Le programme économique du NFP est-il crédible? edit

4 septembre 2024

Le programme économique du Nouveau Front Populaire, tel qu’annoncé durant la campagne législative, est-il chiffré, modéré et progressiste, ou au contraire fantaisiste, irréaliste et inapplicable ? Et que penser du soutien appuyé dont il a bénéficié de la part de certains économistes de renom ?

Une première façon de répondre à cette question est de constater que la partie économique et fiscale du programme de coalition du NFP est la transposition presqu’identique des idées portées par LFI depuis plusieurs années, et pas un compromis social-démocrate entre le centre-gauche et la gauche de rupture. À cela deux raisons. Ne pensant pas pouvoir gouverner – en tout cas pas avec la seule coalition du NFP – les socialistes étaient prêts à beaucoup de concessions économiques en échange de garanties de la part des Insoumis. Réaffirmation du soutien à l’Ukraine, lutte contre l’antisémitisme, et refus de la violence et des outrances verbales en politique, puisque cela ne va pas de soi chez leurs partenaires. Il est permis d’être sceptique du respect réel de ces principes depuis bientôt deux mois[1], au vu des provocations répétées et calculées de certains parlementaires insoumis pour tester l’union, mais cela peut expliquer pourquoi les socialistes et écologistes ont fait ces concessions économiques.

L’autre raison pour laquelle les socialistes ont repris à leur compte le programme économique de LFI, c’est qu’ils n’en ont guère eux-mêmes. Ils rejettent bien sûr la politique menée par Emmanuel Macron depuis sept ans, et pour certains la politique de l’offre menée par François Hollande entre 2014 et 2017 – avec laquelle le macronisme marque une continuité sociale-libérale dans la majorité des domaines[2]. Mais depuis sept ans, les socialistes n’ont pas été capables de porter une ligne se démarquant à la fois du macronisme et du mélenchonisme. Ils en sont donc réduits à une stratégie de « Mélenchon light » : le même programme économique que celui des insoumis, sans les dérapages et outrances verbales.

Le soutien de nombreux économistes ?

Ce programme économique n’a-t-il pas reçu l’approbation de nombreux économistes et think tanks ? Ici, il faut distinguer deux types de soutiens. Une bonne partie des économistes de gauche ayant soutenu ce programme peuvent être rattachés à la gauche française keynésienne. Leurs arguments ne sont pas forcément neufs, mais ils sont cohérents. Ils savent qu’une hausse des cotisations sociales pour financer l’abrogation de la réforme des retraites pèsera in fine sur le revenu des salariés, mais ils estiment que c’est un choix démocratique que les Français font en connaissance de cause. Augmenter la redistribution ne se fera pas uniquement aux dépens des 1% ou 0,1% des Français les plus riches, mais demandera aussi un effort à la classe moyenne supérieure, dans les deux ou trois derniers déciles de revenus. Ils invoquent l’exemple américain récent pour promouvoir une politique budgétaire plus expansive ; on pourrait débattre de la soutenabilité à long terme du modèle américain ou de sa transposabilité à la France au sein de l’union monétaire mais ce sont des arguments sérieux[3]. Bref, ces économistes de gauche keynésiens veulent convaincre les Français de renoncer à un peu de pouvoir d’achat, en échange de plus d’investissements publics, de fonctionnaires et de dépenses socialisées. Position étonnante quand les Français réclament plus de pouvoir d’achat, mais tout à fait défendable.

En termes budgétaires et fiscaux il y avait donc une fidélité à l’esprit d’un programme orienté à gauche, davantage que la validation de chaque mesure fiscale proposée. Cette fidélité à la gauche s’est parfois doublée de l’autocensure voire de l’intimidation des économistes peu convaincus ou récalcitrants, au nom de la lutte contre le Rassemblement National et de leur responsabilité d’intellectuels. Pour avoir qualifié le programme du NFP de « plus dangereux que celui du RN », Olivier Blanchard et d’autres ont été largement pris à partie et insultés sur Twitter et ailleurs. D’autres ont attendu le second tour des législatives pour enfin oser donner leur avis et nuancer le soutien qu’ils avaient initialement apporté[4].

