Stop & go et autres options: un dilemme politique et sanitaire edit
Face à la persistance du COVID-19, le gouvernement français semble encore hésiter sur la démarche à suivre. Même s’il faut rester extrêmement prudent tant que la pandémie n’est pas terminée, il nous a semblé utile de tenter un premier bilan d’étape pour éclairer les choix que notre pays et l’Europe vont devoir faire de manière imminente. L’année qui vient de s’écouler offre un peu de recul sur les différences de stratégies de gestion de la pandémie entre les pays et les continents, et sur leur efficacité comparée. Ce bilan comparatif permet de rappeler qu’un confinement n’est pas une fin en soi, mais un outil qui s’inscrit dans une stratégie. Il ne se juge pas sur ses modalités mais sur l’ensemble des objectifs qu’il vise. En janvier 2020, trois stratégies très contrastées ont vu le jour pour répondre à la pandémie. Celle de l’immunité collective, celle de l’atténuation de la propagation du virus (appelée aussi « stop & go ») et celle de la suppression du virus (appelée aussi « zéro covid »).
Le premier constat est que tous les pays qui avaient choisi, plus ou moins clairement, la stratégie de l’immunité collective (Suède, Grande-Bretagne, États-Unis, Brésil), y ont renoncé face aux morts qui s’accumulaient, au chaos sanitaire, au désordre social présent, et aux incertitudes sur l’avenir. La prévalence du SarS-CoV2 dans la population restait à des niveaux bien trop faibles pour espérer atteindre le taux de 70%, considéré comme le seuil de l’immunité de groupe. Le cas de Manaus au Brésil avec une contamination de l’ordre de 75% de la population a également montré le risque de laisser filer la viralité. Une nouvelle lignée a émergé entre temps, la P1, qui devient une source de préoccupation planétaire par la portée de ses mutations et sa capacité de propagation. Ces pays ont atteint des niveaux très élevés de décès. Sur ce premier graphique, on voit la différence spectaculaire en nombre de morts par million d’habitants entre les pays qui ont fait le choix de l’immunité collective et ceux qui ont choisi la stratégie de la suppression.
Aujourd’hui, et en attendant d'avoir vacciné un pourcentage suffisant de la population, on n'observe dans le monde que deux stratégies.
La première consiste à confiner sur une durée courte et avec de nombreuses dérogations. L’objectif principal du confinement est d’empêcher la saturation des services de réanimation des hôpitaux, en « aplatissant » la courbe des contaminations, tout en permettant un maintien de l’activité économique : « On ne peut pas empêcher un virus de circuler… mais on peut éviter que trop de malades ne se contaminent d’un seul coup », expliquait ainsi, le 9 mars 2020, le ministre de la santé, Olivier Véran.
Cette stratégie d’atténuation de la contamination est qualifiée de « stop & go », parce qu’elle alterne des périodes de restriction avec des périodes de relâchement. L’objectif des mesures de restriction (couvre-feu, fermeture des bars et restaurants, etc.) est de faire redescendre le nombre de cas quotidiens au-dessous d’un seuil « acceptable ». Le chiffre le plus souvent évoqué pour la France est de 5000 cas par jour, considéré comme le seuil à atteindre pour sortir de ce semi-confinement. C’était l’objectif qu’avait fixé Emmanuel Macron, lors de l’annonce du deuxième confinement, le 28 octobre. On notera que de début novembre à début février, nous n’avons jamais réussi à atteindre ce seuil.
L’autre stratégie, qui implique des mesures très strictes, prises très tôt, dont le confinement et la limitation d’accès au territoire, vise la « suppression » du COVID-19. Cette stratégie appelée également « zéro covid »[1] se fixe pour but d’atteindre 10 cas par million d’habitants, soit 670 cas par jour au maximum pour un pays comme la France. Cette stratégie cherche donc à « éliminer » le virus, plutôt qu’à atténuer sa propagation. Pour ce faire, il réduit le nombre de cas à un niveau suffisamment bas pour que le recours au dépistage, au traçage des cas-contacts, à l'isolement et au soutien des personnes testées positives, puisse réellement circonscrire les foyers infectieux et protéger le reste de la communauté. C’est la stratégie choisie par un grand nombre de pays asiatiques (Chine, Vietnam, Thaïlande, Taiwan, Corée du Sud, Japon, Singapour), ou du Pacifique (Australie, Nouvelle Zélande).
Peut-on comparer l’efficacité de ces deux stratégies ? Plusieurs études donnent des indications intéressantes.
