L’exception culturelle, version Filippetti edit
Selon les déclarations d’Aurélie Filippetti au Monde (9 septembre), « on traverse une crise économique d’une gravité inouïe et tout le monde doit être mis à contribution ». Pour le reste, il est difficile pour d’en savoir plus, tant la nouvelle occupante de la rue de Valois semble cheminer sur du sable et jouer aux jeux de pistes.
Arbitrage choc : la ministre a décidé de sabrer plusieurs projets engagés par le gouvernement précédent. Exit la Maison de l’Histoire de France, exit la création d’un musée de la photo à l’hôtel de Nevers, exit la quatrième tranche sur la grotte de Lascaux, exit une salle supplémentaire pour la Comédie-Française, exit le nouveau Centre national de la musique, bref, exit « certains projets annoncés avec légèreté, et pour l’essentiel, non budgétés par l’équipe Sarkozy ». Ces renoncements ne bouleverseront pas grand monde : la Maison de l’Histoire de France avait suscité une vive polémique entre historiens, les autres projets sont très locaux et inconnus du grand public. L’abandon du Centre national de la musique, certes, est déploré par les professionnels du secteur, mais de toute façon leur fureur est garantie avec l’abrogation annoncée de l’Hadopi. Dès lors, le désaccord étant vaste, pourquoi chercher à les amadouer ? Ainsi depuis l’emballement du PS pour la licence globale au moment du débat Hadopi – une voie qu’il a désormais abandonnée, semble-t-il – l’entente cordiale entre le monde de la musique et la gauche est en berne, même si, comme le souligne la ministre, « le travail de réflexion se poursuit avec les professionnels » et si elle proclame soutenir les indépendants – autrement dit, dans le langage de la rue de Valois, les petits labels contre les grands groupes.
Quels principes et quelles perspectives guideront son action ? Sur ce point règne un certain flou. On a l’impression, comme souvent dans ce secteur, que les politiques sectorielles résulteront des rapports de force entre les milieux très organisés du monde culturel. Pour les choix concrets, l’horizon s’éclaircira plus tard. Sur les grands dossiers, en effet, le ministère de la Culture en est au stade de l’exploration. Sur Hadopi, sur le rapprochement CSA/ARCEP, sur une taxe pour les fournisseurs d’accès ou les agrégateurs de contenus, sur l’enseignement artistique, sur l’avenir de France-Télévisions, sur l’intermittence, la ministre et ses services réfléchissent, consultent et examinent des pistes. Le moment de la décision est renvoyé à une loi au premier semestre 2013.
Prenons le cas de France-Télévisions. L’entreprise est dotée d’un budget de trois milliards d’euros et emploie plus de 10 000 salariés. Dans le paysage audiovisuel du « gratuit » où les chaînes abondent, elle capte encore 30 % de l’audience avec ses quatre réseaux, et elle constitue le socle majeur pour financer l’industrie des programmes et la fabrication de l’information en images. Or, son budget vacille puisqu’on observe une baisse des recettes publicitaires, et que les ressources publiques vont diminuer de 4 %. De surcroît, ce budget est soumis à de réelles incertitudes portant d’une part sur la dotation budgétaire créée par l’État pour compenser la perte des recettes publicitaires après 20 heures (loi audiovisuelle de 2009) et d’autre part sur la taxe appliquée aux fournisseurs d’accès à Internet, créée elle aussi dans ce même but, et qui a fait l’objet d’un recours auprès de la Commission européenne. Bref, 200 millions manquent pour boucler l’année et Rémy Pflimlin a annoncé un plan social avec une diminution de 5 % des effectifs et des efforts de rationalisation – fusion des rédactions. Face à ces difficultés, la ministre s’est exprimée sur un point crucial : elle est opposée à l’idée de revenir sur la suppression de la publicité après 20 heures, une éventualité fortement envisagée par Jérôme Cahuzac, le ministre du Budget. Elle prend ainsi position en faveur d’une hausse des recettes de la redevance, peut-être en en élargissant l’assiette (taxer d’autres écrans, introduire une redevance pour les résidences secondaires ?). Pour le reste, elle renégocie les contrats d’objectifs et de moyens qui lient la holding de la télévision publique à l’État. Sur quelle base, sur quel choix éditorial, sur quelle priorité ? Qu’en est-il des projets télévisuels en faveur de la jeunesse maintes fois annoncés par le PS : faut-il réorienterla programmation de France 4 comme Aurélie Filippetti l’avait évoqué lors de la campagne, revoir l’accord Lagardère/France Télévisions dans Gulli , solution proposée par Rémy Pflimlin, tenter autre chose ? Aucune précision n’est donnée sur ces points.La ministre soutient la création et demande « que les équipes de France-Télévisions aient l’audace d’aller chercher des créateurs et des producteurs qui sortent des sentiers battus » ? On n’imagine pas un ministre de la Culture qui dise le contraire.