Le programme du NFP a par contre reçu un soutien beaucoup plus franc d’autres économistes, comme Thomas Piketty, Julia Cagé ou Gabriel Zucman, des ONG comme Oxfam ou Attac, et des think tanks (Institut Rousseau, etc.), dont ce programme reprenait largement les idées de taxation des riches et des multinationales. Contrairement aux économistes keynésiens classiques mentionnés plus haut, cette gauche « PROZAC » (en prenant les initiales des économistes et associations mentionnés supra) estime possible – et nécessaire – de faire porter toute la hausse des dépenses publiques et sociales sur le 1% ou 0,1% des plus riches. C’est donc une vision résolument plus redistributive et populiste. Mais malgré le très grand sérieux de certains travaux de recherche de Thomas Piketty et de ses coauteurs[5], cela ne rend nullement inattaquable d’autres de leurs travaux, et leurs propositions économiques. Il y a par ailleurs le problème du but recherché : lorsque l’on propose une fiscalité punitive des hauts revenus, des transactions financières ou du patrimoine, cela mènera évidemment à des changements comportementaux. On peut s’en réjouir comme on se réjouit d’une fiscalité dissuasive du tabac, mais on ne peut pas à la fois se réjouir d’une fiscalité dissuasive, et en espérer des recettes conséquentes.

Un chiffrage fondamentalement fantaisiste

Dès lors que leur programme repose sur des dépenses et des recettes nouvelles importantes, le NFP et les insoumis ont produit un chiffrage pour montrer qu’il bouclait. Ce chiffrage reposant sur une estimation des effets d’entrainement des dépenses nouvelles engendrées, et l’effet attendu de la fiscalité sur les riches et les multinationales. Faute de base solide pour estimer l’impact de la fiscalité nouvelle sur les riches, le chiffrage de ces recettes est assez largement déclaratif. Et le calcul des effets d’entrainement d’une politique de relance est aussi très incertain. En 2022, LFI avait prétendu se baser sur un modèle économétrique de la Banque de France. Mais un modèle économétrique adapté à des petits chocs n’est pas forcément apte à modéliser plusieurs points de PIB de dépenses accrues, surtout s’il n’a pas été prévu pour inclure des effets comme l’incertitude économique ou la hausse des spreads ; par ailleurs, ce type de modèles est facile à « truquer », en choisissant des paramètres résolument optimistes, tout en cachant ces hypothèses dans une boite noire peu lisible. Il est assez facile de faire dire tout et n’importe quoi à un modèle sans que cela se voie trop, en macroéconomie comme dans les métiers de conseil. Comme l’a très bien écrit Denis Ferrand dans les Echos du 1er juillet, « le chiffrage est ainsi devenu soit le hochet des naïfs, ceux qui ne comprennent pas la véritable nature du populisme, soit l'arme des cyniques, ceux qui ne l'ont que trop bien comprise et acceptée ».

Le programme du Nouveau Front Populaire prévoit près de 110 Md€ d’impôts nouveaux sur les très riches : 15 Md€ d’ISF (avec un « volet climatique »), 15 Md€ sur les superprofits, 25 Md€ de rabot des niches fiscales, 26 Md€ de « taxe Zucman sur les multinationales », 25 Md€ en réformant l’impôt sur le revenu et sur les successions, et enfin 3 Md€ en plus avec la taxation des transactions financières. 110 Md€, c’est donc 4 points de PIB qui ne seraient payés que par une part infime des contribuables. Mais le droit français, le droit européen, et même la réalité s’opposent à envisager de tels montants.

