Fusion des régions, un échec prévisible edit
Dans un récent rapport, la Cour des Comptes étrille la fusion des régions engagée par Hollande en 2016. Alors que le gouvernement avait annoncé des économies de l’ordre de 10 milliards d’euros « à moyen terme », on observe des surcoûts qui s’élèvent plutôt à 50 millions d’euros annuels – surtout dus à l’augmentation des salaires et indemnités d’élus. À chaque fois, l’alignement se fit par le haut.
Cet effet était inévitable, mais aurait dû être plus que compensé par des gains d’efficience dus à la diminution des effectifs, et leur regroupement dans un seul siège régional. Mais il n’y a pas eu de diminution d’effectifs ; et ni les fonctionnaires territoriaux ni les élus locaux ne voulaient des regroupements, qui furent donc très limités – ou compensés par le recrutement de nouveaux agents. On s’est parfois retrouvé avec des régions doublonnées de sous-régions intermédiaires. Mais cela était prévisible, car ces régions étaient trop grandes. Surtout, les économies annoncées reposaient sur l’hypothèse d’une suppression des départements pour mettre fin aux doublons. Mais avec des régions de cette taille-là, elles étaient beaucoup trop éloignées des territoires périphériques pour qu’on puisse supprimer les départements – il y aurait eu un vide bien trop grand. Cette réforme a donc entraÎné un surcoût important au départ – les déménagements – sans aucune économie ni efficience à long terme.
Les réformes territoriales ont eu un autre effet délétère : elles ne sont pas complètement étrangères à la crise des Gilets Jaunes. Même si des antennes ont souvent été maintenues dans les anciennes régions, le regroupement des services de l’État et des régions dans les métropoles est plus ancien. Avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) initiée sous Sarkozy, l’État a réorganisé un certain nombre de services déconcentrés autour de l’échelon régional. Si certaines antennes départementales ont été gardées, elles donnent l’impression – réelle ou ressentie – d’être en sursis. De plus, alors que la fusion des régions et la régionalisation des services de l’État ont déplacé la prise de décision vers des métropoles toujours plus distantes des territoires, ces métropoles ont en parallèle chercher à s’affranchir de ces territoires. À Lyon ou ailleurs, les métropoles grignotent les compétences des départements. Sûrement un gain d’efficacité pour la métropole, mais le reste du département se retrouve dépecé et en partie privé de son moteur économique et fiscal. Ce retrait de l’État vers des métropoles lointaines et la prise d’indépendance de ces métropoles nourrissent un sentiment d’abandon.
Pour faire de vraies économies, la question de la fusion des départements et des régions continue de se poser. Il y a un certain consensus à l’idée de les rapprocher, voire de les fusionner. Les élus ne coûtent pas si cher, mais les Français ont l’impression qu’il y en a trop, et qu’ils ne servent à rien. Le vrai problème, c’est que les compétences se chevauchent, ce qui multiplie les coûts de fonctionnement (chaque dossier de subvention est examiné par différentes collectivités). De plus, cela dilue les responsabilités, car il est facile de se défausser sur les autres échelons. Même au niveau de l’action de l’État, il y a des déperditions d’énergie entre préfets de régions et départements, et sous-préfets. Mais la première question à se poser, c’est celle de l’échelon et de sa taille. La fusion des départements et des régions est un serpent de mer, mais elle ne pourra se faire qu’à une taille raisonnable. Organiser le ramassage scolaire de la Lozère depuis Toulouse, ou les routes départementales des Ardennes depuis Strasbourg, ça ne pourra jamais marcher. Il faut aussi une cohérence culturelle des territoires.
Michel Debré avait déjà cerné ces problèmes en 1984 : « Je m’interroge : la région est trop vaste, le département sinon toujours, en tout cas fréquemment inadapté. La région est un risque grave pour l’État, le département est, dans de trop nombreux cas, une circonscription inapte à assurer une action économique cohérente. Ne peut-on trouver une solution intermédiaire ? » Les régions n’ont pas détruit l’État, mais le diagnostic reste valable. En 1946, dans La Mort de l’État républicain, il avait d’ailleurs proposé la création de 47 grands départements. Sans forcément reprendre son découpage, il y a des évidences : l’Alsace (plus peut-être la Moselle), la Franche-Comté, la Basse-Normandie, la Picardie, le Limousin, les deux Savoie, les deux Charentes… Des territoires intermédiaires, culturellement et économiquement assez homogènes, centrés autour d’une métropole ou d’une grande ville, c’est le bon équilibre entre proximité et efficacité. Les sous-préfectures pourraient rester un sous-échelon de ces départements, comme les districts (Regierungsbezirk) allemands : ils n’ont pas la personnalité morale et sont gérés directement par le gouvernement des Länder. Ces grands départements ou petites régions seraient également plus adaptés pour les métropoles. En termes de poids politique, économique et démographique, il y aurait un meilleur équilibre territoire-métropole.
Cette échelle serait également bien adaptée pour de nombreuses administrations. Cours d’appel, tribunaux administratifs, CHU, villes universitaires : il y en a à chaque fois entre 30 et 50 en France. Les petits CHU, les petites universités n’ont pas un rayonnement national, mais ils assurent un service de proximité. Chacun des gros départements aurait donc au moins une université, une Cour d’appel, un CHU, une préfecture, une ou plusieurs gares ferroviaires bien desservies, et un aéroport. Regrouper les départements par 2 ou 3 reviendrait souvent à recréer les provinces de l’Ancien Régime, abolies à la Révolution française, mais pourrait symboliser une égalité républicaine renouvelée entre territoires. Car ces anciennes provinces ont souvent gardé une identité culturelle, et parfois une homogénéité économique et géographique assez forte. Cela en fait le bon échelon d’administration déconcentrée, et évite que chaque bout de territoire tire dans les pattes de l’autre à cause d’intérêts divergents.
Pour donner plus de poids aux régions, c’est sur les compétences et non la taille qu’il faudrait jouer. Pour se rapprocher de nos voisins et donner de nouvelles compétences aux collectivités locales, il y a deux pistes évidentes : l’éducation et la sécurité, qui ne sont pas des compétences régaliennes[1] (sauf éventuellement les CRS). Sans forcément leur laisser la gestion directe de tels effectifs, on pourrait imaginer que les collectivités locales soient libres de définir leurs priorités locales pour l’école et la police (dans une certaine limite). L’État fournirait le budget, et le préfet/recteur mettrait en œuvre la politique décidée par les élus locaux. L’émulation et l’expérimentation stimuleraient l’innovation. Libre aux collectivités locales de réorienter une part des fonds d’une mission vers une autre, ou d’augmenter les impôts. Recruter les enseignants et les policiers par région et non au niveau national serait aussi la garantie que l’on affecte quelque part des gens prêts à y vivre, qui ne cherchent pas à être mutés à l’autre bout du pays après quelques années. Cette stabilité améliorerait la qualité des services publics.
[1] Chez la plupart de nos voisins, le maintien de l’ordre est décentralisé, comme il l’était en France avant 1941.
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