Salaires : le bel avenir de la participation edit
La participation et l’intéressement sont au cœur de la loi en faveur des revenus du travail, examinée en ce moment par la Commission des Finances au Sénat. Mais connaît-on vraiment leur efficacité économique ? Des études récentes sur le cas du Royaume-Uni permettent d’affiner cette connaissance.
Longtemps considérés comme marginaux, avec les exemples bien connus de John Lewis au Royaume-Uni, de Mondragon en Espagne, et jusqu’à un certain point de United Airlines aux Etats-Unis, ces modes de rémunération ont gagné une légitimité nouvelle avec le rapport PEPPER (Promotion of Employee Participation in Profits and Enterprise Results) commandé par l’Union Européenne en 1991. Où en est-on aujourd’hui ?
Sur le plan empirique, on peut déjà noter qu’au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, et dans une part croissante du monde développé, ces modes de rémunération n’ont plus rien de marginal. Ils concernent aujourd’hui 44% des salariés américains, sous des formes diverses : intéressement, stock-options, actionnariat salarié. En Grande-Bretagne, d’après nos calculs, une entreprise privée sur cinq pratique la participation et un tiers des salariés en bénéficient : un nombre croissant d'entreprises, avec des modèles de rémunération souvent très différents, ont rejoint l'Employee Ownership Association.
Cette croissance remarquable est en partie imputable aux avantages fiscaux concédés par les États, qui amènent les entreprises à choisir ce mode de rémunération pour payer moins de charges. Mais l’opportunisme fiscal n’explique pas tout. Des travaux récents montrent qu’il s’agit aussi d’un mouvement général voyant l’évolution des formes de rémunération collective vers des formes jugées plus incitatives par les entreprises. Les salariés semblent se prêter au jeu : malgré la faillite d’United Airlines, le volume d’actions détenues par les salariés américains dans le cadre de ces mécanismes n’a pas baissé.
Des questions se posent néanmoins : est-ce vraiment bon, par exemple, pour la performance des entreprises ? La théorie la plus stricte du comportement des travailleurs dit que non : l’incitation financière ne les amènera qu’à compter sur les efforts des autres (on parle de free riding) pour empocher les bénéfices. En outre, le gain n’est ni immédiat, ni assuré. Considérons par exemple le système anglais : s’ils veulent bénéficier des avantages fiscaux, les salariés doivent conserver leurs actions pendant trois ans minimum. Or, les actions peuvent monter et descendre, et l’effort de chacun n’est qu’un facteur parmi d’autres de la performance de l’entreprise. En dehors du PDG et des cadres dirigeants, peu de salariés ont suffisamment d’actions pour peser sur les décisions.
Les entreprises qui pratiquent la participation semblent pourtant bien s’en trouver, et leur exemple est de plus en plus suivi. Cette forme de rémunération stimule-t-elle vraiment la performance ?
Il est très difficile, pour l’économétrie, d’isoler les effets de ce mode de rémunération sur la performance économique d’une entreprise. Les entreprises ne choisissent certes pas ces schémas par hasard. Mais si certaines fondent leurs décisions sur des calculs précis, d’autres se contenteront de suivre le mouvement ou n’auront en tête que de payer moins de charges. On peut aussi relever que les entreprises qui optent pour ce type de modèle ont aussi, d’une manière générale, des pratiques managériales plus sophistiquées que les autres, et que ce sont en réalité ces techniques qui expliquent leur performance. Pas facile de s’y retrouver.
Deux études récentes se sont affrontées à la question, à partir de l’exemple anglais. Elles montrent que l’effet sur la performance est positif. Mais elles trouvent aussi de fortes différences d’efficacité entre les différentes combinaisons, et suggèrent que cette efficacité dépend aussi des combinaisons avec d’autres pratiques.
La première étude, commandée par le Trésor public britannique, est la plus vaste jamais entreprise en Grande-Bretagne sur ce sujet. En liant les données administratives communiquées au fisc, les rapports des Douanes, et la performance des entreprises, les auteurs trouvent qu’en moyenne, sur l’ensemble de l'échantillon, l'effet des actions est significatif et augmente la productivité de 2,5% sur le long terme. Ils trouvent aussi que les bénéfices sont plus grands quand plusieurs types d’arrangements sont mis en œuvre. Enfin, ils montrent que les modèles sans avantages fiscaux sont plus intéressants pour les entreprises que les modèles avec avantages fiscaux.
Notre propre étude (2008), fondée sur les données de l’enquête Workplace Employment Relations (2004), va dans le même sens : elle montre des effets réels sur la productivité, effets qui sont d’autant plus significatifs qu’une palette plus large de modes de rémunération est utilisée par l’entreprise. Parmi les modèles les plus simples, c’est la possession d’actions qui est le plus fortement corrélée avec la productivité ; mais son impact est plus grand quand les entreprises la combinent avec d’autres formes de rémunérations associées à la performance de l’entreprise ; ce qui, au demeurant, est de plus en plus souvent le cas.
Ces conclusions rejoignent les études menées aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années. Les chercheurs du NBER ont mené plusieurs études dans le cadre du projet Shared Capitalism, dont les résultats seront publiés en volume en 2009. Ils montrent que la participation est associée à de meilleurs résultats aussi bien pour les entreprises que pour leurs salariés. Ce modèle de rémunération est associé avec une culture d'innovation et une plus grande motivation à s’engager dans de nouvelles activités. Ils montrent aussi que la participation et les politiques de haute performance ont un lien plus prononcé avec la culture d’innovation quand elles sont combinées avec un modèle de management encourageant l’autonomie.
Il reste encore beaucoup de travail pour affiner ces résultats et comprendre plus précisément le sens des corrélations mises en évidence. Une difficulté est que les entreprises changent souvent de modèle de rémunération. Une autre est que les effets positifs dépendent assez nettement du secteur considéré, voire des entreprises considérées (mais on notera que les études ne montrent presque aucune trace d'effets négatifs). En l’absence de données expérimentales, il est tout à fait possible que les analyses menées jusqu’ici n'aient pas identifié de vraies relations de cause à effet.
Par ailleurs, ni l'étude du Trésor britannique, ni la nôtre, ne peuvent vraiment mesurer si les avantages fiscaux consentis à ce type de rémunération sont socialement optimaux. Elles ne permettent pas non plus d’identifier avec certitudes les meilleures combinaisons. Bref, personne encore n’a trouvé la formule précise, économiquement optimale à la fois pour les individus, les entreprises et l’économie, de ce nouveau modèle de capitalisme. Mais l’ensemble des résultats convergent pour suggérer qu’il a de un bel avenir devant lui.
Références
Bryson, A. and Freeman, R. B. (2008) ‘How Does Shared Capitalism Affect Economic Performance in the UK?’ NBER Working Paper #14235
Bryson, A., Pendleton, A. and Whitfield, K. (2008) ‘The Changing Use of Contingent Pay at the Modern British Workplace’, NIESR Discussion Paper No. 319
Blasi, J. R., Doug Kruse, and Richard Freeman (NBER, 2009), Shared Capitalism at Work: employee ownership, profit and gain sharing, and broad-based stock options
Oxera (2007a), “Tax Advantaged Employee share Schemes: analysis of productivity effects Report 1 Productivity Measured Using Turnover”, HM Revenue and Customs Research Report 33
Oxera (2007b), “Tax Advantaged Employee share Schemes: analysis of productivity effects Report 2: Productivity Measured Using Gross Value Added”, HM Revenue and Customs Research Report 33
Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
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