Le pétrole à 100 dollars? Plus dure sera la chute edit
Dépassant les attentes, le cours du pétrole brut (Brent) a augmenté de 9% au troisième trimestre et continué à monter depuis, comme s'il n'y avait pas de limites dans ce marché. En fait, il y a des limites : la demande est sensible aux variations de prix, et une correction est maintenant due. La principale raison qui a convaincu les traders d’augmenter leurs positions longues est un mouvement contre-saisonnier dans les stocks. Alors que la plupart des experts escomptaient une augmentation saisonnière des stocks au troisième trimestre, avant la baisse traditionnelle due à la consommation de chauffage en hiver dans l'hémisphère nord, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Selon le rapport d’octobre de l'Agence internationale de l’énergie, le total des stocks a diminué de 0,5 million de barils par jour (mb/j) au troisième trimestre, alors qu’on attendait une hausse de même ampleur. Toutes choses égales par ailleurs, c’est l’équivalent d’une baisse de la production de l’ordre d’un million de barils par jour. C’est ce qui a fait grimper les prix à 80 dollars, puis aux alentours de 90 dollars, l’approvisionnement de l'OPEP n'ayant pas été suffisant pour reconstituer les stocks.
D’autres facteurs ont sans aucun doute contribué à la flambée des cours, notamment les risques croissants de confrontation militaire au Moyen-Orient, mais nous pensons que la dynamique de l'offre et de la demande a joué un rôle plus important. D'une part, la demande des économies non-OCDE, à commencer par les pays d’Asie et les pays producteurs de pétrole, reste très dynamique et ne répond pas aux signaux des prix du marché, parce que dans ces pays les produits pétroliers sont largement subventionné. D'autre part, la discipline des membres de l’OPEP, en particulier les efforts des Saoudiens pour restreindre leur production, a rendu le marché de plus en plus inquiet d’une possible pénurie. Il suffirait d’une rupture de production, même modeste (due à la météo ou à des tensions politiques), ou d’une hausse surprise de la demande (un hiver froid, par exemple) pour la provoquer. Il est frappant que les marges de capacité de l’OPEP-10 aient constamment augmenté depuis 2004, où elles étaient pratiquement à zéro, jusqu’à 3 millions de barils/jour aujourd’hui. Cela devrait être un signal de baisse, mais parce que c'est le résultat de la stricte discipline du cartel, les marchés l’interprètent comme un signal haussier : « s'ils ont pu réfréner la tentation de produire plus et gagner de l'argent grâce à cette stratégie, pourquoi en changeraient-ils ? », se demande le trader pragmatique. Donc, si la demande asiatique et moyen-orientale continue à croître au même rythme et que l’OPEP n'augmente pas sa production, le marché va selon toute probabilité continuer à monter et les cotes journalières pourraient flirter avec le seuil symbolique des 100 dollars le baril. Cependant, nous pensons que cela ne serait pas durable et qu'une forte correction en résulterait.
En considérant l’ensemble des développements récents, nous relevons notre cible de fin d’année de 65 à 85 dollars le baril, ce qui peut paraître beaucoup mais s’avère moins impressionnant si l’on rappelle la volatilité des prix du baril de brut, à la hausse comme à la baisse : l’écart-type mensuel est d’environ 10 dollars. Partant d’un niveau plus haut, nous avons aussi relevé notre prévision moyenne de 11 dollars le baril pour 2008. Mais à 70 dollars la moyenne 2008 resterait de quelque 15 dollars en dessous des cours actuels, et nous prévoyons que le cours du brut va probablement retomber aux alentours de 65 dollars au cours de l'année prochaine. Deux facteurs vont dans ce sens : un ralentissement attendu de la croissance mondiale, surtout aux Etats-Unis et en Europe, et donc une moindre demande de pétrole, toutes choses égales par ailleurs, et un déplacement le long de la courbe de demande, résultat de six années de hausse des prix. Le deuxième effet commence à apparaître : dans l'OCDE, qui représente encore 58% de la demande mondiale, la demande est pratiquement plate depuis 2005, malgré une croissance robuste. La combinaison de ces deux puissantes forces macro-économiques aura selon nous des conséquences sensibles sur les prix.
