Laïcité : sur une polémique française edit
La charge du Premier ministre sur le Président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, le mettant en cause, principalement, pour avoir joint sa signature à un manifeste contre le terrorisme en novembre dernier, à l’initiative d’une association, Coexister, qui prône le dialogue interreligieux, où des associations musulmanes controversées ont apposé également leurs signatures, a attiré l’attention des média sur les oppositions qui existent dans le monde laïque. Les « excommunications » ont tendance à y fleurir plus souvent parfois que dans l’Eglise catholique aujourd’hui ! C’est un signe de tension indéniable qui tient beaucoup au mouvement de réaffirmation des religions, particulièrement de l’Islam, dans notre société, où, de fait, les religions ne structurent plus la vie d’une majorité de la population, et, qui plus est, dans un contexte rendu dramatique par la guerre que mène Daech aujourd’hui.
Évidemment, dans la polémique qui a eu lieu à propos de l’Observatoire de la laïcité, créé par décret par Jacques Chirac en 2008, mais installé formellement par François Hollande le 5 avril 2013 seulement, il faut faire la part des heurts des personnes, et d’associations. La présidence de ce jeune organisme a été (est ?) un enjeu compte tenu de la place de la laïcité dans le débat national. Et son actuel président a été immédiatement en butte aux critiques de courants qui avaient établi une influence dominante sur l’ancienne organisation, le Haut Conseil à l’intégration, dissous pour faire place à l’Observatoire, qui a été voulu par le gouvernement pluraliste, mêlant des parlementaires de gauche et de droite, des personnalités qualifiées d’horizons divers, des représentants des ministères concernés. Rattaché aux services du Premier ministre, pour faire un état des lieux de la laïcité en France, par la rédaction d’un rapport annuel à la disposition du gouvernement, l’Observatoire peut être saisi par le gouvernement pour lui donner des avis et peut, également s’autosaisir selon les problèmes qui lui paraissent importants. La nomination d’une personnalité politique –et non d’un haut fonctionnaire- rend difficile de ne pas participer au débat public quand celui-ci est sollicité par la presse. Toute prise de position peut, alors, amener des divergences dans le climat actuel, quelle que soit la réponse donnée…
Cela ne doit pas être oublié pour comprendre ce qui se passe à l’arrière-fond de la polémique. Mais le plus important est le fond. Le reproche qui est fait à Jean-Louis Bianco, et, par là-même, à l’Observatoire, avec la majorité de ses membres, est d’accepter trop « d’accommodements » dans l’application du principe de la laïcité. Et, même, lorsqu’on lit les textes du Comité Laïcité République, par exemple – ou tout simplement les articles de Marianne, de verser quasiment dans le multiculturalisme, et donc, sur une pente communautariste… Ce n’est guère lire ses avis et ses publications, particulièrement, ses Guides de la laïcité, pour les collectivités locales, les associations, les entreprises, etc… qui ont tous été rédigés en observant le droit strict de la laïcité. Mais, si les pièces officielles ne suffisent pas, pour permettre une discussion « raisonnable », c’est qu’il y a une tension plus profonde.
Certes, le débat n’en est plus strictement le face à face de 1905, au moment de la loi de Séparation des Églises et de l’État, entre Aristide Briand et Jean Jaurès, défenseurs de la liberté de conscience et Émile Combes et Maurice Allard, partisans d’interdire aux religions de s’exprimer dans l’espace public. Seule une petite minorité des courants laïques raisonne encore ainsi. La grande majorité a fait sienne la philosophie de la loi de 1905, si bien exprimée par Aristide Briand, « l’Église libre dans un Etat libre », reprenant une formule de Victor Hugo. Au-delà de tout débat sur les traductions concrètes de la loi de 1905 dans la société actuelle, trois principes demeurent fondamentaux, et doivent être bien compris pour ce qu’ils sont, la liberté de conscience, la liberté des cultes dans les limites de l’ordre public, la neutralité de l’État. Cela rassemble (ou devrait rassembler) la plupart des défenseurs de la laïcité par delà leurs sensibilités propres, plus accueillantes à la diversité de notre société ou plus soucieuses de son unité.
Les différences, cependant, et les oppositions d’interprétation et de comportements, viennent d’une reformulation du débat du début du XXe siècle, sur deux principes, soit la laïcité concerne essentiellement l’Etat, les actes et les services publics, au premier chef l’Ecole, soit elle veut tendre à laïciser la société elle-même. La présence de l’Islam et sa difficulté culturelle à distinguer un exercice libre de la religion d’une emprise sur la société radicalisent cette opposition. On reconnaît là ce qui sous tend les controverses récentes sur le port du foulard dans les crèches privées, à l’Université, dans l’accompagnement des sorties scolaires etc. Jean-Louis Bianco, et, encore une fois, la majorité des membres de l’Observatoire tiennent à ce qu’on fasse une claire distinction entre trois espaces, même s’il y a des difficultés concrètes qu’il faut alors examiner au cas par cas : l’espace privé où la liberté est totale, à partir du moment évidemment où la loi est respectée, l’espace public, qui inclut l’État, les services publics, les collectivités locales et les institutions scolaires (écoles, collèges, lycées), l’espace commun, enfin, qui est d’usage pour tous, comme la rue par exemple. Les règles de la laïcité ne peuvent pas s’appliquer de la même manière selon le type d’espace.
C’est ce que savaient les grands républicains, Aristide Briand, Jean Jaurès et Georges Clémenceau ! Essayer de raisonner posément, j’allais dire en toute fraternité laïque… devrait pouvoir éviter de monter aux extrêmes pour rendre impossible un débat pourtant utile. À un moment où effectivement la société française a besoin de se rassembler, raisonner posément éviterait de dangereuses instrumentalisations politiques de l’idée laïque. Comme le disait récemment Michel Rocard : « Il y a une espèce de joie de vivre de beaucoup de gens à faire qu’on quitte la réalité et qu’on se bat sur des symboles. Les symboles, c’est très important, nous en vivons, nous y sommes accrochés, mais quand on quitte la réalité, on ne fait pas de bien au pays » !
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