Borloo : un choix lourd de conséquences edit
La décision de Jean-Louis Borloo de quitter l’UMP pour créer un nouveau parti de centre-droit, « alternative au PS et à l’UMP », est un acte politique de première importance dans le paysage politique français, et dont les conséquences pourraient être majeures.
À la différence de l’entreprise de François Bayrou et de la création du Modem, le projet de Jean-Louis Borloo entend s’inscrire dans le cadre de l’actuelle majorité. Il s’agirait, d’une certaine façon, de recréer l’UDF et de faire à nouveau marcher la droite sur deux jambes, l’une gaulliste et l’autre centriste. Une telle entreprise est très risquée pour plusieurs raisons, les unes anciennes, les autres plus récentes.
Il faut d’abord rappeler que la création en 2002 de l’UMP, résultant de la fusion du RPR et de l’UDF, n’était pas seulement le résultat d’un projet du parti gaulliste de dominer l’ensemble de la droite et de détruire un allié-adversaire qui à plusieurs reprises avait menacé sa qualification pour le second tour de l’élection présidentielle. Il résultait également d’un calcul rationnel d’une grande majorité des élus de droite poussant à s’adapter à la logique du scrutin présidentiel pour donner à la droite modérée toutes les chances de franchir le premier tour de cette élection avec succès. Il s’agissait ainsi de mettre fin à une concurrence dangereuse entre les deux partis de droite, qui ne se justifiait pas, compte tenu de l’alliance stratégique entre les deux partis et de la proximité idéologique de leurs électeurs respectifs. La création de l’UMP s’opéra avec le soutien de la majeure partie des élus UDF et la tentative de François Bayrou échoua plus tard, précisément du fait de la perte du tissu des élus de l’UDF. La création de l’UMP contribua fortement à la fois à la qualification de Nicolas Sarkozy pour le second tour de l’élection présidentielle, puis à son élection.
Si demain Jean-Louis Borloo décide, dans la suite logique de sa décision de recréer une sorte d’UDF, de se présenter à l’élection présidentielle de 2012, il renouvelle les conditions d’une concurrence avec l’UMP qui, une nouvelle fois, peut menacer les chances de victoire de la droite, le premier tour de l’élection présidentielle redevenant pour celle-ci la primaire qu’elle était avant la création de l’UMP.
À côté des raisons anciennes, qui demeurent valables du point de vue du fonctionnement de notre système politique, de réunir la droite modérée en un seul grand parti s’en est ajoutée depuis le début du siècle une nouvelle, plus forte encore, celle du développement d’un fort électorat d’extrême-droite, trouvant dans le Front national une structure politique d’accueil. En 2002, c’est le Parti socialiste qui a pâti de la multiplication des candidats à gauche et a été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle. En 2012, si Jean-Louis Borloo est candidat et obtient un score significatif, il est très probable qu’aucun candidat de la droite modérée n’atteindra le second tour. En outre, si le second tour de l’élection présidentielle oppose le candidat socialiste à celui du Front national, la droite modérée accentuera encore ses divisions entre les deux tours. L’UMP cherchera à se venger lors des législatives et si la droite se divise également dans une grande partie des circonscriptions législatives, et compte tenu du niveau électoral probable du FN, elle risque de connaître une défaite historique.
Si cette analyse est exacte, comment expliquer la stratégie de Jean-Louis Borloo ? Il ne peut ignorer que sa candidature entraînerait presque certainement l’élimination de la droite modérée au premier tour de l’élection présidentielle. Et il sait que du coup, les morceaux de la droite seraient difficiles ensuite à recoller. En donnant la victoire aux socialistes, que peut-il espérer ? La seule réponse rationnelle est qu’il fait avec ses amis le pari que de toutes manières Nicolas Sarkozy sera battu à la prochaine élection et que la majorité perdra les élections législatives. Dans ces conditions, les prochaines échéances électorales pourraient lui permettre d’asseoir sa popularité et sa crédibilité politique et de regrouper autour de lui une droite modérée orpheline d’une défaite qui se traduirait par l’éclatement de l’UMP en préparant l’éventuelle alternance de 2017. Une sorte de création de l’UMP à l’envers, le remplaçant de l’UDF recueillant cette fois les restes d’un parti gaulliste éclaté. Ce faisant, l’aile droite de l’UMP serait tentée par une alliance avec le FN et la droite centriste-modérée risquerait de subir à nouveau le sort du centre sous la Ve république, coincée entre un fort parti de droite nationale et la gauche.
Dans ce scénario catastrophe pour la droite modérée, il est difficile de trouver les avantages que celle-ci pourrait tirer de la bataille ouverte avec l’UMP. Que signifie en effet, à la différence de Bayrou, la volonté déclarée de Jean-Louis Borloo de demeurer dans la majorité et de conserver l’alliance du centre avec l’UMP si la première et forte manifestation de cette intention se traduit pas un duel PS-FN au second tour de scrutin ? Certes, le calcul de Borloo peut être que sa candidature détachera du PS la partie centriste de son électorat. Peut-être. Mais s’il demeure l’allié de l’UMP, cette partie risque d’être faible. Bref, il est aisé de voir les risques pris par Jean-Louis Borloo mais difficile pour l’instant de voir les bénéfices réels qu’il pourrait tirer de sa nouvelle stratégie.
Cette rupture entre Borloo et une partie de la composante centriste de l’UMP d’une part et la direction de ce parti d’autre part signe également le grave échec de l’UMP, et donc du président de la République d’abord, à faire de ce parti le grand parti pluraliste de la droite modérée qu’il devait nécessairement devenir pour s’enraciner et réussir. Ici, la responsabilité du président est fortement engagée. La diversité historique de la droite française ne pouvait pas disparaître avec la création de l’UMP. Celle-ci devait donc faire vivre, organiser et canaliser cette diversité. Sa direction n’a pas su ou voulu le faire. La droite est désormais divisée en trois tronçons dont le nouveau parti de Jean-Louis Borloo risque d’être le plus petit. La droite est en morceaux. Reste au Parti socialiste à savoir profiter de cette situation et de gagner une élection qui, cette fois, est réellement imperdable sur le papier !
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