibles, des fonds propres plus faibles et un niveau d’endettement plus élevé. De plus la situation s’aggrave avec le temps. Une telle situation s’explique par bien des facteurs : une spécialisation inadaptée, la faiblesse des taux de marge, les stratégies patrimoniales du capital familial français… mais une explication a progressivement pris le dessus : les difficultés de financement des PME.
Pour promouvoir la croissance, les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 20 ans se sont convaincus qu’il fallait améliorer le financement de l’innovation (ANVAR-OSEO), faciliter l’accès au crédit privé en mettant en place des garanties (OSEO-BDPME), apporter des fonds propres (FSE-CDE entreprises), inciter à l’investissement dans les PME (ISF-PME) développer le capital risque (Grand Emprunt)…
La première mission donnée à la BPI est donc de remédier aux difficultés de financement des PME, des ETI et des acteurs de l’économie sociale et solidaire. La deuxième mission assignée par le gouvernement est d’aider les restructurations des PME menacées de disparition et de contribuer à la réindustrialisation. Enfin la troisième mission est de simplifier l’accès aux financements publics en proposant un guichet unique en région. La volonté de réunir ces outils dans une maison commune, véritable guichet unique de procédures jusque-là éclatées entre une myriade d’acteurs régionaux et nationaux, est décisive dans ce projet.
Mais sitôt les objectifs énoncés, les contradictions surgissent. S’agit-il d’améliorer le financement des PME en rationalisant une offre publique éclatée et redondante, ou de promouvoir à travers un financement plus adapté une politique industrielle ? En d’autres termes l’objectif est-il de régler un problème général de financement des entreprises (logique horizontale) ou d’induire des choix sectoriels par des financements ciblés (logique verticale) ? Si l’on vise à restructurer les entreprises en difficulté et à réindustrialiser le pays, autre objectif assigné à la BPI, peut-on en même temps prétendre que le nouvel acteur financier agira « en investisseur avisé » respectant les normes communautaires ?
Parmi les entreprises appelées à être fusionnées figure OSEO qui, à la satisfaction générale, cofinance avec les banques privées les PME en développement à travers ses fonds de garantie. La nouvelle banque publique va-t-elle continuer à cofinancer avec le privé ou va-t-elle se recentrer sur le seul financement public direct et exclusif ?
La multiplicité actuelle des acteurs intervenant sur le terrain du financement des PME a une vertu, elle évite les conflits d’intérêt et offre des murailles de Chine naturelles entre ceux qui financent les fonds propres et ceux qui financent l’exploitation. Demain avec une banque unique le conflit d’intérêts sera patent. La BPI est aujourd’hui conçue comme une structure de coordination (création d’une holding) entre entités juridiques existantes et maintenues, mais comment alors obtenir les bénéfices attendus de l’intégration et de la création d’un guichet unique?
Enfin la BPI, pour ses concepteurs, devrait embarquer les fonds régionaux qui interviennent souvent sur les mêmes dossiers que les fonds nationaux. Mais là où Bercy voit les acteurs régionaux comme une partie prenante parmi d’autres appelés tout au plus à figurer dans un comite d’orientation de la future BPI, les hiérarques socialistes régionaux voient la BPI comme une fédération lâche de banques régionales dirigées par les élus locaux. En somme, les Rousset et Auxiette rêvent à haute voix de réinventer les Landesbanken et les Cajas au moment où le modèle s’effondre en Allemagne et en Espagne. L’idée que seuls les élus de terrain peuvent piloter le sauvetage des entreprises en difficulté ou promouvoir les entreprises innovantes ou aider à l’exportation en disposant, à leur main, d’un outil financier propre et donc en institutionnalisant la confusion entre politique économie et finance montre, que ces grands élus n’ont rien appris et rien compris.
La somme de ces contradictions et le faible bénéfice apparent de cette architecture financière sans moyens nouveaux aurait dû conduire à abandonner le projet. Tel ne sera pas le cas, l’objectif sera plutôt de réconcilier ces orientations contradictoires en prévoyant des dispositifs spécifiques différenciés au sein de l’institution unitaire. Ainsi la future BPI fera des financements horizontaux et verticaux, généraux et sectoriels, elle devra donc se conformer au régime des aides d’État et notifier à Bruxelles l’ensemble de ses dispositifs d’intervention. L’entreprise, héritant d’OSEO les procédures de garantie, continuera à faire du cofinancement avec les banques privées mais développera aussi des prêts directs. Enfin la nouvelle banque devrait agir en investisseur avisé et en banquier classique ce qui la conduira à élever des murailles de Chine internes. Au total l’objectif de la BPI semble être de réinventer en son sein la diversité aujourd’hui existante qu’elle détruit du fait de sa création. Le Père Ubu n’aurait pas rêvé mieux.
Pourquoi s’acharner à créer, dans l’urgence, un outil dont l’utilité n’est pas évidente, dont les risques de réalisation sont considérables et qui suscite une bataille intense entre Bercy et les grands élus ? La première raison tient à la fétichisation des engagements de campagne. La BPI est la solution valise pour régler trois problèmes : le financement des PME, la nouvelle politique industrielle, la décentralisation économique. Que la solution soit inadaptée importe peu au regard du respect formel d’un engagement. La deuxième raison tient à un problème organisationnel réel, celui de la stratification de la redondance et de la prolifération des guichets d’aide aux PME. Des solutions simples étaient envisageables, mais elles n’avaient pas la grandeur d’une politique nouvelle. La troisième raison tient à l’impasse du millefeuille de la gouvernance territoriale : face à un État impécunieux, les régions veulent prendre le pouvoir en matière de développement économique. La BPI leur fournit l’occasion d’affirmer cette prétention nouvelle.
Les grands arbitrages n’ayant pas été encore rendus, on peut encore éviter les trois erreurs majeures à la base du projet actuel : une fusion pour rien, un éclatement des outils de promotion du commerce extérieur et le pouvoir donné aux hiérarques régionaux sur des banques régionales.
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