Marché du travail : un accord historique ? edit
L’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a été ratifié par plusieurs syndicats de salariés (tous sauf la CGT), ainsi que par les syndicats patronaux. De ce point de vue, c’est un succès indéniable pour la négociation. Mais on peut s'interroger sur le contenu réel de l'accord, à partir des éléments empiriques à notre disposition.
Nous devons a priori nous réjouir de la capacité des partenaires sociaux à se mettre d’accord, à définir un compromis en partant de positions souvent éloignées. De ce point de vue, cela augure bien du futur et surtout des négociations à venir, nombreuses au cours des mois prochains. Mais cela n'exclut pas un examen sérieux. Commençons par présenter les grandes lignes de l’accord pour que le lecteur sache de quoi il est question précisément.
L’accord contient 19 articles. La première section, qui inclut 9 articles, est intitulée « Faciliter l’entrée dans l’entreprise et améliorer le parcours en emploi » ; elle traite de la sécurisation des parcours professionnels. La seconde section, qui inclut 10 articles, est intitulée « Sécuriser les contrats et améliorer le retour à l’emploi » ; elle pose les principes des nouveaux contrats et des nouveaux modes de rupture. Une brève troisième section précise la « place de la négociation collective » afin de mettre en œuvre certaines des dispositions de l’accord. Elle répartit les rôles entre branches et interprofessionnel.
La première section contient ou rappelle de nombreux principes. Ainsi, « le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale du contrat de travail ». Les autres contrats doivent uniquement permettre de faire face à des besoins momentanés. Ils doivent être utilisés de manière « responsable » (article 1). L’orientation professionnelle (article 2) est « un élément primordial » de la vie professionnelle. Pour les jeunes, afin de favoriser leur intégration, il est prévu (entre autres) que la durée du stage (en dernière année d’étude) soit prise en compte dans la période d’essai et que soit servie une prime forfaitaire aux jeunes privés d’emploi mais n’ayant pas droit aux allocations chômage (article 3). La période d’essai est allongée jusqu’à 8 mois pour les cadres (4 pour les ouvriers, 6 pour les agents de maîtrise et techniciens), mais seulement par accord de branche étendu (article 4). Les partenaires sociaux ont cherché à faciliter l’accès aux droits liés aux conditions d’ancienneté (article 5) ou à favoriser le « développement des compétences » par l’introduction d’un « bilan d’étape professionnel » effectué de manière régulière et prospective (article 6). Thème central directement lié à cette orientation professionnelle, la formation professionnelle est traitée par l’article 7. Il s’agit « d’en faciliter le développement », d’amplifier le « déploiement des dispositifs » des accords du 5 décembre 2003 et du 22 décembre 2005. L’article 8 s’applique à indiquer les dispositions qui, peut-être, pourraient favoriser la mobilité professionnelle et géographique mais ne propose aucune mesure précise. Finalement, l’article 9 loue les vertus de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) destinée à anticiper les besoins d’évolution des compétences. Ce doit devenir « un outil majeur » pour faciliter les évolutions internes ou externes. Les principes énoncés dans cet article très long devront trouver une application dans une négociation interprofessionnelle à venir.
Les articles traitant du contrat de travail contiennent quelques dispositions plus précises que les principes généraux et sans financement énoncés dans la section I. L’article 11 rappelle la nécessité de motiver les licenciements (au contraire du CNE ou du CPE). Il rappelle aussi le besoin de sécuriser les ruptures de contrat. Pour ce faire, les indemnités de rupture sont légèrement augmentées (ce qui n’a pratiquement aucune portée car les indemnités conventionnelles sont inférieures aux indemnités prévues dans les conventions collectives). Les parties « conviennent de travailler avec les pouvoirs publics à la possibilité de fixer un plafond et un plancher au montant des dommages… en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. ». En outre, il stipule qu’il « est indispensable de réhabiliter la conciliation prud’homale en lui restituant son caractère d’origine de règlement amiable… » C’est l’article 12 qui contient la chair de l’accord. Il permet la rupture conventionnelle (la formule initialement proposée par le Medef était une « rupture à l’amiable ») et la rupture pour réalisation de l’objet défini au contrat (le contrat de mission, suggéré dans le rapport de Virville).
La rupture conventionnelle. Exclusive de la démission et du licenciement, cette rupture suppose la liberté de consentement des parties ; cette liberté est garantie par l’assistance de conseillers (délégué du personnel, délégué syndical…), par un droit de rétractation dans un délai de 15 jours suivant la signature, par l’homologation de l’accord par le directeur départemental du travail. Ce mode de rupture donne droit aux indemnités de rupture et aux allocations chômage. La sécurité juridique est garantie par l’accord, et après un délai de 15 jours, le silence du directeur départemental du travail vaut homologation.
