Chiffres : ce qui compte c'est l'emploi, pas le chômage edit
Une fois de plus les statistiques mensuelles de l'ANPE font l'objet d'un débat pour savoir si elles sont sincères ou truquées. Que le chômage se soit réduit au cours des deux dernières années, cela ne fait pas de doute, mais la question de fond est de savoir ce qui, dans cette baisse, correspond à une véritable reprise de l'emploi et ce qui n'est que le résultat d’un « traitement social du chômage ». Pour cela les chiffres de l'emploi en diraient plus que ceux du chômage.
La discussion serait banale si les syndicats représentant les producteurs de ces chiffres ne s’en étaient mêlés, notamment ceux de l’Insee, et si cet institut n’avait décidé d’attendre l’automne pour publier ses chiffres. Cette polémique appelle plusieurs remarques.
La première concerne les statistiques mensuelles du chômage publiées par l’ANPE. Il ne s’agit pas d’un résultat d’enquête statistique mais d’une donnée administrative : le nombre de demandeurs d’emploi qui se sont présentés à l’ANPE pour obtenir un emploi et n’en ont pas obtenu. Comme toute donnée administrative, celle-ci dépend des règlements qui fixent le droit ; elle dépend aussi de la manière dont, en vertu des circulaires internes à l’administration, on met en œuvre ces droits.
Ainsi les conditions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi susceptibles d’être indemnisés évoluent avec le temps. Il suffit d’une plus grande sévérité dans la prise en compte des défauts de présentation ou de réponse aux convocations pour multiplier les radiations et donc réduire le nombre de demandeurs d’emploi enregistrés. Les chômeurs indemnisés proches de la retraite sont officiellement dispensés de recherche d’emploi : ils disparaissent des statistiques. Les demandeurs d’emploi à temps partiel sont officiellement exclus des statistiques de chômage. Par ailleurs, le classement des personnes handicapées diffère d’un pays à l’autre, ce qui conduit à des différences d’interprétation dans les comparaisons internationales.
Le calcul mensuel de l’ANPE est donc très imparfait. Dans le passé, certains gouvernements ont su en profiter : il suffisait de rendre plus strictes les conditions d’éligibilité ou plus rigoureuses les conditions de radiation pour influer dans le sens souhaité sur les chiffres. Mais cette méthode a des limites : on ne peut constamment multiplier les astuces pour réduire les statistiques du chômage. Ce n’est plus ainsi que l’on peut jouer aujourd’hui sur les statistiques de l’ANPE.
Les enquêtes de l’INSEE permettent de caler les données de l’ANPE. Mais elles ne sont pas mensuelles, mais trimestrielles.
Dans ces enquêtes, la définition retenue n’est plus seulement administrative ; c’est la définition internationale adoptée en 1962 par le Bureau international du Travail. Une personne en âge de travailler (15 ans et plus) qui répond à trois conditions : « être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, pendant une semaine de référence ; être disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours ; chercher activement un emploi ou en avoir trouvé un qui commence ultérieurement ».
Il suffit de lire cette définition pour comprendre qu’il n’y a aucune raison pour que le nombre de demandeurs d’emploi enregistré à l’ANPE coïncide avec le nombre de chômeurs déterminé par une enquête statistique auprès de la population, utilisant les critères du BIT.
De là viennent les inévitables décalages entre les évolutions à court terme affichées par l’ANPE et celles mesurées par l’INSEE, même si les unes et les autres font l’objet d’un calage périodique.
Aujourd’hui, si l’on veut bien comparer le marché du travail de 2007 à celui d’il y a une ou deux décennies, les frontières se sont brouillées entre « emploi » et « non emploi ». La multiplication des emplois à temps partiel ou même très partiel, des formes précaires d’emploi, la situation intermédiaire des contrats de travail en alternance, les stages ou pseudo-stages, les chômeurs dispensés de recherche d’emploi, etc., tout cela crée un flou qui, par nature, rend les statistiques moins sûres.
La question de fond, au moment d’un débat pré-électoral, était de savoir ce qui, dans cette baisse correspond à une véritable reprise de l’emploi et ce qui n’est que le résultant d’un « traitement social du chômage ». En allant plus loin, il faut se poser la question de la signification même du taux de chômage.
Le taux de chômage rapporte le nombre de demandeurs d’emploi à la population active. Mais qu’est-ce que la population active ? L’ensemble des personnes d’âge actif qui sont effectivement soit employées soit à la recherche d’un emploi. Autrement dit sont exclus du dénominateur comme des numérateurs les retraités ou préretraités, les étudiants même attardés, les stagiaires, les personnes en formation, les mères de famille qui restent à la maison faute d’espérer un emploi, les Rmistes qui ne cherchent plus, les malades et handicapés… On imagine aisément que d’un pays à l’autre – et même, pour un pays donné, d’une période à l’autre, le classement en « chômeur » ou en « inactif » est très variable.
Le chiffre du chômage est donc inévitablement grossier, qu’il s’agisse de comparaisons dans le temps ou entre pays. Il n’y a pas de donnée simple, unique, incontestable pour mesurer le chômage. Comme cela se passe dans d’autre pays – les Etats-Unis notamment –, il faudrait une batterie d’indicateurs, plutôt qu’un seul chiffre forcément discutable et discuté qui rythme anormalement le débat public.
Deux données devraient d’ailleurs être mises en avant pour bien mesurer respectivement les aspects « économiques » du chômage et ses aspects « sociaux ».
Sur le premier plan, il faut mesurer le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport du nombre de personnes ayant un emploi, au sein d’une classe d’âge, à la population totale de cette classe d’âge : on évite ainsi de faire la différence entre tous ceux qui n’ont pas d’emploi – chômeurs, handicapés, stagiaires, Rmistes, préretraités, etc. – et on mesure moins un problème social que la manière dont la Nation parvient ou non à développer des capacités de production et de création des richesses.
La seconde mesure devrait être celle du nombre des exclus : les chômeurs de longue durée (plus d’un an par exemple) et tous ceux qui, parce qu’ils ont renoncé à la recherche vaine d’un emploi, parce qu’ils s’installent dans le RMI, parce que la société ne parvient plus à les insérer, parce que pour une raison ou une autre (échecs, addictions, origine) ils sont hors du marché du travail et ne savent pas y revenir.
Cette question sociale appelle des politiques sociales : ce ne sont pas les demandeurs d’emploi qu’il faudrait mesurer, mais les demandeurs d’emploi désespérés et ceux qui n’osent même plus en demander.
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