Elargir l'assiette des cotisations sociales : une bien mauvaise idée edit
Le gouvernement envisage d'élargir l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée, au moins en partie. Il s'agit d'une mauvaise idée, pour au moins trois raisons : elle est inefficace économiquement, porte atteinte aux principes de la protection sociale, et se heurte à de réelles difficultés de mise en œuvre.
La valeur ajoutée d'une entreprise, c'est-à-dire la différence entre ce qu'elle produit et ce qu'elle consomme, se compose grosso modo de deux éléments : la rémunération du travail (salaires et charges sociales) et celle du capital (amortissements et résultat). Si, à contribution totale inchangée, on étend les bases des cotisations à l'ensemble de la valeur ajoutée, le coût du travail sera allégé et le coût du capital aggravé. Ce changement des coûts relatifs amènera les entreprises à choisir des modes de production plus riches en main d'œuvre et moins en capital et conduira les investisseurs à se tourner vers les secteurs dits de main d'œuvre.
Divers rapports ont analysé les conséquences de ces mouvements sur les entreprises, et ainsi à en mesurer les répercussions économiques. Des économistes comme Edmond Malinvaud, auteur d'une des études les plus incontestables sur le sujet, concluent de leurs travaux que ce changement des coûts relatifs se traduit par une perte globale pour l'économie française, qui pénalise les secteurs exportateurs et les innovations technologiques. Gilbert Cette et Elisabeth Kremp, pour la Banque de France, ont simulé les effets de la mesure sur un échantillon de 113 000 entreprises, afin d'identifier les entreprises qui, arithmétiquement, gagneraient au change et celles qui y perdraient. Le tableau est clair : le résultat est dévastateur pour la croissance. Dans les secteurs les plus importants pour l'innovation et pour l'exportation, les coûts augmentent ; dans les secteurs classiques, l'agro-alimentaire, le commerce de détail, la chaussure ou le textile, on y gagne.
La réforme envisagée heurte en outre les principes mêmes de la protection sociale, inventés il y a plus d'un demi-siècle. Le modèle social français mérite certes un vigoureux relifting ; mais un relifting cohérent et politiquement assumé. Nous sommes dans un système d'assurance. Les cotisations sociales des titulaires de revenus leur permettent d'acquérir des droits : elles sont ainsi une rémunération différée. La CSG, en étendant la cotisation à d'autres revenus que les salaires, reste fidèle à ce principe : des revenus de particuliers " détournés " vers les caisses d'assurance. Dans l'hypothèse actuellement envisagée, on change en revanche de logique. Il ne s'agit plus de revenus différés, mais d'une taxation de la production.
Peut-être la refonte nécessaire du modèle social conduira-t-elle un jour à confier au budget de l'Etat ou des collectivités territoriales le financement d'un service public de la santé à la britannique, des retraites de base, ou encore des prestations familiales... Mais voilà qui nécessiterait une analyse et un débat approfondi.
Certains parlent non pas d'une cotisation basée sur la valeur ajoutée, mais d'une " TVA sociale " : le pas de la fiscalité est allègrement franchi. Une TVA sociale, cela revient en fait à augmenter le taux de la TVA, donc à budgétiser une partie de la protection sociale. On en devine l'inconvénient évident : au moment où l'on cherche les moyens d'harmoniser progressivement les fiscalités européennes, on augmente un taux de TVA déjà trop élevé par rapport à nos voisins.
Le troisième obstacle est pratique. Il faudra d'abord définir une notion opérationnelle de valeur ajoutée, adaptée à l'objet et acceptable par les contribuables. Les passages successifs dans les services administratifs, le Conseil d'Etat, le Parlement, apporteront des amendements variés, les décrets et circulaires d'application seront inévitablement complexes. Passer d'une assiette simple - les salaires - à une assiette discutable, ce sont à l'évidence des tonnes de papier, des difficultés d'application. L'usine à gaz pointe à l'horizon.
Le Président de la république a raison de vouloir revoir le mode de financement de la protection sociale, mais il ouvre là une fausse fenêtre. Il ne faudrait pas que cela conduise à reporter à plus tard les réformes nécessaires, qui doivent porter sur les dépenses, c'est-à-dire notamment sur l'efficacité du système de santé et sur la prolongation de la vie active, des réformes sur lesquelles trop peu encore a été fait.
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