Décrochage industriel: l’inversion de la courbe se fait attendre edit
Depuis le début des années 2000, plusieurs rapports ont souligné que la désindustrialisation frappait plus fortement la France que les autres pays développés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Pour mieux juger de la situation de l’industrie française, on peut la comparer nous comparons l’industrie française avec celle des autres pays de l’Union européenne, qui ont subi les mêmes chocs externes, et en particulier la concurrence de la Chine.
L'Europe, une puissance industrielle en grande forme
L’industrie européenne a fait mieux que résister face à la mondialisation, elle s’est restructurée du Sud vers l’Est. En premier lieu, contrairement au discours sur le recul structurel de l’industrie dans les économies développées, l’industrie conserve un rôle fondamental en Europe, et son poids dans le PIB a même augmenté, passant de 19% de son PIB en 2000 à 19,7% en 2019. L’industrie européenne n’est pas sur le déclin, elle s’est renforcée.
Deuxièmement, le centre de gravité de l’industrie européenne s’est fortement décalé vers l’est de l’Europe. Sur la période 2000/2019, le volume de la production industrielle des pays de l’Est a plus que triplé : 350% en Slovaquie, 300% en Pologne et 200% en Hongrie. La « zone germanique » (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Autriche) est la deuxième zone la plus dynamique avec une augmentation de l’ordre de 120%.
Troisièmement, les pays du Sud de l’Europe sont les grands perdants de l’élargissement à l’Est. Leur production industrielle a connu une régression des volumes produits entre 2000 et 2019. Même en Italie, la deuxième puissance industrielle européenne, le poids de l’industrie dans le PIB (19,6% en 2019) a décliné de 3,8 points entre 2000 et 2019.
Comment expliquer cette augmentation spectaculaire de l’industrie dans l’Est de l’Europe, et la bonne santé de l’industrie germanique et de ses voisins ?
Avant l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, l’avantage comparatif de l’industrie du Sud de l’Europe était bien évidemment le coût de la main-d'œuvre. En 2008, le coût horaire du travail dans l’industrie manufacturière était bien plus bas dans les pays du Sud (Portugal, 9,9€, Grèce, 15,8€, Espagne, 20,3€, Italie, 24,0€) qu’en Allemagne, 33,4€, ou dans les pays nordiques. En Suède et au Danemark, ce coût était et reste plus élevé qu’en Allemagne.
Avec l’élargissement à l’Est, les nouveaux concurrents industriels à bas coût sont les pays d’Europe centrale et orientale. Les coûts horaires pour l’ensemble de l’économie sont alors bien plus élevés dans les pays du Sud que dans les pays de l’Est. En 2019, moins de 15 € de l’heure en Tchéquie, Slovaquie, Pologne, Roumanie, ou Bulgarie, contre 28,8€ en Italie et 21,8€ en Espagne. Les pays du Sud ont perdu leur avantage coût par rapport aux pays de l’Est.
L’industrie de la zone germanique, a été peu affectée par cette réorientation structurelle de l’industrie européenne du Sud vers l’Est du continent, car son avantage comparatif se situe au niveau du contenu technologique et de la qualité des produits, ce qui lui a même permis d’améliorer ses positions. En 2020, les dépenses de Recherche et Développement atteignent 3,5% du PIB en Suède, 3,2% en Allemagne, et en Autriche, bien au-dessus des pays du Sud, Espagne, 1,4%, et Italie, 1,5%.
Et en France ?
Si l’on considère les chiffres agrégés, on ne constate aucun signe de réindustrialisation. En premier lieu, la France était le pays le plus désindustrialisé de l’Union européenne en 2019, avant la pandémie. Le poids de l’industrie dans le PIB était seulement de 13,5% en France, contre 19,7% dans l’UE27, et plus de 20% du PIB dans dix pays de l’UE.
En second lieu, avec la pandémie la situation de l’industrie française s’est profondément dégradée, davantage encore que celle des pays du Sud. L’industrie française n’avait toujours pas retrouvé en décembre 2021 son niveau de volume de production de 2015, contrairement à l’industrie italienne (plus 6% en volume depuis 2015), et à celle de l’Espagne (plus 5%). Une partie de cette dégradation est due à notre spécialisation, avec le choc subi par l’industrie aéronautique.
Enfin, cette désindustrialisation s’est traduite par une dégradation du solde commercial (exportation moins importation de produits industriels manufacturés) de la France depuis le début de la pandémie. En 2021, le solde commercial s’établit à moins 84,7 milliards, son plus bas historique, et la perte de parts de marché de la France se poursuit en 2021, après plus de dix ans de chute ininterrompue (source douane).
Les produits de l’industrie française ont de plus en plus de mal à s’exporter. En 2021, les exportations de la France se situent 3,9 points en-dessous de leur valeur de 2019. À l’inverse, les exportations de l’Allemagne, et plus encore de l’Italie et de l’Espagne dépassent leur niveau de 2019, de 2,5 points en Allemagne, de 6,9 points en Italie, et de 8,8 points en Espagne (source douanes)
L’exemple de l'industrie automobile est révélateur. La balance commerciale française était encore positive au début des années 2000. En 2021, le déficit commercial du secteur automobile atteignait près de 18 milliards d‘euros, un record et aucune amélioration n’est envisageable à court terme.
Si l’on considère les chiffres agrégés, et que l’on raisonne à l’échelle nationale et non à celle des firmes (celles de l’automobile se portent bien), le tableau n’est donc pas brillant. On peut être très sceptique quand le ministre de l’Economie Bruno Le Maire déclare que « nous sommes en train de sortir d’un demi-siècle de désindustrialisation ». La dégringolade de l’industrie française est permanente depuis le début des années 2000, et l’arrivée de Macron à la présidence n’a pas inversé cette tendance. Le déficit commercial n’a jamais été aussi élevé en 2021, et à la fin 2021, la production de l’industrie française n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2015, alors que pour l’Union européenne le volume de la production de l’industrie est, en volume, près de 9% au-dessus de celui de 2015.
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