Les statistiques ethniques sont-elles contraires à la Constitution ? edit
Le Conseil Constitutionnel vient de juger les statistiques dites « ethniques » non conformes à l’article 1 de la Constitution qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Prenons ce jugement au sérieux et réfléchissons à l’extension de son application à d’autres variables statistiques : celles portant sur le sexe des personnes.
Le préambule de la Constitution française de 1946, maintenu en vigueur par la Constitution de 1958, proclame que « tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. (...) La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, les droits égaux à ceux de l’homme ». De même, le Traité européen signé à Amsterdam en 2000 proclame la nécessité de lutter contre toutes les formes de discriminations « fondées sur le sexe, la race, ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ». Ainsi la Constitution stipule que l’individu ne peut être réduit à son origine ou à son sexe.
Raisonnons alors par l’absurde. Pourquoi refuser des statistiques sur l’origine ethnique et autoriser des statistiques sur l’origine sexuelle ? Les unes et les autres, en enfermant l’individu dans des catégories identitaires et en réduisant cette identité à des critères d’un autre temps, violent manifestement les principes constitutionnels.
Les termes de la pétition initiée par SOS Racisme contre les « statistiques ethniques » devraient aussi s’appliquer aux statistiques « sexuées » : prétendre que l’action en faveur de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes repose sur l’établissement de statistiques « sexuées » est une manipulation intellectuelle et politique, car on ne combat pas les phénomènes discriminatoires à l’aide de marqueurs identitaires.
Pourtant, non seulement il est actuellement possible à tout enquêteur de demander le sexe d’un individu interrogé dans le cadre d’enquêtes menées auprès des ménages, mais, de plus, les nombreux fichiers administratifs qui contiennent le numéro de sécurité sociale (dit numéro NIR) permettent de reconstruire et connaître l’identité sexuelle de tout individu, sans que jamais l’accord de ce dernier ne lui ait été demandé. Or ces fichiers administratifs sont aux mains de l’Etat, rendant la situation potentiellement dangereuse pour nos concitoyens. Qui peut assurer que ces statistiques « sexuées » ne seront pas un jour utilisées à des fins politiques bien éloignées des principes républicains ? Qui peut assurer qu’elles ne serviront pas à « trier » les ménages selon le nombre d’hommes ou de femmes qui y vivent ? Qu’elles ne serviront pas à une chasse aux femmes telle que peuvent la pratiquer certains pays étrangers ? La présence de statistiques « sexuées » dans les fichiers administratifs rend la situation encore plus dangereuse que pour les statistiques ethniques qui, selon l’article 63, devaient être limitées aux enquêtes auprès des ménages et nécessitent le consentement de la personne.
Si, comme le suggèrent de nombreuses associations, dont SOS Racisme, le « testing » à large échelle est la meilleure solution pour lutter contre la discrimination selon l’origine, il doit aussi s’appliquer à la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes, voire des hommes. Le testing devrait ainsi suffire à combattre les écarts de salaires entre hommes et femmes, en l’absence de toute statistique sur les salaires par sexe. Des inspecteurs du travail pourraient ainsi venir au moment des négociations salariales et lorsque les décisions de promotion ou d’embauche sont prises. Il serait donc possible de s’inspirer des procédures décrites par Claudia Goldin et Cecilia Rouse dans leur article « Orchestrating Impartiality : the Effect of Blind Auditions on Female Musicians » publié dans l’American Economic Review en 2000. La mention du sexe dans les CV devrait être interdite. A l’inverse, parce qu’il est inadmissible que les femmes soient plus facilement acceptées dans les « boites de nuit » que les hommes, qui se morfondent à l’entrée, le testing serait là encore efficace, surtout s’il était pratiqué à grande échelle le vendredi ou le samedi soir.
C’est pourquoi, en poussant la logique au bout, nous devrions demander à des députés et sénateurs courageux de saisir le Conseil Constitutionnel pour faire reconnaître que les statistiques sexuées sont contraires aux principes fondateurs de notre République et de sa Constitution. Ceci ne constitue qu’une étape ; la mesure de l’âge devrait aussi être bannie de nos enquêtes et surtout il faudrait rendre le NIR sans âge comme il aura été rendu asexué.
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