Une étude de l’Université d’Auckland montre par exemple que l’évolution du taux de reproduction du virus – Ro – est directement liée à la sévérité et la rapidité des mesures de confinement. Les chercheurs ont analysé la courbe de l'épidémie de COVID-19 dans 25 pays, et modélisé l'évolution de la propagation du virus en réponse aux différentes mesures de restriction des interactions sociales, dont le confinement. Dans la figure ci-dessous les niveaux 1 et 2 représentent des contrôles relativement souples, tandis que les niveaux 3 et 4 sont plus stricts. On observe dans la courbe de l’Etat de Nouvelle Galles du Sud qu’un confinement strict, décidé très tôt – quinze jours après l’apparition du 100e cas – provoque une chute rapide du Ro qui atteint 0,4 en dix jours. On voit également dans les courbes britannique, suédoise, italienne et new-yorkaise que le caractère tardif et trop souple des mesures prises a pour effet paradoxal d’une part d’allonger la durée nécessaire des restrictions pour retrouver des conditions de vie plus acceptables, d’autre part, malgré la durée des restrictions, de ne pas réussir à franchir significativement le seuil fatidique Ro = 1, à partir duquel la contamination régresse. Le passage en-dessous de ce seuil est pourtant décisif.
On peut aussi évaluer l’efficacité des mesures de restrictions en comparant le premier et le deuxième confinement en France. Le graphique suivant montre clairement que le second confinement, plus léger, ne parvient pas à infléchir la courbe des décès comme l’a fait le premier. Le nombre total de morts au second semestre est supérieur à celui du premier semestre.
Il existe également un outil remarquable, le « COVID Performance Index » du think tank australien “Lowy Institute”. Il combine six critères quantitatifs et mesure la performance des pays et des continents dans leur lutte contre la pandémie, après l’apparition du 100e cas sur leurs territoires. Il apparaît clairement sur le graphique que les pays de la région Asie-Pacifique ont réussi à contenir la pandémie tandis que l’Europe, après avoir réussi à maîtriser la première vague, est submergée par la seconde. Elle fait mieux que le continent américain en moyenne, mais pas en tendance. Il faut noter que la France occupe une modeste 73e place dans le classement par pays de cet indicateur qui compare 89 pays.
Aussi précoce soit le confinement, aucune stratégie ne peut réussir si, à la sortie de celui-ci, une politique de « tester, tracer et isoler » n’est pas mise en place. Le confinement est l’arme ultime quand la viralité n’est plus sous contrôle, mais cet énorme effort demandé à la population s’avère peu utile s’il n’est pas accompagné d’une politique adaptée pour circonscrire tous les foyers de résurgence et protéger le reste de la population. L’exemple chinois a été le plus spectaculaire, mais tous les pays qui ont réussi à éteindre les incendies dès les départs de feu ont eu une stratégie similaire. Constituer des équipes de terrain qui interviennent dès qu’un cas est signalé, qui définit une zone et une population à tester, grâce à un traçage qui se fait le plus vite possible, pour délimiter le territoire à sécuriser. Cela peut aller d’un quartier à une ville et même une région. Les personnes positives sont isolées et accompagnées pendant toute leur « quarantaine ». En Australie, la ville de Perth a été confinée pendant cinq jours à cause d’un cas de Covid. Un seul cas. La France a échoué à l’issue du premier confinement, parce que son gouvernement n’a pas compris qu’il n’était pas possible de dissocier les trois volets du triptyque tester-tracer-isoler, et que seule l’intervention sur le terrain au plus près des foyers d’infection était efficace. Vouloir tester massivement est une excellente chose, à condition de définir des priorités de test, de ne pas dissocier dépistage et traçage, et de vérifier que l’isolement est bien respecté. En confiant aux laboratoires privés le soin de faire les tests, en créant une plateforme téléphonique nationale pour opérer le traçage et en renonçant au contrôle de l’isolement, le gouvernement n’a pas réussi à contenir le rebond de la contamination qui a commencé autour du 15 août, alors même que le confinement du printemps avait fait descendre le Ro à un niveau très bas. L’incapacité à partager une feuille de route avec les autorités locales, à faire adhérer une diversité d’acteurs de la santé et à les mobiliser sur des objectifs clairs, a fait le reste.
On oppose plusieurs arguments à ces études comparatives. D’abord, concernant la stratégie zéro Covid des pays asiatiques, une prédisposition culturelle des populations à accepter des restrictions de liberté et une discipline citoyenne plus développée. Mais cet argument n’est pas pertinent pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande dont les peuples sont autant épris de liberté individuelle que les Européens ou les Américains. Pour ces deux pays, en revanche, il y a un facteur géographique : l’insularité et la distance. Même si plusieurs États européens avaient choisi la stratégie de la suppression, la proximité de pays voisins ayant fait d’autres choix aurait handicapé cette politique. Ces arguments sont tout à fait sérieux et ils plaident pour une stratégie coordonnée à l’échelle européenne. On avance enfin un argument économique qui lui s’avère complétement faux. Le « stop & go » serait moins coûteux que le « zéro covid » parce que l’impact sur la machine économique serait moindre. Même si l’on a des doutes sur les chiffres publiés par la Chine, il suffit de comparer l’évolution des PIB de la France et de la Corée du Sud pour se convaincre que la supériorité économique de mesures légères et tardives n’est pas évidente.