Superprofits et multinationales

Entre la taxe sur les superprofits et celle sur les multinationales, ce sont déjà 41 Md€ qui ont peu de chances d’être collectés un jour. Les crises du fret maritime et de l’énergie, ainsi que la hausse des taux d’intérêts, ont généré des profits importants dans certains secteurs entre 2021 et 2023, et il a pu sembler légitime de les soumettre à une surtaxe. Mais il n’est jamais facile, à chaud, de définir ce qui est un profit normal ou anormal, et le droit constitutionnel et européen limitent grandement la capacité à changer les règles de façon discrétionnaire ou arbitraire (c’est affaire de point de vue) sans subir en retour une annulation des dispositifs et une obligation de rembourser les contribuables. Il faut être prudent lorsque l’on veut créer de nouveaux impôts visant seulement les riches ou la finance.

Pour rappel, la taxe de 3% sur les dividendes de François Hollande – qui remplaçait une taxe sur les OPCVM de Nicolas Sarkozy annulée par la CJUE – aura été retoquée par la CJUE puis le Conseil Constitutionnel en 2017. À la clé, ce fut 10 Md€ qu’il fallut rembourser aux contribuables. La taxation des superprofits énergétiques a largement fait flop en France (600 millions en 2023, contre 12 Md€ prévus initialement), et l’Italie a finalement renoncé à imposer les superprofits bancaires… Un gouvernement NFP qui voudrait taxer les superprofits ferait face aux mêmes contraintes juridiques et pratiques, mais il n’y aurait surtout presque plus de superprofits à taxer, car la crise est bien passée. Il est donc tout à fait illusoire de penser collecter chaque année 15 Md€ sur ces superprofits disparus.

L’impôt Zucman sur les multinationales consisterait à augmenter de 15 à 25% l’impôt minimal sur les bénéfices des grandes sociétés, mis en place au niveau du G20. Cet impôt minimal, obtenu après des années de négociations difficiles, est une grande avancée et permet de contourner les réticences des paradis fiscaux, puisque les États peuvent taxer des bénéfices si l’État qui doit normalement les taxer le fait à un taux inférieur à 15 %. L’Irlande a ainsi accepté d’augmenter de 12,5 à 15% son taux d’IS. Pourrait-on aller plus loin, jusqu’à 25% ? Ce n’est pas impossible, mais c’est peu probable. Certains pays poussent officiellement pour, mais officieusement contre, ou ne seraient pas capables de le mettre en œuvre. On pense ainsi aux États-Unis, où il est exclu que le Sénat ratifie un jour à la majorité des deux tiers un tel traité de fiscalité internationale. La majeure partie de l’accord s’applique quand même, mais les États-Unis ne soutiendront pas un durcissement du dispositif, et ne forceront pas la main aux petits pays récalcitrants. La France n’ayant ni le poids économique ni le poids militaire des États-Unis, elle ne peut en aucun cas appliquer une taxation unilatérale des multinationales pour des profits réalisés à l’étranger. Elle est soumise au droit européen – très difficile à faire évoluer sur ces sujets – et aux traités fiscaux bilatéraux, eux aussi très lourds à modifier. Le NFP peut, certes, espérer un jour arriver à un tel résultat, mais à ce stade les 26 Md€ promis ne dépassent pas le vœu pieu.

Certains impôts à rendement négatif

Certaines hausses d’impôts ou réduction de niches fiscales pourraient par ailleurs avoir un rendement négatif. La réforme de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Passer à 14 tranches d’impôt[6] et une CSG progressive (avec un taux maximum de 90 %) est censé générer des recettes nettes sur les hauts revenus tout en baissant le taux moyen d’imposition pour la majorité des Français. Mais les taux marginaux très élevés auront un impact sur les très hauts salaires et les hauts revenus. Pour un footballeur ou un cadre dans la tranche à 80 ou 90%, l’incitation à travailler plus ou à demander une hausse de salaires sera fort limité. Mais cet effet vaudra aussi pour les classes moyennes supérieures. Quand bien même leur taux moyen d’imposition n’augmenterait pas beaucoup, le fait d’appliquer un barème bien plus progressif avec des taux marginaux plus hauts jouera directement sur les incitations. C’est déjà le cas aujourd’hui des médecins, dont beaucoup estiment inutile de travailler davantage lorsqu’ils atteignent les tranches élevées d’IR. Les contribuables aisés et très aisés ajusteront nécessairement leurs revenus, au moins à long terme, et cette réforme rapportera moins que prévu. La taxation au barème des revenus du capital pourrait elle aussi entraîner des pertes fiscales. Leur taxation au taux forfaitaire de 30% avait généré une hausse des recette fiscales sous Macron, lorsque les entreprises distribuèrent davantage de dividendes. Un retour en arrière produirait l’effet inverse…

