Regards froids sur la réforme des collèges edit
L’actuel projet de réforme des collèges a entraîné de vives polémiques qui sont vite montées aux extrêmes. « Entreprise de démolition collective, d’obscurantisme et de haine de soi-même », déclare Bruno Lemaire (Le Figaro, 9/10 mai). Rien que cela ! La droite, conduite par Nicolas Sarkozy en personne, en fait un objet de mobilisation. Mais la gauche syndicale est également divisée, le SNES rejoint les critiques du SNALC, alors que l’UNSA et le SGEN défendent ardemment la réforme. Les associations de spécialistes pointent les problèmes, qui la menace de la disparition de l’enseignement du latin et du grec, qui la place de l’allemand, qui les aberrations des programmes d’histoires, etc. Mais, d’un autre côté, les mouvements pédagogiques, et des mouvements de parents, comme la FCPE, regrettent la modestie des mesures proposées.
Bref, cet énième épisode de l’histoire des réformes de l’Education nationale, illustre, encore une fois, un travers français. Tout le monde ou presque s’accorde pour dresser un bilan préoccupant de l’état du collège, souligné suffisamment par les enquêtes internationales d’évaluation, et ce depuis une bonne trentaine d’années. Mais, au lieu d’examiner de manière rationnelle ce qu’il faut changer, et ce qui est aujourd’hui proposé, des critiques multiples dominent immédiatement, reflétant la diversité d’intérêts idéologiques, politiques, corporatistes, qui se mêlent vite étroitement, créant ainsi beaucoup de confusion, et, empêchant de distinguer les interrogations légitimes des controverses erronées et des instrumentalisations politiques blâmables.
La difficulté principale vient de ce que, dans la proposition présente, sont mis en œuvre des changements structurels, avec des projets interdisciplinaires, représentent 20 % du temps scolaire, et un accompagnement personnalisé des élèves – ce qui implique inévitablement des remaniements dans les horaires – et une réécriture de tous les programmes. Le tout s’inscrit dans une réforme plus vaste qui est la mise en place de « l’école du socle », conçue, désormais comme un même ensemble les années de l’école primaire et celles du collège, divisées en trois cycles, pour ménager les transitions, et amener tous les élèves à maîtriser les savoirs et les compétences essentielles, en réduisant le plus possible la proportion de ceux qui sortent du système scolaire sans compétences. Il y a, bien sûr, les questions spécifiques (le latin, l’allemand, etc.) qui retiennent le plus l’attention et qu’il faut examiner, mais, avant tout, il y a la question de fond sur la nature même du collège qui n’est pas, dans les polémiques actuelles, mise le plus souvent en avant. Faut-il ou non mettre fin au collège unique, mis en place par la réforme Haby de 1975 ? C’est ce qui est pensé, au fond, à droite – et que revendique Bruno Lemaire qui mène la charge – mais, aussi, souhaité (sans le dire) dans une part du monde enseignant.
Pour avoir des idées précises, et en débattre posément, il faut faire un détour par l’histoire de notre système éducatif. Entre l’école primaire et le lycée, un enseignement intermédiaire a longtemps cherché sa voie. Il s’est constitué, de manière pragmatique, par une extension du secondaire vers le bas et du primaire vers le haut. Antoine Prost, dans ses ouvrages a clairement expliqué cette évolution. Il nous suffit, pour notre propos, de rappeler, dans ce qu’on appelle en Europe, l’école « moyenne », il y avait des éléments hétéroclites, les collèges d’enseignement général, les anciens cours complémentaires, rattachés à l’enseignement primaire, les collèges d’enseignement secondaire, anciens premiers cycles des lycées. Les réformateurs – gaullistes…- des années 1960-1970 ont entendu unifier ses structures. La loi Haby de 1975 en a été l’aboutissement. Seulement, l’affrontement pédagogique, idéologique, corporatif, entre les instituteurs et les professeurs, leurs syndicats et même dans les administrations du ministère, a empêché qu’une pédagogie réellement adaptée à l’école moyenne soit mise en œuvre. Certes des évolutions ont eu lieu dans les pratiques –et on n’enseigne plus aujourd’hui comme dans les années 1970- mais, faute d’avoir eu un corps professionnel spécifique pour collèges, l’évolution a fait des collèges un premier cycle d’esprit secondaire, qui trie les élèves et ne sait pas trop quoi faire de ce qui sont rejetés.
