Fausses nouvelles: la riposte s'organise edit
Le tragique incendie de Notre-Dame réunissait toutes les conditions pour déclencher un flot de fausses nouvelles. Il s’agissait d’un événement spectaculaire, concernant un édifice religieux célèbre dans le monde entier et l’origine du feu n’était pas évidente. On a donc eu droit une fois de plus à une multitude d’infox ce qui rend encore plus urgente la nécessité de prendre des mesures pour maitriser les contenus des plateformes numériques. En Europe, les pouvoirs publics se sont enfin décidés à agir après une trop longue période de passivité. Des projets sont en cours d’élaboration. Il reste à apprécier leur efficacité et leur influence sur d’autres parties du monde.
France 24 a dressé sur son site un panorama instructif des fake news suscités par l’incendie de Notre Dame. Il montre que dès le 15 au soir des sites reprenant faussement le logo de médias connus comme CNN ou Buzzfeed ont répandu des rumeurs tendant à accréditer l’idée d’un attentat terroriste provoqué par des réseaux islamistes. De même, une photo diffusée par le site russe Sputnik a été interprétée par les réseaux sociaux comme montrant deux personnes supposées être islamistes riant devant l’incendie. La photo devenait virale quand Sputnik a démenti cette interprétation.
La puissance des réseaux complotistes
C’est aux États-Unis, patrie des mouvements complotistes, que ces dérives ont atteint la plus grande ampleur. De nombreux sites, repris même brièvement par Twitter ou YouTube, ont ressorti l’hypothèse de l’attentat islamiste en utilisant des photos ou des vidéos truquées. La plateforme YouTube a elle-même été victime de ses algorithmes quand de nombreux internautes ont constaté que les images de la cathédrale en feu étaient accompagnées de références aux attentats du 11 septembre 2001 ce qui pouvait être interprété comme l’admission que dans le cas de Notre-Dame il s’agissait aussi d’un acte terroriste. Le réseau a assez vite rectifié cette présentation erronée mais cela n’a pas empêché ces images de circuler des dizaines de milliers de fois.
Cet épisode venant après de nombreux autres montre la porosité des réseaux sociaux, pénétrés en permanence par des acteurs venus des bas-fonds d’Internet et qui savent que leur présence même limitée à quelques heures sur Facebook ou Twitter leur apportera une vaste notoriété se chiffrant souvent à des centaines de milliers de contacts. Face à ces défis quotidiens, les plateformes multiplient les parades, recrutent des dizaines de milliers de médiateurs, remanient fréquemment leurs algorithmes sans pour autant offrir des résultats très convaincants. Le fait que Facebook n’a pu arrêter la vidéo de l’assassin des fidèles des mosquées de Christchurch qu’au bout de 17 minutes illustre cette relative impuissance.
La réaction des pouvoirs publics est parfois de bloquer l’accès aux réseaux sociaux. C’est ce que vient de faire le gouvernement du Sri Lanka après les attentats de Pâques. Il a immédiatement interdit l’accès à Facebook et à What’sApp. Cette décision brutale, critiquée par les associations de journalistes ne peut pas cependant constituer un remède sur le long terme.
La réaction des principaux pays européens
En Europe, les trois pays les plus concernés, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, ont adopté une démarche différente et commencé à travailler sur des législations destinées à proposer des solutions à un phénomène aussi massif que récent. Ils s’efforcent de surmonter un dilemme qu’affrontent toutes les grandes démocraties : comment choisir entre deux options aussi discutables l’une que l’autre, soit l’autorégulation opérée par les plateformes, soit la censure imposée par les gouvernements.
L’Allemagne a montré la voie en promulguant en janvier 2018 une loi qui sanctionne sévèrement, par des amendes pouvant s’élever à 50 millions d’euros, la diffusion sur les réseaux sociaux d’appels à la haine. Les opérateurs doivent supprimer ces messages dans les vingt-quatre heures sous peine de poursuites et donc de sanctions.
Le gouvernement britannique a annoncé en mars dernier qu’il mettait en chantier un projet de loi s’inspirant du droit allemand et mettant un terme à des errements qui ont été particulièrement flagrants pendant la campagne du référendum sur le Brexit. L’un des objectifs poursuivis est de faire la lumière sur le financement de campagnes de propagande sur Facebook, YouTube ou Instagram.
En France, la députée LREM de Paris Laetitia Avia a déposé, en accord avec l’Elysée, une proposition de loi allant dans le même sens. Ce texte, qui doit être voté d’ici la fin de 2019, autorise toute personne concernée à demander la suppression de messages racistes, homophobes, haineux. Les réseaux sociaux, qui doivent désigner un référent français, ont vingt-quatre heures pour obtempérer. Sinon, ils encourent le risque de sanctions, qui peuvent atteindre 4% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise concernée. Le CSA est chargé de l’application de ces décisions.
La mise en place de ces dispositifs législatifs en Europe est d’autant plus importante qu’il n’y a aucune possibilité de faire voter une réglementation comparable aux États-Unis. Comme l’observe l’éditorialiste du New York Times Sarah Jiong, le premier amendement qui protège de manière très stricte la liberté d’expression interdit toute forme de contrôle des contenus des réseaux sociaux. Même les plaintes pour diffamation sont rarement acceptées par les juges. On ne peut, dans ces conditions, qu’espérer que les dirigeants des grandes plateformes américaines prendront comme référence le droit européen afin d’éviter des distorsions entre les deux rives de l’Atlantique.
Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a bien senti le danger. Dans un article récent publié dans le Washington Post et dans plusieurs journaux européens (le JDD en France), il reconnaît la nécessité d’une action gouvernementale mais préconise la mise en place d’une organisation mondiale chargée de ce contrôle. Il s’agit évidemment d’un vœu pieux tant il parait impossible d’accorder les volontés de pays aussi différents que la Chine, la Russie, les États-Unis ou les principaux États européens.
Comment sauver la liberté d’informer
Le fait que désormais une grande partie de l’information mondiale passe par des réseaux sociaux mais aussi, de manière croissante, par des messageries cryptées comme WhatsApp qui acceptent des boucles de plusieurs milliers de participants et bénéficient de la protection du cryptage. Cette situation amène à poser dans des termes nouveaux la question fondamentale en démocratie de la liberté de la presse.
La seule voie de sortie est sans doute de s’inspirer du droit de la presse. Celui-ci, en France notamment, confie la responsabilité au juge, en cas de plaintes contre les journaux. Il pourrait en être de même pour les services numériques comme en sont désormais convaincus de nombreux avocats. La proposition de loi de Mme Avia constitue un progrès mais devra sans doute être modifiée et complétée avant son vote final par le Parlement.
Il est évident qu’on ne pourra jamais mettre un terme à la circulation massive de fausses nouvelles et de messages de haine. On peut en revanche en limiter le flot et sanctionner un certain nombre de propagateurs de ces informations. Par-delà les législations nationales, c’est une tâche à laquelle devraient s’attacher le nouveau Parlement et la nouvelle Commission européenne.
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