Universités : l’incroyable classement des Mines edit
Le nouveau classement international des établissements d’enseignement supérieur établi par l’Ecole des Mines de Paris est pour le moins surprenant. Il est présenté comme un contre-classement de celui dit de Shanghaï, qui fait désormais référence. Jusqu’à maintenant, les critiques émises en France pour contester la mauvaise position des établissements nationaux portaient sur les modalités de prise en compte des performances en matière de recherche, mesurées principalement par le nombre de publications des chercheurs : surreprésentation des revues anglo-saxonnes, mauvais référencement des auteurs ou petite taille des établissements français. L’Ecole des Mines innove en remettant en cause le fondement même du classement. Elle change de thermomètre en adoptant un autre registre que l’activité de recherche, celui du devenir professionnel des anciens étudiants, mesuré à travers le seul critère des formations suivies par les PDG des 500 plus grandes entreprises mondiales en 2006.
Ce choix est d’abord révélateur du fait que les « très grandes écoles » françaises ne reconnaissent pas la recherche comme critère universel d’excellence académique. Même si elles se sont tardivement mises à délivrer des doctorats, leur ambition première reste d’être des écoles de pouvoir qui sélectionnent et classent les futures élites selon un principe bien connu : on prend les meilleurs à l’entrée, qui seront toujours les meilleurs à la sortie, la formation donnée dans l’intervalle important finalement peu. À ce jeu-là, les effectifs restreints ne sont plus un handicap, mais un atout : moins on a d’élèves, plus grande est leur probabilité de réussite. En imposant au reste du monde leur propre critère d’excellence, il n’est pas étonnant que ces grandes écoles s’en sortent extraordinairement bien, avec cinq établissements parmi les dix premiers !
Passons sur le caractère un peu rudimentaire de la méthode : la réussite des débouchés n’est mesurée qu’à travers les seuls détenteurs du pouvoir économique, qui plus est réduit aux seuls managers généralistes de grandes entreprises qu’ils n’ont pas créées (ça tombe bien, c’est ce que nos grandes écoles produisent le mieux…). Aucune place dans ce gotha pour les spécialistes pointus de l’innovation ou du marketing, ou pour les fondateurs d’activités nouvelles.
Plus gênant, les PDG retenus ayant souvent l’âge d’avoir été formés dans les années 1960 ou 1970, l’étude ne peut fournir qu’une hiérarchie datée des établissements. Et surtout, elle serait significative s’il existait un véritable marché international des dirigeants. Or, dans ces entreprises « multinationales », les PDG restent très souvent de la nationalité du siège social. Parmi les 38 entreprises considérées comme françaises dans les 500, 37 ont ainsi un PDG français, 7 Français dirigeant par ailleurs des entreprises considérées comme « étrangères » (Arcelor et EADS comprises…). Et parmi ces 44 PDG français, un seul a fait l’ensemble de ses études supérieures à l’étranger (à Lausanne…). Dans l’autre sens, un seul des 456 PDG étrangers (un Espagnol originaire de Casablanca) a fait ses études en France. Le poids global des établissements français est donc largement le reflet mécanique du poids des entreprises françaises dans ce classement. Or, avec 38 entreprises, la France s’en sort plutôt bien, l’Allemagne n’en ayant par exemple que 34, dirigées pour 31 d’entre elles par des Allemands. À l’évidence, la France est mieux placée que son poids économique réel. Elle a, on le sait, un certain nombre de grandes entreprises, mais pas assez de PME solides pour exister à l’international.
Cette position remarquable parmi les dix premiers de cinq établissements français n’est que le reflet d’une exception nationale. Ils sont les arbres qui cachent… un désert. Le suivant (Paris Dauphine) arrive 60e ex aequo, avec deux occurrences seulement, tous les autres occupant les dernières places avec une occurrence unique. En tout, seules cinq universités françaises sont classées, et encore pour deux d’entre elles avec des patrons en poste dans des entreprises étrangères. Les grandes écoles de province sont absentes, à une école d’ingénieurs de Toulouse près. Le classement de Polytechnique (4e), de HEC (5e), de Sciences Po Paris (8e), de l’ENA (9e) et de l’Ecole des Mines de Paris (10e) n’est donc que le résultat mécanique de leur accaparement extraordinaire des formations des PDG nationaux : plus des trois quarts sortent de l’une d’entre elles, la plupart étant passés par plusieurs. Les Mines de Paris ne doivent ainsi leur bonne place qu’à leur privilège d’être l’école d’application obligatoire pour entrer, à la sortie de Polytechnique, dans le prestigieux corps des Mines. Sciences Po n’existe à une exception près (un héritier Michelin qui n’en a pas eu besoin) que comme établissement de préparation à l’ENA. À l’inverse, le fait que le premier établissement allemand (l’université de Göttingen) ne soit que 26e n’est que le résultat d’une grande diversité des filières possibles outre-Rhin : les PDG allemands sont issus de presque autant d’établissements universitaires, le fait que quelques-uns soient un peu mieux classés avec deux ou trois occurrences n’établissant pas une hiérarchie significative.
Rien ne permet de dire que la concentration française entre cinq établissements soit un indicateur d’une meilleure qualité de leur formation. Le rayonnement de ces écoles d’élite s’arrête d’ailleurs aux frontières de l’hexagone : il est révélateur qu’un seul des quatre PDG français en poste dans une entreprise véritablement étrangère en ait eu besoin pour faire carrière.
Vous pouvez consulter le classement ici.
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