Cette situation rend compte, en large part, de la réalité des inégalités au collège. Non qu’elles puissent être éliminées. Car, les inégalités scolaires sont, d’abord, le produit des inégalités sociales. Mais, en France, elles sont supérieures à ce qu’elles devraient être. Avant même l’entrée dans le primaire, les différences liées aux milieux familiaux jouent. Mais elles s’accroissent à l’école – particulièrement au cours préparatoire avec l’apprentissage de la lecture – et se creusent ensuite. Faut-il s’en satisfaire ? Il y a une manière de le faire –sans le dire expressément – c’est de rien vouloir changer… Cela ne peut être accepté pour l’intérêt même du pays. Réduire les inégalités et diminuer l’échec scolaire, en effet, est une condition pour un meilleur développement économique et social. Les causes sont bien identifiées, et s’additionnent en des proportions diverses : le travail dans les familles bien sûr, la qualité de l’enseignement et la capacité pédagogique des enseignants, les groupes de pairs- les élèves faibles progressent plus dans des classes hétérogènes – les ruptures brutales en 6ème et en 2nde. L’orientation ajoute ses propres inégalités aux inégalités scolaires proprement dites – avec le rôle spécifique de l’enseignement privé qui, comparativement, concentre plus d’élèves de familles favorisées (15 %-20 % environ) que l’enseignement public.
S’accorder sur ce diagnostic serait déjà un bon point pour débattre efficacement. Faisons cette hypothèse. Avant toute discussion particulière, deux questions préalables se posent. La première devrait être aisée à régler. Serait-ce un manque de moyens d’enseignement qui serait en cause ? Des syndicats le disent. Mais cela n’est guère tenable. Le budget de l’Education nationale n’a cessé de progresser. Depuis 2012- et c’est une promesse de campagne qui a été honorée- il a été préservé. La réforme propre du collège s’accompagne de la création de 4000 postes. L’accroissement de moyens doit amener une utilisation différente dans les pratiques d’enseignement. C’est finalement peu contesté. Beaucoup plus conflictuelle, en revanche, est la volonté de recréer des filières strictement séparées. Bruno Lemaire, dans l’interview citée, dit, de manière faussement naïve, « mettre fin au collège unique doit permettre à chaque élève de s’orienter sereinement soit vers la voie générale soit vers la voie professionnelle ». Tout est dans le sereinement… Car, toutes les études comparées montrent que plus la sélection est précoce dans le système éducatif, plus elle se fait dans le même sens et consacre, pour l’essentiel, la division entre enfants de milieux favorisés, qui sont, pour l’essentiel, dans la voie générale, et enfants de milieux défavorisés, qui sont, le plus souvent, dans la voie professionnelle. L’exemple des écoles nordiques, tant vantées souvent par les mêmes détracteurs du collège unique, parce qu’elles donnent l’autonomie aux équipes enseignantes, est parlant : elles intègrent, de manière continue, l’école élémentaire et l’école moyenne, en pratiquant une réelle diversification pédagogique.
La réforme, qui est proposée aujourd’hui, veut relever ce défi. Un paradoxe, parmi d’autres, est qu’elle met en acte, ce qui déjà était dans la loi d’orientation de 2005, dite loi Fillon, mais qui n’avait pas trouvé de réelles traductions concrètes, faute de volonté politique des ministres de droite, et d’une hésitation pédagogique, qui les avait amenés à prendre des mesures contradictoires. Le cœur de la réforme, oublié le plus souvent dans le feu des polémiques particulières, est de bâtir une véritable « école du socle commun », qui évite la coupure rigide entre le CM2 et la classe de 6ème, conduit des transitions, prévoit un accompagnement personnalisé en petits groupes, varie les pratiques pédagogiques.
Maintenant, on peut discuter de tel ou tel aspect particulier. Un temps (20 %) pour des projets interdisciplinaires ne mérite pas le procès en « n’importe quoi ». Car il s’agit, autour d’un thème particulier, au choix des enseignants, avec l’apport de plusieurs disciplines, de favoriser l’autonomie des élèves dans leur travail. Il y a, déjà eu, par le passé des approches de ce type. L’une d’elle portait le nom de « travaux croisés », ce qui était beaucoup plus explicite. Il faut, surtout, veiller de la part des enseignants, à l’exigence pédagogique nécessaire pour que cela soit profitable. Mauvaise querelle également que celle du latin. C’est, aujourd’hui, une option qui ne structure pas l’enseignement. On peut le regretter, mais c’est ainsi. 18 % des élèves le choisissent, au collège, les trois quarts l’abandonnent au lycée – et combien d’élèves font une version latine correcte au baccalauréat ! Il est prévu un enseignement qui rende accessible la culture gréco-romaine en termes de civilisation. Y perdrons-nous beaucoup ? L’important est de maintenir la présence de l’étude des fondements de notre culture occidentale. Plus complexe, et problématique, est les choix qui président à la suppression des classes bilingues au profit de l’apprentissage d’une seconde langue dès la 5ème et de la promesse que les élèves concernés pourront commencer l’anglais en deuxième langue dès la classe de 6ème. Car dire que l’allemand pourra être appris en première langue dès l’école primaire paraît peu vraisemblable, compte tenu de la faible formation des enseignants qui devraient l’assurer. Les difficultés concrètes de l’apprentissage de l’anglais sont démonstratives. Et, il y a un autre problème qui est d’une autre nature. Il est important qu’il y ait dans les établissements notamment les plus défavorisés, des classes qui offrent des opportunités aux élèves (et aux familles) voulant travailler davantage. La mixité sociale (et pédagogique) nécessaire passe également par une certaine diversification dans une même structure d’ensemble. C’est un équilibre complexe, mais la mixité ne passe pas par l’uniformité.
