Droits de l’Homme : l’Union pourra-t-elle s’imposer ? edit
La crise ouverte par la France à propos de l’expulsion des Roms est bien plus qu’un simple épisode qui mettra plus ou moins de temps à cicatriser. C’est en fait le symptôme d’un phénomène plus profond qui montre que la pleine intégration des droits fondamentaux dans le droit de l’Union bouleverse les pratiques institutionnelles. Il y a de fait deux scénarios possibles : soit l’Union est capable de rappeler aux Etats membres leurs obligations et se montre exigeante quant à la protection des droits de l’Homme, soit elle échoue à s’imposer sur ce terrain et laisse le champ libre aux Etats membres. Il faudrait alors constater que l’Europe est plus une réalité pour les entreprises que pour ses citoyens.
Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les droits fondamentaux sont plus directement présents dans le droit de l'Union. C'est cette nouvelle situation qui a amené le Président de la Commission, dans son premier discours sur l'état de l'Union adressé au Parlement européen à Strasbourg le 7 septembre 2010, à retenir parmi les cinq défis à relever pour l'Union dans les 12 prochains mois la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il s'appuie en cela sur le programme adopté fin 2009 par le Conseil européen à Stockholm qui fixe les objectifs en la matière pour les cinq prochaines années. La promotion de la citoyenneté européenne y est largement affirmée et il est précisé que « l'espace de liberté, de sécurité et de justice doit être avant tout un espace unique de protection des droits et libertés fondamentales ».
Les Etats membres ont applaudi à l'adoption du Traité de Lisbonne et sont les rédacteurs du programme de Stockholm. Il n'y a donc pas de problème ? L'appréciation d'une avancée juridique ne se limite pas aux discours mais est bien surtout une affaire de résultats dans des situations concrètes. L'affaire des Roms fournit l'occasion de tester la réalité des engagements.
Il est admis que la Commission est dans son rôle quand elle engage des procédures d'infraction contre les Etats membres lorsqu'ils ne remplissent pas leurs obligations découlant des directives adoptées. Ainsi, on constatera à lecture de son rapport annuel sur le contrôle de l'application du droit de l'Union que la Commission a engagé en 2009 pas moins de 1659 procédures pour l'ensemble des domaines couverts par le droit de l'UE. Il est certes rarement agréable pour les Etats membres de se voir montrés du doigt mais ceux-ci se plient à la règle commune y compris lorsqu'il s'agit de sujets sensibles tels que la chasse aux oiseaux migrateurs à Malte, l'encadrement des aides d'Etat pour les services publics communaux en Italie ou la taxation des opérateurs téléphoniques en France.
La situation n'est évidemment pas la même pour ce qui concerne l'atteinte aux droits fondamentaux. On pourrait pourtant penser que les Etats membres, membres également du Conseil de l'Europe, ont l'habitude d'être sanctionnés en la matière : la France a été ainsi condamnée pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pas moins de 576 fois entre 1959 et 2009 dont 20 fois pour la seule année 2009. Mais ces arrêts, aussi importants soient-ils, concernent d'abord des affaires individuelles. Ils interviennent en bout de chaine judiciaire, puisque le recours à la Cour de Strasbourg ne se fait qu'après épuisement des voies de recours nationales. Ils sont donc beaucoup moins stigmatisants médiatiquement parlant.
On avait déjà eu un avant-goût des difficultés qui se présenteraient si d'aventure les institutions européennes voulaient faire la leçon aux Etats en matières de droits de l'Homme. Lorsque l'Autriche permet l'arrivée au pouvoir du parti d'extrême-droite xénophobe de Jorg Haider, les 14 autres Etats membres adoptent en janvier 2000 des sanctions... qui seront bien vite levées en septembre 2000 avec un certain embarras. La question posée est bien celle de la légitimité de l'Union à s'engager sur le terrain des valeurs. Tant qu'elle reste sur le terrain technique, la Commission peut engager des procédures d'infraction mais si ses critiques mettent en cause la politique menée par les Etats membres sur le plan du respect des valeurs alors cette légitimité ne va pas de soi.
Nous sommes donc bien à un tournant. Passer d'une Union basée sur le respect de normes et de principes économiques à un « espace de liberté, de sécurité et de justice » ne va pas de soi. La marche à franchir est considérable et pour l'instant rien ne prouve que le pari puisse être réussi.
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