De façon générale, les économies de la région Asie-Pacifique se redressent plus rapidement. Et ce sont des pays où le nombre total de décès par million d'habitants est constamment inférieur à dix.
L’ensemble de ces données explique pourquoi près de 7000 scientifiques ont signé le « John Snow Mémorandum »[2] rappelant que « l'objectif des restrictions est de supprimer efficacement les infections par le CoV-2 du SRAS jusqu’à les réduire à de faibles niveaux qui permettent une détection rapide des foyers localisés et une réaction rapide grâce à des systèmes efficaces et complets de recherche, de test, de traçage, d'isolement et de soutien, afin que la vie puisse revenir à une situation quasi normale sans qu'il soit nécessaire de recourir à des restrictions généralisées. La protection de nos économies est inextricablement liée au contrôle de la COVID-19 ».
Est-il possible aujourd’hui aux gouvernements européens de changer de stratégie ? Angela Merkel a tenté de le faire en Allemagne mais s’est heurtée au refus des Länder, compétents en matière de santé publique. Le Pr Christian Drosten l’avait convaincue que le zéro covid était la bonne stratégie. Elle a alors proposé un « Méga Lockdown » pour remettre les compteurs à zéro, dans une logique de suppression. L’opposition des dirigeants des Länder, sociaux-démocrates en particulier, ont eu raison de sa démarche, qui a fini dans un compromis acté le 19 janvier, et mis en œuvre actuellement. Si la Chancelière avait gagné cette bataille à l’échelle du pays, elle avait l’intention de la porter au niveau européen, lors du sommet du 21 janvier. La France, quant à elle, n’a pas pris l’option de peser dans une décision européenne, pour entraîner une majorité des pays du continent vers une politique de zéro covid. Elle a même choisi l’option inverse. Alors que le 31 janvier plusieurs ministres affirmaient qu’un confinement plus strict était nécessaire, à cause de la contagiosité des nouvelles lignées du virus, c’est la décision opposée qui a été annoncée le lendemain 1er février sans explications détaillées.
Le manque d’explication et de transparence est un véritable drame. Les populations en Europe sont épuisées, découragées face à un an d’ouvertures, fermetures, couvre-feux, qui par manque de pédagogie et de cohérence, ont aggravé la méfiance envers le pouvoir. Dans un article[3] publié dans The Lancet en septembre 2020, une équipe internationale de scientifiques a énoncé quatre facteurs clés pour gérer la crise : un système efficace de test, de traçage, d'isolement et de soutien ; un plan clair avec un processus décisionnel transparent de la part du gouvernement ; des systèmes robustes de collecte de données permettant de suivre de près la situation de l'infection avant d'assouplir les restrictions ; des mesures de contrôle prolongées pour réduire la transmission du coronavirus à commencer par les masques et la distanciation sociale. L’Europe est encore loin du compte. La rapide évolution des variantes laissera-t-elle une marge de manœuvre aux gouvernants ? Les scientifiques en Europe travaillent dans l’urgence pour comprendre cette viralité accrue et tirent la sonnette d’alarme sur les risques de ces mutations. Une véritable course contre la montre est engagée et, pour le moment, l’avantage est à la viralité.
Les gouvernements européens risquent d’être acculés à l’option « suppression » dans les pires circonstances : une crédibilité entamée, une population épuisée et irritée, une économie déjà fortement ébranlée. La vaccination des seules populations « à risque » peut s’avérer insuffisante. Si le virus continue à circuler au sein d’une population « sans risque », la probabilité qu’il mute reste forte. Et l’on constate que les mutations génèrent des lignées plus dangereuses, dont certaines peuvent affaiblir l’efficacité des vaccins. Aujourd'hui, l'indicateur le plus important n'est peut-être plus le nombre de décès, ni le nombre de malades en réanimation, mais la vitesse de mutation du virus. Dans la course de vitesse entre mutation et vaccination, seule une campagne de vaccination qui serait achevée avant la fin de l’été pourrait garantir une sortie de la crise. Le président de la République en a fait la promesse. Espérons qu’elle soit tenue.
[1]“Lessons learnt from easing COVID-19 restrictions: an analysis of countries and regions in Asia Pacific and Europe”, The Lancet, september 2020.
[2] The John Snow Memorandum, “Scientific consensus on the COVID-19 pandemic: we need to act now”, The Lancet, octobre 2020.
[3] “Lessons learnt from easing COVID-19 restrictions: an analysis of countries and regions in Asia Pacific and Europe”, op. cit.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)