Mais pourquoi fermer Fessenheim? edit

25 février 2020

La fermeture de deux réacteurs nucléaires à Fessenheim, la première immédiate et la seconde d’ici juin 2020, sans raison économique, sans motif de sécurité, à rebours de l’impératif climatique, ne manque pas d’interroger sur le poids de la rationalité économique dans la décision publique, la force de nos engagements de décarbonation depuis les Accords de Paris et le respect que l’on prête à l’Autorité de sureté nucléaire[1].

Cette décision prise par François Hollande est ainsi mise en œuvre par Emmanuel Macron dans un contexte énergétique rendu plus difficile par les retards de l’EPR de Flamanville, un retour d’expérience allemand négatif[2] et des émissions de gaz à effet de serre qui continent à croitre. Pour paraphraser Jacques Chirac, la planète brûle et nous regardons ailleurs, ou plus exactement on arbitre en faveur de solutions électriques plus carbonées. Car la fourniture d’électricité qui compensera celle de Fessenheim, quand elle viendra d’Allemagne par l’interconnexion, sera plus carbonée) !

Ce choix maintenu permet de tirer quelques conclusions avant de soulever quelques redoutables problèmes.

Le lobby nucléaire tant décrié et EDF, véritable État dans l’État si souvent dénoncé, n’ont pas fait le poids par rapport à une négociation d’appareils entre Verts et Socialistes en 2012. Le sort de Fessenheim a été scellé en même temps que les sièges parlementaires se distribuaient entre Martine Aubry et Cécile Duflot.

Un gouvernement harcelé par les demandes d’argent public est indifférent à la destruction de valeur économique que représente cette fermeture (les centrales auraient pu tourner 10 ou 20 ans de plus[3]), à la perte de recettes fiscales générées par un nucléaire amorti, voire à l’indemnisation qu’il devra verser à EDF.

La décarbonation de l’énergie produite n’est manifestement pas un objectif prioritaire pour les écologistes qui préfèrent apparemment les émissions de CO2 de centrales au charbon ou au gaz plutôt que le maintien en exploitation de centrales non émettrices de CO2 et supervisées au quotidien par l’ASN.

Pour les gouvernants comme pour les tenants de l’écologie politique, les émotions collectives après Fukushima l’emportent sur une trajectoire raisonnée d’évolution du mix énergétique au profit du renouvelable et de la maîtrise de l’énergie.

La fermeture de Fessenheim précédée de la confirmation de la fermeture à l’horizon 2035 de 14 tranches de 900 MW (sur 34) pour atteindre un objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique se fait sans bilan économique de la sortie partielle du nucléaire et sans bilan écologique.

Cette décision intervient dans le cadre de la programmation à long terme de la politique énergétique avec à l’horizon 2050  l’objectif zéro carbone avec une étape très volontariste de réduction des émissions pour 2030.

Or d’ici là il y a deux ou trois faits qui ne souffrent guère de discussion.

La France devra faire face à des besoins grandissants de fourniture électrique. La révolution de l’électro-mobilité, la croissance du numérique, tout concourt à une substitution pétrole-électricité et donc même les progrès programmés dans l’usage efficient de l’électricité ne suffiront pas à faire baisser les besoins en énergie électrique.

Ces besoins évolueront comme aujourd’hui en fonction des usages, des pics de consommation anciens et nouveaux, mais ils nécessiteront une fourniture régulière « en base » que les énergies renouvelables intermittentes ne pourront pas fournir.

Il faudra donc choisir pour la fourniture de base entre le charbon, le gaz ou le nucléaire. L’AIE (déclarations de Fatih Birol) comme le Royaume-Uni recommandent le nucléaire comme fourniture de base pour ceux qui en maîtrisent la technologie même s’il faut accepter un surcoût (choix britannique à Hinckley Point).

Faire le choix de la sortie progressive du nucléaire dans un tel contexte c’est de fait renoncer à l’impératif climatique. Certes telle n’est pas la ligne officielle du gouvernement français, qui prône plutôt un mix nucléaire-renouvelables 50/50, mais il y a une logique au désengagement progressif du nucléaire qui passe par la destruction d’un capital productif, la perte de compétences par panne de l’effort d’équipement et d’investissement, et à terme le renchérissement du nucléaire qui conduit à son abandon pour raison économique.