Le contrat de mission. Ce type de contrat est réservé aux ingénieurs et cadres. Il s’agit d’un CDD d’une durée minimum de 18 mois et maximum de 36 mois. Il ne peut pas être renouvelée. Le recours à ce contrat est subordonné à la conclusion d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise. Il peut être rompu à la date anniversaire du contrat pour un motif réel et sérieux et donne lieu à indemnité de 10% des sommes versées (comme tout CDD). Ce dispositif a un « caractère expérimental » et doit être « évalué ».
Face à ces nouveaux modes de rupture, certains droits deviennent portables (article 14). Il en est ainsi des complémentaires santé et prévoyance pendant la période de chômage, mais aussi de l’accès au DIF. Les branches sont engagées à étendre ces mécanismes de portabilité. L’interprofessionnel a en charge d’assurer l’accès à la formation des salariés et chômeurs ; des négociations à venir traiteront la question du revenu de remplacement pour les chômeurs. Là, comme pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi, il s’agit de faire mieux (articles 16 et 17), renforcer les dispositifs, les rénover. L’article 18 évoque la nécessité de « s’inscrire dans un cadre de droits et devoir réciproques » sans en dire plus. Enfin, l’article 19 cherche à sécuriser le portage salarial et la branche du travail temporaire doit y veiller.
Que penser de ce dispositif ?
J’ai tenu à présenter l’ensemble des articles de cet accord. Il est important de donner des éléments objectifs au lecteur. En effet, Laurence Parisot n’hésite pas à dire qu’il est historique. La presse parle de « révolution », de flexisécurité à la française. Pourtant, d’autres (Bernard Brunhes, Pierre Cahuc dans des tribunes de journaux, Antoine Lyon-Caen à la radio) ont des visions plus modérées. Par exemple, Pierre Cahuc parle d’un « accord pour ne presque rien changer ». Ce sentiment correspond à ceux exprimés par les « modérés ».
Peut-on être modéré face à cet accord ? C’est possible dès lors que l’on y voit le début d’un processus, imparfait mais utile. Tous les sujets ont été abordés, du moins apparemment. De nombreux points donneront lieu à négociation dans les mois qui viennent. De nouveaux modes de rupture, plus simples et sécurisés ont été mis en place même s’ils ne nous rapprochent pas d’une situation idéale. Ainsi, la rupture à l’amiable est sécurisée par l’intervention de l’administration du Travail, ce qui semble un retour à l’Autorisation administrative de licenciement. Quelques éléments de sécurisation des parcours professionnels ont été mis en place et les salariés ne perdront pas tout, comme actuellement, dès qu’ils quittent l’entreprise où ils ont passé de nombreuses années.
Suis-je modéré face à cet accord ? Non ! Je suis déçu mais pas surpris. Je vois là un accord potentiellement dangereux, n’améliorant pas la situation des précaires ou des chômeurs, voire détériorant la situation de personnes en position pourtant forte, donnant l’impression que des choses se feront alors qu’aucun financement n’est prévu, et qu’aucun financement ne sera disponible dans l’état actuel des déficits publics. Cet accord, au contraire, risque de creuser le déficit de l’assurance-chômage, j’y reviendrai. Il est clairement le fruit d’organisations ayant besoin de signer « quelque chose », pas n’importe quoi mais, de fait, quelque chose dont le contenu est essentiellement vide (j’y reviendrai aussi) afin de mettre à distance l’Etat, le gouvernement, afin de les dissuader d’intervenir au cas où l’Etat aurait la moindre velléité de remettre le marché du travail sur de bons rails en modifiant (plus) profondément les institutions. C’est aussi le résultat d’un mauvais timing de la réforme ; on s’est attaqué au contrat en même temps qu’à la sécurisation et à l’accompagnement des chômeurs sans modifier les incitations des parties entrant en négociation.
Outre l’absence de financement des mesures de sécurisation, je vois quatre problèmes à l’accord.
Par l’introduction d’un contrat de mission réservé aux cadres et ingénieurs, il fragilise des personnes qui trouvaient un emploi en CDI sans trop de difficultés jusqu’à présent. Ce CDI est le Graal permettant de se loger ou d’emprunter « facilement » en France dans un marché perturbé. Une des raisons de proposer un contrat unique reposait explicitement sur la dualisation du marché du travail prévalant actuellement en contrats « stables » et contrats précaires, et des effets pervers en résultant.
Par l’introduction d’une rupture conventionnelle (à l’amiable), sans modifier les autres éléments de la législation actuelle, on ne s’attaque pas au vrai problème français : les règles du licenciement économique (voir les tribunes, co-écrite avec Olivier Blanchard et Pierre Cahuc sur la nécessité d’une telle réforme). Et encore, s’il ne s’agissait que d’économistes qui prônaient ce point de vue. Des juristes, tel Jean-Emmanuel Ray, commencent à être contaminés. Dans une interview aux Echos, il propose « d'affronter directement les questions du licenciement économique et du CDD » et dénonce les monstres juridiques, car, ironise-t-il « c’est tout sauf le juge » (pour le patronat).