Si le NFP promet d’économiser 25 Md€ de dépenses fiscales « inefficaces, injustes ou polluantes », ses propres mesures conduiraient initialement à leur hausse. Sauf à réformer le barème des exonérations de cotisation, une hausse du SMIC de 14% décalerait ce barème, et une proportion plus grande de salariés serait couverte par ces exonérations patronales. C’est d’ailleurs ce mécanisme qui permet d’obtenir un effet quasi neutre de la hausse du SMIC sur l’emploi : elle détruit des emplois au niveau du SMIC, mais en crée au-dessus, les exonérations baissant le coût du travail. À supposer que le NFP trouve 25 Md€ de niches à raboter, ils auraient augmenté de 13 à 20 Md€ celles sur les bas salaires.

ISF et successions

Un « ISF renforcé avec un volet climatique » est censé rapporter 15 Md€ (en plus des 2 Md€ actuels de l’impôt sur la fortune immobilière). Pour cela, le taux marginal de serait de 3 % sur les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros (contre 1,5 % avec l’ancien ISF remplacé par l’IFI en 2018). Mais ce taux marginal pourrait être majoré de 25% (donc s’élever à 3,75%) s’ils ne correspondent pas à des investissements verts. Dès lors que l’ancien ISF ne générait que 3 Md€ de plus que l’IFI actuel, il n’y a aucune chance de quintupler ce montant avec ce nouvel ISF renforcé. Des taux aussi élevés poseraient forcément la question des capacités contributives de l’individu. Le Conseil constitutionnel exigerait nécessairement un nouveau bouclier fiscal, et le rendement de l’impôt en serait fortement rogné.

Les limites principales au rendement de l’ISF sont l’exonération des biens professionnels et la non-prise en compte des plus-values latentes dans le revenu imposable ; ces deux mécanismes peuvent en effet sembler injuste et permettre une optimisation fiscale pour les très riches. Plutôt que de se verser un salaire ou des dividendes, certains empruntent pour financer leur train de vie, en mettant en gage la valeur de leur entreprise, et ne paient pas d’impôt puisqu’ils ne déclarent pas de revenus. Pourquoi ne pourraient-ils pas aussi emprunter pour payer plus d’impôts ? Cela peut sembler imparable, mais l’exemple récent de Jean-Charles Naouri (Casino) et Patrick Drahi (Altice) incitent à la prudence. Par définition, une plus-value latente n’est pas certaine tant qu’elle n’est pas réalisée lors d’une vente, surtout en matière de valorisation boursière. On peut souhaiter rendre plus restrictif le patrimoine pouvant être inclus dans les biens professionnels, et les revenus pouvant être réinvestis en plus-value latente sans être taxés (notamment via des holdings personnelles). On pourrait peut-être même envisager une taxation réduite et très spécifique des plus-values latentes et des biens professionnels : peut-être que le Conseil constitutionnel la tolèrerait. Mais une « taxation normale » n’irait nulle part.

