Faut-il restreindre les aides au logement pour les étudiants? edit
Les aides au logement font l’objet depuis plusieurs années de critiques récurrentes sur leur coût (près de 18 milliards d’euros) et leur effet inflationniste sur les prix du logement. La Cour des comptes vient de prôner une réforme assez radicale consistant à fusionner les APL avec le RSA et la prime pour l’emploi (en passe d’être eux-mêmes regroupés). Une telle réforme si elle était mise en œuvre et si elle revenait à aligner peu ou prou les conditions d’octroi de l’APL sur celles conditionnant l’accès au RSA, conduirait à éliminer les étudiants du bénéfice de cette allocation. Une telle piste n’a évidemment aucune chance d’être suivie par le gouvernement. Il est certain qu’elle mettrait des dizaines de milliers d’étudiants dans la rue.
Une autre idée évoquée par le rapport est d’interdire le cumul de l’allocation logement par les étudiants et du rattachement au foyer fiscal de leurs parents. Cette piste a été également abandonnée par le gouvernement qui semble s’orienter vers une réforme a minima qui consisterait à prendre en compte le patrimoine du bénéficiaire dans l’attribution des aides et à réduire les aides au-delà d’un certain niveau de loyer pour éviter que l’APL tire les prix vers le haut.
Ce sont certainement d’abord des raisons politiques qui ont conduit le gouvernement à renoncer à l’interdiction du cumul APL-rattachement fiscal. Pour qui n’est pas tenu par ces raisons politiques, la question reste entière : une telle piste est-elle justifiée ? Quelles seraient ses conséquences pour les étudiants ? On peut s’en faire une idée grâce à l’enquête sur les conditions de vie des étudiants réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante en 2013 sur 41 000 étudiants, avec des questions très précises sur leurs revenus et leurs conditions matérielles.
Un thème souvent évoqué pour soutenir la proposition d’interdiction du cumul est la justice sociale. En effet, dans l’état actuel, l’octroi et le montant de l’allocation logement ne sont pas soumis à des conditions de ressources des parents de l’étudiant. Ainsi des étudiants de familles très aisées peuvent toucher l’allocation logement au même titre que des étudiants de familles pauvres. Il suffit pour cela qu’ils ne vivent pas chez leurs parents et déclarent payer un loyer. On sait d’ailleurs que dans bien des cas ce loyer est en réalité payé directement par les parents. En réalité, en moyenne plus de la moitié (57%) du montant total du revenu des étudiants vivant dans un logement indépendant provient de l’aide des parents. Les aides au logement étudiant sont donc plus des aides à destination des parents finançant les études de leurs enfants que des aides directement destinées aux étudiants (même si ce sont eux qui en font la demande officielle et qui les reçoivent sur leur compte en banque). Ce constat conduit donc plutôt à aller dans le sens de ceux qui trouvent le système d’allocation logement injuste.
Toutefois, l’application d’une mesure de non cumul (entre allocation et rattachement fiscal) a son revers et il n’est pas si sûr qu’elle aille dans le sens de la justice. Tout d’abord, la mesure pourrait être contournée par les familles aisées par le versement de pensions alimentaires aux enfants détachés du foyer fiscal de leurs parents. Ensuite, l’examen attentif des données de l’OVE montre que le système ne bénéficie pas qu’à des étudiants de familles aisées. En effet, la part des étudiants qui bénéficient d’une allocation logement tout en étant rattachés au foyer fiscal de leurs parents est équivalente dans les familles ouvrières, dans les familles de classes moyennes et dans les familles les plus aisées (autour de 40% des étudiants ne vivant pas chez leurs parents dans chacun de ces trois groupes). Autrement dit, l’impact de la mesure consistant à interdire à un étudiant touchant l’allocation logement de se rattacher au foyer fiscal de ses parents pourrait ne pas être négligeable pour des foyers aux revenus moyens ou modestes (dans la mesure bien sûr où ils sont imposables). Derrière ce constat s’en cache un autre : la démocratisation de l’accès aux études supérieures qui a entraîné une forte diversification sociale du public étudiant. Même si les chances d’accès aux études supérieures restent socialement inégales, l’image des « Héritiers » - un monde étudiant exclusivement bourgeois – est derrière nous : plus de la moitié des étudiants viennent aujourd’hui de familles modestes ou moyennes. Une mesure appliquée de manière indifférenciée à cette population diversifiée peut donc avoir des effets imprévus.
Mais il y a une raison plus fondamentale qui peut faire douter de la pertinence de la mesure proposée par la Cour des comptes si l’on ne se place pas seulement dans la perspective des comptes publics (et il est vrai que c’est la mission de la Cour), mais dans la perspective plus large de l’intégration des jeunes dans la société. La question qui se pose est celle du degré d’autonomie qu’il faut leur reconnaître avant qu’ils accèdent par eux-mêmes à l’indépendance économique, et des moyens que la collectivité est disposée à engager pour cela. Dans les pays du nord de l’Europe, la question est entendue : tout jeune, à partir de 18 ans, est considéré comme détaché de ses parents et a droit de ce fait, lorsqu’il poursuit des études, à une aide de la collectivité. La France n’a certainement pas les moyens budgétaires de mettre en place ce système d’aide universelle à la jeunesse. Mais on peut se dire que les aides au logement étudiant constitue une sorte de compromis qui, pour un montant moyen par étudiant bénéficiaire qui reste très modeste (166 euros mensuels selon l’enquête OVE 2013), permet aux étudiants français d’expérimenter une première forme d’autonomie. La restreindre sévèrement enverrait le message que les étudiants doivent rester des grands enfants sous la tutelle de leurs parents.
Au fond, derrière cette question se pose celle, plus large, de l’éventuelle individualisation des droits de la jeunesse. L’aide au logement est, en théorie, une aide directe à l’étudiant, même si on a vu que dans la pratique elle s’apparente plus à une aide indirecte aux familles finançant leurs grands enfants. D’autres aides – travers le quotient familial, les prestations familiales – sont pensées en grande partie selon le principe que les parents ont à charge leurs enfants tant que ceux-ci ne sont pas parvenus à assurer complètement leur indépendance financière. On a donc plutôt tendance à privilégier des aides à la famille ayant en charge de grands enfants comme étant des sortes d’aides indirectes à l’autonomie des jeunes. Mais la question se pose de savoir si, à partir d’un certain âge, aider la famille et aider directement les jeunes sont deux démarches équivalentes. Aider la famille, plutôt qu’aider un jeune de 20 ou 21 ans, ne revient-il pas à prolonger de manière excessive une tutelle familiale ?
Au-delà de la réforme des aides au logement, il faudrait probablement repenser l’ensemble du système des aides familiales en l’adaptant aux évolutions qui font du « jeune adulte » une nouvelle phase de la vie combinant autonomie (dans la vie quotidienne, le logement) et maintien d’une relative dépendance financière à l’égard de la famille. Cela permettrait également de sortir d’une forme d’hypocrisie en assumant le principe d’une aide universelle à la jeunesse (au lieu de le faire de manière contournée à travers les aides logement) allant au-delà d’ailleurs du public étudiant. Cela supposerait évidemment de repenser de fond en comble le système des aides familiales. Des pistes avaient été imaginées dans ce sens dans un rapport déjà très ancien (1998) de Claude Thélot et Michel Villac sur la politique familiale qui envisageait un mécanisme permettant sous certaines conditions de verser directement à partir d’un certain âge des prestations familiales au jeune lui-même. 17 ans après ce débat reste ouvert.
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