Plus grave à court terme, la rupture conventionnelle, parce qu’elle permet de toucher les allocations chômage, va conduire à une explosion des dépenses car de nombreuses démissions (environ 20% des départs, selon les DMMO et EMMO) se transformeront en de telles ruptures. Rien n’est prévu dans l’accord pour éviter ceci, alors qu’un mécanisme de bonus-malus permettrait de l’éviter et obligerait l’entreprise à internaliser ses décisions ayant un impact sur la communauté, ici l’Unedic.
La plupart de ces mesures (par exemple le CDI de mission) ne s’appliqueront qu’après « conclusion d’un accord de branche étendu ou, à défaut, d’entreprise » ou, pour d’autres après des négociations interprofessionnelles, sans parler du financement. Les mesures sont essentiellement cosmétiques, par exemple la portabilité du DIF, lui-même peu adapté pour les personnes ayant vraiment besoin de formation longue pour conserver un emploi, et se re-former pour le moyen terme. Ainsi, l’accord agit comme un écran de fumée. Il donne l’impression que les problèmes sont résolus, alors que dans les faits rien ou presque ne changera, en particulier pour les PME.
Quelles seraient les solutions ? Le défaut majeur est d’avoir demandé à des syndicats dont les intérêts ne sont nullement ceux de l’ensemble des salariés ou des entreprises de négocier un accord. Il apparaît clairement, en particulier lors des débats au sein de la commission Attali (j’y suis conseiller spécial, ce qui m’a permis d’assister aux réunions sur ce thème et d’approfondir ma réflexion sur ce sujet complexe), en lisant le rapport Hadas-Lebel, ou en découvrant l’affaire « Gautier-Sauvagnac », que le financement des syndicats de salariés comme d’entreprises est un nœud de toute réforme à venir. Si l’on veut changer la formation continue en France, il est obligatoire de remplacer la source de financement qu’elle constitue pour ces syndicats par un mécanisme autre. Les syndicats sont très bien placés pour rendre de nombreux services, de l’accompagnement des salariés ou des chômeurs au conseil juridique en passant par la défense de leurs intérêts face aux entrepreneurs indélicats voire aux bailleurs. Ils peuvent mettre en place des mécanismes de mutualisation crédibles dès lors que leurs finances proviennent pour une part importante des services rendus aux salariés (par l’intermédiaire d’un chèque syndical par exemple). Les pays où les syndicats sont puissants sont aussi ceux où un syndicalisme « de services » s’est développé.
Du côté des entreprises, il est patent que les PME ne sont pas vraiment prises en compte dans les débats. Un autre juriste, Bertrand Nouel, le souligne dans une interview au Figaro. Il remarque en particulier que les PME n’ont en général pas de DRH, alors que l’accord qui vient d’être conclu est destiné en priorité aux grandes entreprises. Les travaux menés par Corinne Prost, Henri Fraisse et moi-même sur les Prud’hommes démontrent que le taux de recours est très élevé (environ 30%, correspondant à 200 000 cas chaque année, nombre bien supérieur à ce que l’on observe dans d’autres pays), et qu’à 90% il s’agit de petites entreprises (moins de 10 salariés) pour des licenciements non pas économiques mais pour motif personnel. Le licenciement économique est ainsi devenu très largement minoritaire au sein des départs, voire au sein des licenciements.
Une fois la question de la représentativité et du financement des organisations représentant salariés et entreprises résolus, le paysage sera éclairci. Il sera alors temps de s’attaquer sérieusement aux vrais problèmes : des garanties sérieuses et financées aux salariés les plus fragiles pour les accompagner – par exemple des droits à n années d’éducation, qui s’ils n’ont pas été épuisés en formation initiale doivent pouvoir l’être au cours de la vie professionnelle ; un accompagnement personnalisé fait de droits garantis et de devoirs clairs, le licenciement économique permis pour tout motif économique, le juge devant juste vérifier la réalité du motif économique, comme dans les autres pays…
La France a trop souffert de réformes partielles de son marché du travail. L’accord actuel aurait pu être un pas utile dans la bonne direction car les négociateurs s’attaquaient aux vrais problèmes, pas à tous certes, mais à une partie significative d’entre eux. Malheureusement, les jeunes sans emploi, les chômeurs, les entrepreneurs devront encore attendre… Sauf si l’Etat prend ses responsabilités et se substitue aux négociateurs. Mais cette solution est peu probable car comment désavouer des organisations ayant réussi à s’entendre, plus pour leur bien que pour le bien commun.
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