Zone euro : un fédéralisme rampant edit
Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) vient de rencontrer, avec sa première émission, un succès impressionnant : le fonds cherchait à lever cinq milliards sur les marchés, le livre d’ordres a dépassé les 40 milliards ! Est-ce pour autant la fin de la crise de la zone euro ? Cela reflète en tout cas l’espoir d’une solution qui entraînera plus de transferts et de solidarité budgétaire dans la zone. Les émissions du FESF ne sont pas des « eurobonds », mais les solutions qui se dessinent laissent augurer le début d’une forme de fédéralisme.
Pas d’excès d’optimisme. En dépit du succès du FESF, les interrogations demeurent. Le Portugal peut-il s’en sortir sans aide européenne ? La contagion à l’Espagne est-elle inévitable ? Quelle peut être la réponse européenne, sans union budgétaire, pour endiguer définitivement la contagion et prévenir un effet domino ? Les écarts de taux (par rapport à l’Allemagne) sur les pays périphériques restent impressionnants : 1000 points de base pour la Grèce, 581 pour l’Irlande, 186 pour l’Espagne. L’inquiétude est donc toujours présente.
Les marchés s’intéressent non seulement à l’état des finances publiques, mais également à celui du secteur bancaire de chaque pays, puisqu’il existe une garantie implicite des États de la zone euro qui leur fait courir le risque de devoir supporter les dettes des banques avec les deniers publics, comme en Irlande. Si le problème du Portugal et de la Belgique concerne principalement les finances publiques, celui de l’Espagne est la santé de son secteur bancaire. Tant qu’ils ne sont pas rassurés sur la question du secteur bancaire espagnol, ou sur la capacité de la zone euro à faire face à un problème de cette nature, les marchés resteront inquiets sur l’avenir de la zone euro.
Même si l’Espagne présente des finances publiques apparemment en meilleur état que les autres pays de la périphérie, le Royaume a vu exploser son taux d’endettement du secteur privé et son système bancaire dual continue d’inquiéter malgré les efforts récents du gouvernement. Or aucune autorité européenne à ce jour n’a été en mesure de présenter un diagnostic clair et transparent de l’état du secteur bancaire espagnol et de l’impact de la crise immobilière sur le bilan des banques régionales. La déliquescence du système bancaire irlandais a achevé de discréditer les « tests de résistance » européens. Même si la mise en œuvre de ces tests a fortement varié d’un pays à l’autre, et l’Espagne aura été un des pays les plus transparents, jusque fin 2010 l’absence d’une autorité européenne dotée de pouvoir d’investigations dans le système bancaire ne permettait pas aux investisseurs de disposer d’outils pour évaluer la force relative des systèmes bancaires nationaux. L’inquiétude continue donc de planer sur l’Espagne.
Cette inquiétude entraîne une hausse des coûts de financement de l’État mais aussi des banques et des entreprises, ce qui pourrait forcer le pays à se mettre sous la tutelle européenne, le temps de consolider sa situation. Or si un pays aussi important que l’Espagne demande la tutelle européenne, ce sera au total près du quart de la zone euro (en PIB) qui se mettrait sous tutelle. On peut craindre alors un retour marqué des grandes turbulences et de l’aversion au risque.
Il y a deux voies de sortie, au demeurant non exclusives. La première serait que l’Espagne rassure fermement sur l’état de son secteur bancaire. C’est ce qu’elle a tenté de faire en présentant fin janvier un plan de réorganisation de ses banques. Hélas, il a été jugé insuffisant par les analystes n’a guère de chance de rassurer les investisseurs. En effet, il évalue à environ 20 milliards d’euros les besoins du secteur bancaire espagnol, alors que la plupart des analystes font des estimations plus proches de 50 voire de 100 milliards. En outre il n’apporte pas de clarifications sur l’évolution prévue du secteur immobilier et son impact sur les banques… car en dépit de la situation les prix immobiliers n’ont presque pas baissé en Espagne, et l’on a peu d’idées sur la valorisation des pertes liées à l’immobilier au bilan des banques, ce qui explique ces estimations divergentes.
L’autre voie est européenne : elle conduit vers plus de solidarité budgétaire et de transferts de souveraineté, car cela va de pair.
Beaucoup d’options ont été discutées jusqu’ici et les différentes autorités de l’Union européenne ont dit qu’elles convergeraient vers une solution complète d’ici à fin mars. Les modifications discutées portent sur l’élargissement de la capacité de prêt du FESF, la baisse des taux consentis par le FESF et la possibilité qu’il rachète de dette souveraine. De toutes ces options, la baisse de taux d’intérêt serait la plus facile à mettre en œuvre. Les autres, parce qu’elles impliquent plus d’engagements budgétaires vis-à-vis des pays partenaires, risquent d’entraîner une modification des Traités européens existants et ainsi d’imposer de périlleux votes nationaux. Cela n’a rien de choquant en démocratie, mais en matière européenne, en partie parce que les questions sont compliquées, les États ont tendance à préférer les options qui ne nécessitent pas de grands débats parlementaires ou nationaux.
En réalité les deux options, espagnole et européenne, sont à poursuivre ensemble et relèvent de la même question : celle de l’intégration européenne. Pour résoudre les inquiétudes sur le système bancaire espagnol, il faut une autorité européenne capable de présenter un diagnostic indépendant sur l’état des banques et d’en tirer les conclusions en matière de réorganisation et recapitalisation du secteur en question. C’est donc un transfert d’information au niveau européen, et également un transfert qui peut être européen si la recapitalisation est trop importante pour l’État. Au niveau européen, élargir la capacité de prêt du FESF permettrait de répondre aux inquiétudes sur la capacité de la zone euro à faire face aux besoins de la périphérie, y compris l’Espagne. Enfin, permettre à un État de racheter sa dette via le FESF réduirait le stock de dette existant et offrirait ainsi à cet État une bouffée d’air. Dans les deux cas, les États de la zone euro s’engagent à plus de solidarité budgétaire puisque l’action de soutien apporté par le FESF – un véhicule garanti par les États de la zone euro – est élargie. Toute extension de cette garantie, quelle qu’en soit la forme, est une mesure de transfert budgétaire vers d’autres États de la zone euro. Bien sûr, de tels transferts devraient s’accompagner de plus de surveillance et de réformes, c’est-à-dire d’un transfert de souveraineté nationale vers la zone euro.
La zone euro s’est engagée vers plus d’intégration budgétaire, au-delà même de modèles économiques et sociaux. L’étape suivante viendra nécessairement. Comme on l’a déjà évoqué en Allemagne, l’une des conditions au soutien collectif pourrait être de demander à tous les pays de s’aligner peu ou prou sur un âge de retraite donné. On est bien en train de mettre en place les débuts d’une union fédérale.
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