Premier degré: une grande misère pédagogique edit
Jean-Michel Blanquer a fait avec raison des apprentissages fondamentaux et des premières années de scolarité un des axes forts de sa politique. Les conditions de la réussite se jouent en effet très tôt dans la vie et les handicaps cognitifs qui s’installent à ce stade sont très difficiles à résorber par la suite. Il avait aussi vilipendé, avec moins de bonnes raisons, le « pédagogisme » qui aurait perverti une bonne partie des pratiques enseignantes et serait donc pour partie à la racine des performances médiocres des élèves français en matière de réussite. Je mettais en doute, il y a quelques années, dans ces mêmes colonnes (L’école et la fausse querelle du pédagogisme, 16 octobre 2017) la réalité de l’extension du « pédagogisme » dans les pratiques enseignantes effectives (même s’il a occupé une large place dans les débats intellectuels). Une récente étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Education nationale[1], vient confirmer ce point de vue.
En revanche, les enseignants français utilisent massivement et autant que leur homologues étrangers (et parfois plus) des méthodes classiques de transmission comme le fait de « présenter un résumé de ce qui a été appris récemment » ou « d’exposer les objectifs au début du cours ». Ils sont également des adeptes du rappel au règlement : 83% déclarent « dire aux élèves de respecter les règles de la classe » et 82% « d’écouter ce que je dis ». Ces résultats confirment des choses déjà connues sur l’aspect plutôt vertical et faisant peu appel à la participation des élèves des méthodes d’enseignement françaises.
Mais ce qui justifie le titre alarmiste de cette chronique est le fait les enseignants français paraissent se sentir extraordinairement démunis face aux exigences pédagogiques de l’enseignement. Le tableau 1 en dresse un constat assez accablant : ce n’est qu’une petite minorité d’enseignants français qui disent se sentir capables de motiver leurs élèves, de conforter ceux qui ont des difficultés, de les accompagner vers la réussite, de varier les méthodes pédagogiques, et de contrôler lorsque c’est nécessaire les comportements perturbateurs. Le contraste avec les réponses des enseignants des autres pays de l’UE interrogés, beaucoup plus optimistes sur l’efficacité de leurs pratiques pédagogiques, est frappant. La part des professeurs qui encouragent leurs élèves à utiliser le numérique dans leurs apprentissages est également incroyablement faible (9%), alors que c’est le cas en moyenne d’un enseignant sur trois dans les autres pays européens.
Une des causes principales de ces difficultés à enclencher une pédagogie de la réussite est certainement le défaut de formation initiale. Ce manque de formation est fortement ressenti par les enseignants, notamment en ce qui concerne les pratiques employées en classe et le suivi de l’apprentissage et de la progression des élèves (tableau 2).
La formation continue ne parvient à compenser les manques de la formation initiale. Certes les enseignant français y ont autant accès que leurs homologues européens, mais ils semblent en tirer beaucoup moins de bénéfices que ces derniers. En effet, 40% d’entre eux déclarent que ce suivi n’a pas eu d’impact positif sur leur manière d’enseigner contre (9% en Angleterre, 16% en Espagne et Flandre et 19% en Suède). La note de la DEPP s’interroge sur la pertinence des formations dispensées. Elles ne semblent en tout cas par répondre aux attentes des professeurs, notamment sur un point important : la formation à l’enseignement aux élèves présentant des besoins éducatifs particuliers (c’est-à-dire des élèves qui, selon la définition de l’enquête Talis, présentent des troubles mentaux, physiques, émotionnels ou comportementaux). C’est le problème qui est le plus fréquemment évoqué par les directeurs d’école français (par 62%).
Malgré la faible efficacité de leur pratique pédagogique, qu’ils reconnaissent eux-mêmes, les enseignants français sont finalement satisfaits de leur situation professionnelle : 91% disent aimer travailler dans leur établissement, 88% se déclarent satisfaits de leur action et des résultats obtenus et seuls 7% regrettent leur décision d’être devenu enseignant. Le seul point négatif est la reconnaissance sociale du métier (4% pensent qu’il est valorisé dans la société). Le contraste entre cette satisfaction professionnelle et la faible efficacité reconnue de conduire les élèves, notamment les plus en difficulté, vers la réussite, interroge. Il est évidemment difficile de l’interpréter au vu de cette seule enquête. Une partie des enseignants considère-t-elle que cette tâche (faire réussir le plus grand nombre) est hors de portée ? Il est vrai en tout cas que le modèle éducatif français, avec à sa pointe les grandes écoles, a été sans doute plus porté à sélectionner les meilleurs et a parfois considéré que cet objectif était incompatible avec la réussite de tous.
Emmanuel Macron a voulu faire franchir aux politiques sociales un saut qualitatif en mettant au fronton de leurs objectifs la notion d’égalité des chances. Il ne s’agit plus seulement de compenser les inégalités par des prestations, souvent monétaires, mais d’essayer de les éradiquer à la racine, ou au moins de les réduire, en faisant en sorte que chacun puisse débuter dans la vie avec des atouts équivalents (du moins ceux qui sont à la main de la puissance publique et sous réserve des différences de capacités et de motivations qui sont inhérentes à chaque individu). Dans un tel programme, l’école est évidemment destinée à jouer un rôle crucial et la politique éducative actuellement conduite s’inscrit tout à fait dans cette lignée. Mais force est de constater que la « machine » Education nationale conserve des traits structurels qui contrecarrent cet objectif. La tâche est difficile car il s’agit moins de problèmes institutionnels que d’une culture de la pratique enseignante qu’il faudrait réinventer. Ce n’est pas l’école de la IIIe république qu’il faut appeler de nos vœux, mais l’école du 21e siècle. Elle est encore dans les limbes.
[1] Note d’information n° 19.22, juin 2019. La note rend compte des premiers résultats de l’enquête TALIS conduite sous l’égide de l’OCDE dans six pays de l’Union Européenne auprès de 50 000 enseignants dont 1 400 en France, sur l’enseignement et l’apprentissage.
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