Enfin, le NFP prévoit de taxer 15 Md€ supplémentaires par an sur les successions, en supprimant les « pactes Dutreil » (exonération de 75 % pour la transmission des entreprises familiales, sous certaines conditions) et avec une taxation totale de la fraction des héritages dépassant 12 millions d’euros. Disons-le d’emblée : il y a beaucoup de niches fiscales dans la fiscalité française des successions, et il serait tout à fait possible d’augmenter fortement le rendement de cet impôt. Le Conseil d’analyse économique (CAE) avait ainsi fourni en 2021 des pistes de réforme tout à fait crédibles[7] et sérieuses[8]. Le principal problème est politique : les Français, même modestes, sont très opposés à la fiscalité sur les héritages, et de nombreux pays ont supprimé cette fiscalité en raison de son impopularité. Le NFP tente de concentrer une hausse des cette fiscalité sur les ultra-riches, mais cela en devient irréaliste.

Si une taxation confiscatoire des successions semble juridiquement plus aisée que sur les revenus ou sur le patrimoine, elle pourrait néanmoins être retoquée par le Conseil constitutionnel ou la CJUE, s’ils estiment que transmettre son patrimoine est un droit qui peut être lourdement, mais pas totalement taxé. Surtout, cela reviendrait, à terme, à faire disparaître le tissu d’entreprises de taille intermédiaires en France, à mesure que leurs propriétaires s’expatrieraient ou vendraient à des grandes entreprises ou des fonds étrangers, éventuellement avec une décote lourde qui minerait le rendement de l’impôt. Un actionnariat étranger ou financier est éventuellement moins sensible aux intérêts nationaux et locaux qu’un actionnariat familial français, et surtout il n’est plus soumis à la fiscalité française. Cela peut donc avoir pour conséquence de « vendre la poule aux œufs d’or » qui n’est ensuite plus taxable.

Il y a déjà en France une forme d’exit tax qui permet de taxer une succession lorsque le donateur (ou l’héritier) s’est expatrié juste avant la succession. Mais en prévision d’une quasi-confiscation de leur entreprise, les entrepreneurs n’attendront pas : ils partiront bien avant, et la France ne pourra pas prétendre taxer les biens français (non immobiliers) de quelqu’un parti depuis dix ou vingt ans. De même si les pactes Dutreil étaient supprimés : il y a une forme d’injustice à ce que les héritiers d’un groupe industriel (un dispositif similaire s’applique aux biens agricoles) paient moins d’impôt que la normale. Mais comme pour l’exonération de l’outil de travail qui s’appliquait à l’ISF, cela revient à reconnaître que ces biens sont d’abord un outil de production, et que leur valorisation financière ne reflète pas forcément la capacité contributive réelle de leurs propriétaires, qu’on ne veut pas obliger à vendre. On pourrait d’ailleurs envisager qu’en échange de moins d’impôt à la succession, ils en paieraient davantage en cas de revente ultérieure, par exemple en baissant la « valeur d’acquisition », ce qui augmenterait alors la plus-value à taxer. 

[1] À ce titre, la candidature unique à la présidence de l’Assemblée nationale d’un communiste (dont le parti a des positions fort ambiguës sur l’Ukraine, l’OTAN ou le FPLP) montre bien que la politique étrangère du NFP est au mieux au barycentre de chacun des partis membres, mais très loin de l’euro-atlantisme de Raphaël Glucksmann.

[2] Malgré les cris d’orfraie de certains, la politique menée depuis 7 ans reste bien plus proche de celle prônée par le travailliste Keir Starmer que de celle esquissée par la conservatrice Liz Truss il y a deux ans. Et à l’exception de l’Espagne, la politique économique française n’est pas plus à droite que celle de la gauche européenne.

[3] Et en tout état de cause, ils ont raison de souligner le caractère problématique et non-coopératif de la stratégie économique allemande : équilibrer les comptes publics avec un solde commercial très excédentaire revient à exporter son chômage au reste du monde et de la zone euro, puisque les exportations d’un pays sont les importations d’un autre. La Chine et l’Allemagne sont les mêmes passagers clandestins de l’économie mondiale.

[4] Le lecteur intéressé lira ainsi avec amusement le billet d’Henri Sterdyniak du 9 juillet sur son blog Mediapart.

