Chantiers 2007 : surmonter la faiblesse syndicale edit
Le gouvernement a reçu il y a quelques semaines les rapports qu’il avait commandés à Dominique Chertier et à Raphaël Hadas-Lebel sur le rôle et la représentativité des syndicats. Ces rapports sont de grande qualité. Ils restent néanmoins trop prudents et viennent se rajouter à d’innombrables rapports qui encombrent les armoires des administrations. Ce ne sont d’ailleurs pas les idées qui manquent mais la volonté de les mettre en œuvre.
Chacun sait que le syndicalisme à la française souffre de maux graves qui le rendent inefficace. Il y a bien sûr la modestie des effectifs : quelque 8 % des salariés, concentrés pour l’essentiel dans le secteur public et les grands groupes privés industriels. Mais celle-ci n’est pas seule en cause. S’y ajoutent les difficultés d’un syndicalisme qui se veut une organisation militante et non un syndicalisme de service comme l’est le syndicalisme suédois, avec ses 90% d’adhérents.
Mais il y a plus. La faiblesse des syndicats tient à deux phénomènes : leur division et leur absence quasi-complète dans le tissu des petites et moyennes entreprises. On a déjà tout dit de la division syndicale. La pluralité, c’est peut-être bien ; c’est en tous cas inévitable dans un syndicalisme de militants ; mais la division, c’est l’inefficacité assurée. Aux temps du « toujours plus », lorsque chaque négociation conduisait à des augmentations de salaires, à de meilleures conditions de travail ou à de nouvelles prestations, la désunion syndicale ne présentait guère d’inconvénient. Le chef d’entreprise obtenait le soutien des syndicats réformistes le plus souvent minoritaires à des accords raisonnables et les syndicats durs pouvaient montrer leurs muscles sans s’engager et sans risque pour leurs adhérents. Depuis le milieu des années 80, le « toujours plus » a cédé la place au « donnant-donnant ». Temps de travail réduit contre flexibilité. Gains pour les uns gagés par des pertes pour les autres. Dès lors, les désaccords entre organisations bloquent le système, comme on l’a vu pour les 35 heures ou pour l’UNEDIC.
A ce risque de paralysie s’ajoute le rôle au sein du mouvement syndical de forces en partie extérieures aux principales organisations et en partie internes, qui, au nom d’un syndicalisme de contestation tous azimuts, entraînent l’ensemble des organisations dans une surenchère rendant impossibles les compromis nécessaires : les malheurs de la CFDT, lourdement – mais vraisemblablement – provisoirement pénalisée par ses positions ouvertes sur la retraite en témoignent.
La pluralité ne devrait pas entraîner automatiquement la division : les syndicats italiens en fournissent la preuve avec la « représentation syndicale unitaire », une démarche maintenant inscrite dans le droit italien. Les multiples syndicats néerlandais ont réussi à se regrouper progressivement. Tant que les syndicats français ne sauront pas dans les grandes ou petites négociations montrer un front uni – pas un front du refus, mais une capacité à négocier collectivement des compromis – les réformes seront difficiles, lentes, insuffisantes et réalisées dans la douleur.
L’autre maladie des organisations syndicales est le déséquilibre de leurs implantations : absence quasi-complète dans la très grande majorité des PME, et faiblesse du secteur privé par rapport aux services publics. Les transformations du service public (ouverture des marchés et ouverture du capital) sont à la source de la plupart des grandes démonstrations de force des syndicats. Est-on certain qu’il s’agit bien là d’une priorité pour les salariés en général, certainement plus sensibles au chômage, aux restructurations et au pouvoir d’achat ?
Cette situation de division et de déséquilibre est un produit de l’histoire, de la culture et de la législation. On n’en sortira pas par des mesures accessoires et douces qui seront vite submergées par le poids du passé et des traditions. Ce sont donc des décisions de grande ampleur qui doivent être prises pour s’attaquer aux conditions du dialogue social et de représentativité des partenaires. A moins qu’un jour les responsables des confédérations syndicales décident eux-mêmes de se réformer comme l’ont fait les Italiens. Après les tentatives de refondation sociale à l’initiative du MEDEF, seul l’Etat, dans notre pays, peut initier un tel mouvement. François Fillon a essayé : la loi de 2003 constitue un progrès, qui reste insuffisant.
Il faut appliquer de façon systématique et générale le principe de l’accord majoritaire : n’est valide qu’un accord signé par des syndicats représentant ensemble la majorité aux élections professionnelles. Là où il n’y a pas de syndicat, il faut adopter de manière tout aussi systématique et générale la possibilité pour les élus (délégués du personnel et comités d’entreprise) de négocier des accords. Il faudra enfin tenir compte de la représentativité réelle des syndicats (en voix) et non de la seule « présomption irréfragable de représentativité » des organisations.
Tout ceci ne saurait être réalisé sans l’accord des intéressés. On ne peut à ce stade que suggérer au prochain gouvernement de mettre sur le tapis de telles propositions et de demander aux organisations syndicales de s’exprimer ; que ce débat soit en même temps lancé dans le pays pour permettre aux responsables syndicaux de mieux entendre les attentes des travailleurs sur cette question. Celles-ci sont trop souvent masquées par les préoccupations tactiques d'organisations concurrentes entre elles et parfois plus préoccupées de leur avenir propre que du syndicalisme en général.
L’histoire politique du XXe siècle nous apprend la méfiance qu’ont toujours manifestée les responsables politiques et économiques à l’égard d’un syndicalisme perçu comme trop « politique ». La section syndicale d’entreprise n’a été admise qu’en mai 1968, l’obligation de négocier les salaires en 1982. La loi ne fait pas confiance aux délégués syndicaux mais à des délégués élus pour défendre les travailleurs au quotidien. On noie les militants syndicaux dans des centaines de conseils d’administration – sécurité sociale et autres – et des milliers de comités et commissions. Ils ne demandent d’ailleurs que cela. On se satisfait d’un syndicalisme pas trop présent dans l’entreprise. Tous les responsables l’acceptent, y compris les responsables syndicaux plus ou moins consciemment. Mais c’est dommage et c’est dangereux. Car petit à petit les responsables syndicaux perdent leur légitimité et la démocratie sociale avec elle. C’est donc une transformation profonde qu’il convient d’engager. Les projets abondent, les idées aussi. Les syndicalistes des pays voisins qui retrouvent les Français au sein de la Confédération européenne des syndicats sont là pour les aider. Ce sera un des chantiers de 2007.
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