La question qui se pose dès lors est de savoir pourquoi la France, longtemps pays leader mondial du nucléaire et qui a fait fonctionner remarquablement son système industriel et son système de sûreté sur la durée, a par touches successives renoncé à son ambition, dénigré ses réalisations et préparé le terrain à l’abandon.

La première raison en France comme ailleurs tient à la peur du nucléaire qui progresse avec chaque accident comme on l’a observé avec Tchernobyl puis Fukushima. Cette peur se colore des problèmes de gestion des déchets et des difficultés du démantèlement.

Mais la France a longtemps été épargnée parce que ses dirigeants politiques ont réussi à associer nucléaire militaire et civil, revendication d’indépendance nationale et sécurité énergétique. Ce consensus gaullo-communiste était prolongé chez EDF par la CGT, syndicat dominant.

C’est le PS qui en trois temps va se convertir à l’idéologie écologiste et amorcé le grand tournant. C’est d’abord François Mitterrand qui renonce à la centrale de Plogoff après les intenses mobilisations qui avaient précédé son élection. C’est ensuite Lionel Jospin qui décide de fermer Super-Phénix et met en terme à une filière technologique prometteuse. C’est enfin François Hollande  qui décide de la fermeture de Fessenheim et de la révision du mix en abaissant la part du nucléaire à 50% à l’horizon 2025.

Ce recul de la part du nucléaire aurait pu s’accompagner d’un discours positif sur cette énergie décarbonée, qui avait si bien réussi à la France et qui pouvait continuer à assurer la fourniture en base. Mais les ennuis d’Areva, les retards de Flamanville, les surcoûts de l’EPR ont conduit à un dénigrement ambiant auquel le gouvernement actuel n’a pas été insensible puisque un scénario 100% renouvelable est envisagé par Mme Borne.

Enfin, dernier clou sur le cercueil du nucléaire français, le rapport Folz décrit une EDF incapable de mener à bien un grand projet, incapable de s’organiser en interne pour corriger ses erreurs, et qui en vient même sitôt l’accord signé avec les Britanniques  à annoncer des retards et des surcoûts pour Hinckley Point. On a connu des actionnaires plus motivés pour défendre leur champion (l’État détient 83% d’EDF).

Le tableau ne serait pas complet si l’on ne mentionnait l’hostilité rampante des institutions européennes à la filière nucléaire, pourtant décarbonée, et leur relative complaisance aux investissements gaziers et charbonniers ! Si l’on ajoute que ce sont ces mêmes institutions qui ont fini par contraindre EDF à partager sa « rente nucléaire », on a un exemple de plus du pilotage éclairé de la politique européenne de l’énergie.

Quant à l’appareil industriel français qui avait assuré les succès passés, il a soit été cédé aux Américains (Alstom GE) soit repris par EDF (ex Framatome).

Ainsi la seule énergie décarbonée bien maîtrisée par la France est à la dérive. Chinois et Russes sont en passe de prendre le leadership sur la filière ce qui ne manquera pas de peser sur la décision gouvernementale d’assurer aux centrales fermées d’ici 2035 une suite. Depuis Flamanville, aucun nouvel EPR n’a été lancé ce qui ne peut qu’aggraver les failles identifiées dans l’écosystème nucléaire français.

Avec le recul il est frappant de constater que la politique énergétique française basée sur le nucléaire avait réussi à concilier stratégie de long terme, avantage pour le consommateur et développement d’une puissante industrie domestique.

Mais ce que l’on sait moins c’est que cette politique  a obéi de manière exemplaire au triple objectif assigné aux politiques électriques nationales par les instances communautaires, à savoir impératif climatique, compétitivité de la fourniture et sécurité énergétique.

La politique qui s’invente à travers les avancées de l’écologie politique, les contraintes économiques et la réalité de l’impératif climatique ne pourra pas faire l’économie d’une vraie taxation du carbone émis ce qui ne manquera pas de reposer la question nucléaire.

 

[1] En 2015, Fessenheim était même considéré comme l'une des centrales « les plus sûres de France » selon Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

[2] Nos voisins allemands depuis la sortie du nucléaire ont réussi ce prodige d’augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre, d’accroître leur dépendance à l’égard du gaz russe, de faire appel au nucléaire français pour servir leurs consommateurs et de vendre à prix zéro à certains moments leurs excédents de production de renouvelables.

[3] La jumelle américaine de Fessenheim en PWR Westinghouse, Beaver Valley, a été autorisée à fonctionner jusqu’à 60 ans par le régulateur américain.