À Minneapolis, Trump installe un climat de guerre civile edit
La défaite de Trump semble s’annoncer de plus en plus clairement. Les derniers sondages donnent une nette avance au candidat démocrate, qu’il s’agisse de Biden, de Warren ou de Sanders. L’avantage des démocrates est également net dans les swing states qui feront l’élection. La politique extérieure du président apparaît de plus en plus catastrophique, causant un trouble sérieux chez ses plus solides soutiens, en particulier du fait de sa trahison des Kurdes, obligés de se rapprocher de Bachar et des Russes. Sa politique commerciale commence à peser gravement sur les agriculteurs et la petite industrie, particulièrement dans les états du Midwest qui l’avaient soutenu en 2016.
La mise en accusation du président par la Chambre des représentants, presque certaine désormais, constitue un moment crucial alors que s’ouvre la campagne électorale. Même s’il est très peu probable que le Sénat vote l’impeachment, Trump ne peut que pâtir du coup qui lui est ainsi porté. Un sondage publié dans le Washington Post montre que 58% des personnes interrogées contre 38% donnent raison à la Chambre d’avoir lancé la procédure d’impeachment et que 49% estiment qu’elle devrait voter la mise en accusation contre 44%. 62% contre 32% estiment que la demande de la Maison-Blanche aux autorités ukrainiennes de lancer une enquête sur le fils Biden était inappropriée. Enfin, tandis que l’attitude de la Chambre dans l’affaire de l’impeachment est approuvée majoritairement ce n’est pas le cas de celle du Sénat. Ces données sont d’autant plus dommageables pour Trump qu’elles portent une condamnation morale de son comportement. Ainsi, 60% contre 35% estiment que le président ne respecte pas les standards éthiques adéquats dans sa manière de gouverner.
Face à cette situation, Trump, lors de son premier meeting de campagne à Minneapolis, a annoncé la couleur. Fidèle à son tempérament, acculé à la défensive, il a adopté une attitude très agressive, se livrant à de nombreuses attaques personnelles, maniant l’injure et le mensonge et distillant la haine avec une intensité inégalée. Comme l’écrivait récemment Paul Krugman dans le New York Times, il est son pire ennemi et s’il continue dans cette direction, ce qui est le plus probable puisqu’il est ainsi fait, il court inévitablement à sa perte.
Si l’échec électoral du président sortant se profile, le meeting de Minneapolis doit cependant nous inquiéter fortement. En effet, il nous donne à voir ce que sera sa campagne : il s’agit de créer un climat de guerre civile tant par l’argumentation déployée que par les mots et le ton employés. Comme toujours, Trump projette sur ses adversaires – pour lui, ses ennemis – son propre comportement et ses propres objectifs. Il accuse les démocrates et la Chambre des Représentants de fomenter un coup d’État, de vouloir remettre en cause le résultat de 2016, d’être des ennemis de la nation et de préparer la destruction de la démocratie. En attaquant sans retenue à la fois les hommes et les institutions il met en cause en réalité le régime représentatif lui-même et son fonctionnement normal. En délégitimant les uns et les autres, il tente de légitimer son comportement de plus en plus dictatorial. En accusant de trahison Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre, et « crooked » [dixit Trump] Adam Schiff, le président du Comité du renseignement de la Chambre chargé d’étudier la demande de destitution, comité qu’il qualifie de bidon, il cherche à justifier ainsi son refus de coopérer dans l’enquête en cours du Congrès, se dressant contre la Constitution elle-même. Il s’agit pour lui de détruire les principes mêmes sur lesquels repose la démocratie américaine, que la Constitution énonce et défend. Dans un grand élan populiste il déclare ainsi : « Les Démocrates et leur partenaire, les médias, conspirent pour faire un coup afin d’inverser le résultat de l’élection de 2016. Ils veulent effacer votre vote comme s’il n’avait jamais eu lieu. Ils veulent effacer votre voix ; ils veulent effacer votre avenir. Mais ils échoueront parce que, en Amérique, c’est encore le peuple qui gouverne ». Ce faisant, il appelle ses partisans à se lever pour empêcher « l’élite corrompue washingtonienne » de lui voler son pouvoir, les invitant au lynchage des Démocrates présentés comme les ennemis du peuple. Ainsi, il injurie la représentante démocrate noire et musulmane, Ilhan Omar, l’accusant d’être une « disgrace » pour le pays, la traitant de socialiste qui hait l’Amérique, et prenant ainsi à témoin l’assistance : « Comment pouvez-vous avoir une telle personne pour vous représenter dans le Minnesota ? » Ayant accusé sans preuves le fils de Joe Biden d’avoir détourné beaucoup d’argent et réaffirmant sa volonté de « drainer le marais », il ajoute : « Maybe ‘Lock her up’ [Hillary Clinton] goes to ‘Lock him up’ [Hunter Biden], I don’t know ». La foule reprend en chœur : « Lock him up! Lock him up ». Il s’adresse alors directement à Hunter Biden : « Hunter, tu es un looser. Et ton père n’a jamais été considéré comme intelligent. Il n’est jamais passé pour un bon sénateur. Il n’a été un bon vice-président que dans la mesure où il avait compris comment lécher le cul de Barack Obama », ajoutant : « Les Biden sont devenus riches pendant que l’Amérique était volée ». Le compte-rendu du meeting décrit alors l’enthousiasme d’une foule en délire, goûtant fort l’audace et la vulgarité de son idole.
C’est ici que le danger apparaît le plus clairement. Un journaliste rapporte ces mots d’un participant à la sortie du meeting : « C’est nous qui sommes les plus forts, nous avons les armes ». Trump, en hystérisant ses partisans, présentant comme des ennemis dangereux du peuple américain tous ceux qui, démocrates ou même républicains, le critiquent, crée un climat de guerre civile dont il est permis de penser qu’il ne s’apaisera pas facilement une fois les élections passées si Trump est battu. Le grand principe de la démocratie représentative est que le perdant accepte sa défaite. Trump et ses partisans l’accepteraient-ils ? Après avoir chauffé à blanc ses zélotes, Trump pourrait-il, en admettant qu’il le veuille, leur faire accepter une éventuelle victoire démocrate ? Comment en effet admettre que les ennemis du peuple reviennent au pouvoir. L’Amérique ne serait-elle pas alors en grand danger ?
Dans ces conditions, on comprend pourquoi les sénateurs républicains ne voteront pas l’impeachment. Non pas seulement parce qu’ils tiennent avant tout à leur carrière et donc au vote de leurs électeurs, ce qui est humain à défaut d’être courageux, mais aussi peut-être parce que ceux qui voteraient l’impeachment risqueraient de ne pas perdre seulement leur siège… S’étant livrés, pieds et poings liés, à un apprenti sorcier, les Républicains n’ont plus guère que deux scénarios à leur disposition : couler avec lui en cas de défaite, ou, en cas de victoire, assister à la destruction de la démocratie américaine. Hitler, avant sa prise du pouvoir, écrivait : « Un ouragan de passion dévorante peut seul changer le destin des peuples ; mais celui qui porte en lui-même cette passion peut seul la provoquer. C’est elle seule qui inspire à ses élus les mots qui ouvrent, comme à coups de marteau, les portes du cœur d’un peuple. Celui qui ignore la passion, celui dont la bouche est muette, n’est pas l’élu du ciel pour imposer sa volonté ». Puisse cette passion dévorante ne point dévorer l’Amérique !
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