Autre aspect : sur le rapprochement CSA/ ARCEP. Faut-il un seul collège ou deux ? « En tout état de cause, dans certains domaines comme le futur processus de nomination des présidents de l’audiovisuel public il faut un collège spécifique », précise-t-elle. Option étrange, qui flaire l’indécision : pourquoi, en effet, un organisme unique ne pourrait-il pas se prononcer sur ce sujet alors que l’univers de l’audiovisuel et celui des télécoms sont, sur le plan des contenus, de plus en plus imbriqués ? La ministre, de fait, suggère une piste : « deux collèges ad hoc et une instance de coordination ». Une piste glissante : un organisme supplémentaire « pour coordonner », avons-nous bien compris ?
Sur le dossier Hadopi, enfin, Aurélie Fillipetti observe une certaine prudence, après avoir confié une mission à Pierre Lescure sur les enjeux numériques. La position de ce dernier oscille au fil des jours : il est convaincu qu’il « faut conserver un dispositif de surveillance et de sanction », il trouve « des vertus à Hadopi », mais simultanément il est censé proposer un nouveau dispositif. Et ce d’autant plus que François Hollande a annoncé l’abrogation de la loi pendant la campagne présidentielle et que la ministre de la Culture a affirmé à plusieurs reprises que l’instance de régulation d’Internet coûte trop cher et, qu’en outre, elle ne sert à rien, estimant que « ce n’est pas la loi Hadopi qui a fait changer les internautes » dans leur manière de consommer des produits culturels.
Dans l’attente que se précisent les lignes défendues par son ministère, Aurélie Filippetti développe des idées générales. « Nous sommes un grand pays dont l’économie repose largement sur la culture. » De quoi s’agit-il exactement ? Le salariat culturel représente exactement 697 000 personnes (et encore, pas à temps plein) sur un peu plus de 26 millions de salariés : l’affirmation est, disons, un tantinet décalée avec la réalité. Sauf à considérer que, pour travailler, tout le monde a besoin d’un bagage culturel, ce qui peut être tenu pour une vérité profonde mais qui mériterait affinement. Autre idée générale : « Dans une période de crise morale comme la nôtre, l’art peut donner du sens à nos vies (…) les enfants qui pratiquent la musique, le théâtre ou la danse ont un rapport à eux-mêmes et une appréhension du monde bien meilleurs ». On acquiesce évidemment. Autre déclaration qui, elle, mériterait une dissertation philosophique et un cours d’informatique : « la culture est le disque dur de la politique », suivie un peu plus loin par cette affirmation : « je défends l’idée que le patrimoine et la création sont le disque dur d’une politique générale ».
À lire entre les lignes les propos de la ministre, la politique de la culture consiste surtout à trouver de nouvelles ressources et à couper des lignes budgétaires tout en ménageant l’existant et sans trop malmener les lobbys du secteur culturel : en tête ceux du spectacle vivant et ceux de la production cinématographique et audiovisuelle. Difficile de dire si ce discours, à la fois plein d’emphase et minimaliste sur le fond, cache des hésitations, voire un embarras sur la ligne directrice à suivre ou s’il vise seulement à irradier d’ondes apaisantes des milieux professionnels en ébullition voire au bord de la dépression.
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