Réversion: l’occasion ratée d’une vraie réforme edit
Parmi les nombreux sujets épineux de la réforme des retraites, se pose celui de la pension de réversion, en particulier pour les ex-conjoints après un divorce. Le système actuel, qui varie selon les régimes de retraite (général, complémentaires, fonctionnaires), est illisible et souvent injuste. Les couples mariés ou concubins sont parfois traités pareil, d'autres fois non. Il y a une durée de couple et un âge minimal, ou non. Sous condition de ressource et de non-remariage, ou non. En cas de mariages successifs, en fonction du nombre d’enfants, ou non. Mais au lieu d’une vraie réforme systémique, le gouvernement semble préférer un simple toilettage et une harmonisation dans un seul régime – le sujet, très technique et politique, n’est pas complètement tranché. C’est dommage car en poussant jusqu’au bout la logique des points, on pourrait au contraire créer un système de réversion plus lisible, plus juste et plus efficace.
Le système français actuel opère une redistribution importante des célibataires – et des couples bi-actifs – vers les couples mono-actifs, en particulier ceux avec une forte différence d’âge. A cotisations et âge donné, il est évident que la pension d’un célibataire durera en moyenne moins longtemps que dans un couple ou elle durera jusqu’au décès du dernier survivant. Surtout si le conjoint est beaucoup plus jeune. En économie, on utilise la notion d’équité actuarielle : si on souhaite toucher une rente pendant plus longtemps, alors il faut cotiser davantage. C’est pour cela que les rentes viagères sont plus chères lorsqu’elles comportent une clause de réversion – surtout pour un conjoint très jeune. C’est ce qui se passe dans la plupart des pays où les retraites complémentaires sont privées : il peut y avoir une réversion automatique de la retraite de base publique pour garantir un niveau de vie minimum, mais la réversion de la retraite complémentaire est optionnelle, et le prix de cette option dépend de l’âge du conjoint. Dans notre système actuel, en épousant un retraité et en ne travaillant pas, on peut passer la majeure partie de sa vie adulte à profiter d’abord de la retraite du conjoint pendant son espérance de vie, puis la réversion pendant encore plusieurs décennies. Difficile ensuite de dire qu’un euro cotisé génère les mêmes droits, qu’il y ait 3 ou 30 ans d’écart d’âge dans le couple.
Le système actuel est également complexe en cas de divorce. Aujourd’hui, un juge va par exemple fixer une pension que monsieur verse à madame. Cette pension est recalculée quand il part à la retraite, et s’il meurt, madame aura droit, dans certains cas, à une fraction de la pension de réversion de monsieur. On peut donc se retrouver dans une situation étonnante où les revenus d’une divorcée augmentent au décès de son ex-conjoint, si la pension de réversion est plus élevée que la pension alimentaire. Le rapport Delevoye préconisait initialement de supprimer la réversion pour les divorcés, mais on s’oriente aujourd’hui vers un maintien partiel, sous des conditions plus draconiennes qui restent encore à arbitrer. Dans le système actuel une femme au foyer divorcée est très pénalisée car elle n’a pas cotisé – sauf quelques trimestres validés pour chaque enfant – et elle reste tributaire des pensions alimentaires de son ex-époux, tant qu’il travaille et lorsqu’il est à la retraite. Supprimer la durée de cotisation est un progrès dans le nouveau système, mais ni les années non travaillées ni les pensions alimentaires reçues ensuite ne génèrent de points. D’une certaine façon, c’est l’ex-conjoint qui joue le rôle d’une « caisse de retraite » en versant une pension alimentaire à son ex-conjointe une fois qu’elle est retraitée.
Mais avec des points de retraites, on aurait pu tout à fait les partager dans un couple. Ce n’est pas parce que l’un n’a pas de revenu, ou un revenu plus faible, qu’il ne contribue pas au ménage. En élevant les enfants, en effectuant des tâches domestiques, en aidant son conjoint indépendant dans son activité… ou en sacrifiant sa carrière : il n’y a pas que les premières dames qui renoncent à leur activité professionnelle. Cet effort devrait générer des droits de retraite, appartenant en propre à la personne elle-même, plutôt qu’une forme de charité offerte par le conjoint qui gagne plus. Imaginons par exemple un couple où l’un gagne 1 500 euros par mois et l’autre 2 500, et supposons que ces salaires génèrent 150 et 250 points de retraite respectivement. Si ces points sont partagés, les deux individus auront chacun 200 points. Ces points leur appartenant séparément, et ils en bénéficieront à leur retraite respective. Implicitement, c’est passer d’une logique de droits attachés à un « statut » de veuf ou veuve – peu liée à l’âge et à la durée de mariage, à une logique plus contributive où c’est la durée de couple qui génère des droits pour le conjoint moins actif.
Cela aurait de nombreux avantages. Le premier étant la simplicité et la sécurité, les droits étant acquis définitivement. En partageant les points dès le moment où ils sont générés, on ne risque pas de perdre une partie de la réversion en reprenant une activité, ce qui était le cas avec une réversion sous condition de ressources. La transition à la retraite et à la réversion se ferait de manière simple et automatique pour les divorcés, sans que le juge ait besoin de tout recalculer. Et puisque les droits à retraite sont acquis immédiatement et en propre, on est moins dépendant de son ex-conjoint, de ses aléas de revenus ou de sa mauvaise volonté que quand il verse la pension alimentaire lui-même. Cela permettra à certaines femmes qui ont interrompu leur carrière quelques années, puis l’ont reprise, de ne pas être pénalisées pour ces années manquantes. Les années partagées auront généré des points définitivement acquis. Il n’y aura pas le risque de les « perdre » en se remariant ou en retravaillant : pour garder une pension alimentaire ou une réversion, certains choisissent parfois de dissimuler leur activité, ou de rester en concubinage plutôt que se remarier.
Un tel système n’est pas forcément pour tous les couples. Mais cela pourrait tout à fait être une option que l’on choisirait ou non lors d’un PACS ou d’un contrat de mariage, comme le choix du régime matrimonial. Mais même en cas de séparation ou de concubinat, le juge du divorce aurait toujours la possibilité de transférer une partie du stock de points de l’un à l’autre, en particulier pour compenser l’éducation des enfants et les interruptions de carrière subies. Les pensions alimentaires s’accompagneraient d’un transfert de points en continu. Peut-être faudrait-il aussi augmenter le plafond de cotisations des hauts-revenus mariés/divorcés : 120 000 € par an à partager en 2, c’est peu. Avec un taux de remplacement de 50%, ce système serait plus lisible mais moins généreux que le système actuel. Mais on pourrait tout à fait cumuler un pilier contributif et un pilier redistributif ou assurantiel. La retraite serait toujours partagée en 2 dès le début, mais le conjoint survivant pourrait toucher 10 ou 20% sous condition de ressources ou de non-remariage comme actuellement, une fois veuf. Pour notre couple précédent, si chacun touche par exemple 1200 euros de pension, le survivant toucherait un supplément de 300 ou 500 euros au décès de l’autre. Soit ce second pilier serait assuré par la solidarité sous conditions de ressources, soit il serait financé par une cotisation volontaire. Partager les droits est un message fort de reconnaissance pour le conjoint qui donne de son temps et fait des sacrifices pour le couple : il y gagne des droits en propre, non liés au conjoint ou à un juge, et il ne subit pas de trous de carrière.
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