Si l’OPEP n'augmentait pas sa production au-delà des 0,5 mb/j déjà décidés pour novembre, le prix du baril pourrait monter à 100 dollars et peut-être au-delà, et ce serait le catalyseur d’une baisse de la demande plus forte. C’est sans doute ce qui se passerait dans l'OCDE, où les signaux des prix du marché sont rapidement transmis aux utilisateurs finaux, à commencer par les consommateurs. Une baisse de la demande, dans un contexte de ralentissement de la croissance globale, renverserait la dynamique des marchés : traders et spéculateurs se bousculeraient pour couper leurs positions longues et prendre des positions courtes. Cela serait une bien mauvaise nouvelle pour l’OPEP, puisque à la fois les volumes et les prix baisseraient, causant ainsi une chute brutale des revenus pétroliers. La discipline de l'OPEP volerait probablement en éclat : de nombreux producteurs essaieraient sans doute de compenser cette perte de revenu en élevant leur production, ce qui amplifierait la tendance à la baisse des prix.
A l’inverse, si l’OPEP augmente suffisamment sa production en novembre/décembre, disons d’au moins 1 mb/j, alors un atterrissage en douceur serait possible. Parce que le scénario précédent menacerait la cohérence du cartel, nous croyons que l'OPEP va tenter de l’éviter si c’est possible.
Quelques signaux, comme une hausse des expéditions en provenance du Moyen-Orient, nous donnent à penser que le deuxième scénario est le plus probable. Pratiquement, nous pensons que l'Arabie saoudite pourrait utiliser l’accord d’augmentation de la production, qui prend effet le 1er novembre, pour augmenter significativement sa production et ses envois, étant donné que c’est actuellement le producteur qui a la plus grande capacité disponible. Cependant, parce que l'OPEP a été lente à réagir à la baisse des stocks et parce qu'il faut du temps avant que les super tankers n’atteignent leur destination, nous ne voyons pas les prix se détendent avant le début de l'année prochaine.
En 2006, une des grandes surprises pour les marchés avait été la demande anormalement faible de l'Amérique du Nord au premier trimestre. Cet hiver fut l’un des plus chauds jamais enregistrés et la baisse de la demande par rapport au modèle saisonnier normal fut certainement liée aux conditions météorologiques. Selon les projections récentes de la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine (NOAA), l’histoire de 2006 pourrait se répéter en 2008. Si ces projections, il est vrai incertaines, se réalisaient, le niveau actuel de stocks de produits raffinés serait plus que suffisant, le cours des produits baisserait et avec lui le cours du brut.
A long terme, le pétrole doit se renchérir : c’est une ressource limitée et le pouvoir de marché de l’Arabie saoudite ne peut qu’augmenter, au fur et à mesure que les autres fournisseurs épuisent leurs propres champs de pétrole. En conséquence, le cours du brut devrait monter probablement plus vite que ce que suggère la règle de Harold Hotelling (qui pose que le taux de croissance de ce cours doit être égal au taux d'intérêt à long terme), à cause de la part de marché croissante du producteur dominant. Mais on peut discuter sur les perspectives de moyen-terme : à 90 dollars le baril, le niveau des réserves pétrolières mondiales économiquement exploitables est significativement plus haut qu'à 50 dollars. D’un autre côté, l’offre est relativement peu élastique, même à moyen terme, et nous croyons que la croissance mondiale repartira, après la pause de 2008. Le super-cycle mondial d’investissement, alimenté par les immenses besoins des nouveaux géants de l'économie globale, devrait durer de nombreuses années, et même dans les pays de l'OCDE, nous croyons que le cycle est très loin d’être terminé. Par conséquent, nous prévoyons une hausse significative des prix du brut à partir de 2009.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)