[5] Il est intéressant de noter la lente évolution idéologique de Thomas Piketty. S’il s’est intéressé dès le début des années 1990 aux inégalités et à la distribution des revenus et des patrimoines, il fut longtemps un économiste de centre-gauche relativement modéré, partisan des baisses de charge sur les bas salaires, du dédoublement des petites classes, ou de la retraite à points. Ce sont probablement la crise financière de 2008 et l’austérité en Europe ensuite qui ont durci sa vision de l’économie et de la politique. La politique se résume à ses yeux à un conflit entre une infime minorité de ploutocrates et le reste des populations. Si certains de ses travaux restent de grande qualité (et il reste par ailleurs un excellent encadrant pour ses doctorants), cette vision tend à polluer ses travaux universitaires plus engagés (d’où des critiques méthodologiques comme celles de Waldenström ou Auten et Splinter), mais aussi lorsqu’il s’aventure hors de l’économie, sur le terrain de la science politique et de l’histoire ou du droit constitutionnel. Avec à chaque fois un grand simplisme manichéen et une tendance à l’impérialisme économique, en ignorant les travaux des spécialistes (sociologues, politistes…) de ces domaines. La conclusion de ses chroniques dans le Monde est de plus en plus prévisible. Face à chaque problème on connaît la solution : un ISF Covid, un ISF climatique, un ISF pour financer les services publics, ou un ISF pour les retraites…

[6] On observe un certain fétichisme sur ce nombre de 14 tranches pour l’impôt sur le revenu, correspondant au début mythifié du quinquennat Mitterrand, lorsque ce taux montait jusqu’à 65 %. Pourtant, il faut rappeler que ce taux ne s’appliquait pas tel quel. En plus de l’abattement de 10 % des frais professionnels, un abattement supplémentaire de 20 % s’appliquait à presque tous les revenus. De telle sorte que le taux maximal effectif était, à l’époque, de 52 % et non pas de 65 %, et il n’y avait alors pas de CSG. Avec la CSG actuelle et un taux marginal à 45 %, le taux maximum d’impôt sur les hauts revenus n’a donc nullement baissé depuis 40 ou 50 ans…

[7] Un mécanisme important est la taxation des plus-values après une succession. Aujourd’hui, lorsqu’un héritier vend un bien (entreprise, immobilier…) après une succession, la valeur de référence permettant de calculer la plus-value est la valeur déclarative à la succession, et non pas la valeur d’acquisition du bien par le donateur. Ainsi, si une entreprise a démultiplié sa valeur pendant la vie du donateur, la plus-value correspondante n’est jamais taxée, l’héritier payant seulement des droits de succession sur la valeur finale (et parfois beaucoup moins en cas de démembrement de propriété lorsque la valeur était faible). Sans forcément fiscaliser en même temps la plus-value latente et la succession lors de l’héritage, il serait possible de garder l’ancienne valeur d’acquisition. La taxation de cette plus-value latente serait donc reportée à la revente ultérieure du bien, et non à la succession.

Une problématique similaire concerne les plans d’épargne retraite : les versements sont défiscalisés, en échange d’une fiscalisation à la sortie. Mais lorsque ces PER sont transmis, ils échappent alors à cette taxation à la sortie. Comme pour l’assurance-vie, les PER servent à l’optimisation successorale plus qu’à l’épargne retraite. Comme aux États-Unis, on pourrait obliger à vider graduellement son PER une fois à la retraite et supprimer l’exemption.

[8] Le démembrement de propriété (donner la nue-propriété d’un bien tout en gardant l’usufruit) permet de payer des droits réduits immédiatement, avec un remembrement sans fiscalité supplémentaire, lors du décès. De tels montages sont utiles pour transmettre une entreprise, surtout si sa valorisation est faible lors du démembrement. Hormis pour les ventes en viager et les droits du conjoint survivant face aux enfants (et peut être des majeurs sous tutelle), le démembrement de propriété est principalement un outil d’optimisation. On pourrait donc soit le restreindre à ces cas-là, soit taxer la valeur totale dès la donation, soit taxer à nouveau lors du remembrement.