Viennent, enfin, toutes les interrogations qui tiennent aux programmes. Vaste question qui mériterait autant de développements propres ! Un mot sur les critiques – et les amusements de la presse – sur le « jargon » utilisé dans la présentation des programmes. Remarquons que ce sont, le plus souvent, les deux ou trois mêmes expressions citées dans quelques disciplines qui reviennent. Cela vient d’une contradiction simple : les programmes sont écrits pour les enseignants, et reflètent l’état d’une discipline, mais ils devraient pouvoir être lus commodément par les parents. Ce n’est sans doute pas le problème le plus grave. Des efforts de simplification peuvent être faits sans aucun doute. Plus importants sont les contenus. Et ne doutons pas que, dans la consultation qui est en cours ce mois parmi les enseignants, chaque discipline sera passée au tamis de la critique et que les textes évolueront. Dans l’opinion, il ressort régulièrement deux ou trois disciplines – et, à chaque fois qu’il y a un changement, même modeste, le français et, surtout l’histoire. Le français, parce que la discipline a évolué et s’est (par trop ?) technicisée. Il y a, bien sûr, des textes et des auteurs qui sont indiqués dans chaque cycle. Mais, l’enseignement n’est pas structuré autour d’eux, il l’est par les compétences, ce qui déroute l’opinion. L’histoire est évidemment ce qui touche le plus à l’identité nationale, et chacun a son idée. Le souhait, tout à fait compréhensible, de l’exhaustivité et du privilège donné souvent à la seule histoire nationale, rencontre les réalités. Les horaires impartis au collège (une heure pour l’histoire, une pour la géographie) rendent nécessaire que des choix soient faits. L’histoire de la France, encore plus aujourd’hui qu’hier (où elle n’était d’ailleurs pas que nationale) rend indispensable qu’elle soit liée à celle de l’Europe et du Monde. Les demandes sociales ont, d’ailleurs, cru dans les dernières décennies et, souvent, à juste titre, pour que soient enseignées l’histoire de l’esclavage, le fait religieux, les caractères des autres civilisations, etc. Le cahier des charges est donc difficile. Le programme proposé, qui sera revu, comporte des erreurs évidentes, le caractère optionnel des « sociétés et des cultures au temps des lumières » ou de « l’humanisme et des réformes ». Mais il est faux de dire qu’il ne respecte pas la chronologie. Et il est de mauvaise foi de prétendre que l’islam est plus étudié que le christianisme et le judaïsme, leurs parts respectives sont les mêmes et n’ont pas changé depuis les programmes de 2008.
Regardons donc les choses en face. La bonne question est de savoir si les propositions de programme offrent aux élèves une véritable culture commune qui donne autant de références à tous et fait « sens » pour eux. Transmettre un héritage est indispensable, mais il faut déterminer ce qui est le plus pertinent pour la société d’aujourd’hui. C’est le travail qui n’a pas peut être été fait suffisamment par le Conseil supérieur des programmes, instance pourtant pluraliste et largement pluridisciplinaire. Il a donné un cadrage méthodologique (l’école du socle), mais il n’a pas donné une définition de ce que doit être réellement la culture commune, laissant aux différents groupes disciplinaires la liberté de statuer pour eux-mêmes.
Cette dernière remarque montre que la tâche n’est pas achevée. Cette réforme n’est certes pas le dernier mot pour le collège. Il faut, d’abord, la corriger là où elles doit l’être. Il faut, ensuite, fournir l’accompagnement pédagogique, en termes de formation initiale et de formation continue, indispensables lorsqu’il y a des évolutions notables. Il faut, enfin, penser plus loin, pour donner plus de cohérence à l’ensemble, en termes de pratiques pédagogiques et de culture commune.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)