1,70 dollars pour un euro ? edit
La baisse régulière du dollar ces dernières années tourne aujourd’hui à la chute libre. Le catalyseur immédiat de cette accélération est l’impression croissante que la crise du crédit a mis la Réserve fédérale américaine le dos au mur et que, dans un contexte politique tendu, elle choisira plutôt de prendre des risques avec le dollar qu’avec l'activité économique. Bien sûr, une partie de cette dynamique est due à l'incertitude et à une grande défiance mutuelle au sein du secteur financier ; le temps devrait réduire cette incertitude, mais entretemps les investisseurs opportunistes – plus communément appelés spéculateurs – passent leur temps à attendre une politique qui inverserait la tendance et ils croient aujourd’hui voir venir le temps de ce changement.
Avant la crise du crédit et du marché immobilier, la vigueur de l'économie donnait à la Fed de bonnes raisons de ne pas se sentir tenue d’augmenter ou de baisser son taux d’intérêt, lui laissant ainsi une large marge de manœuvre. Ses gouverneurs ne l’admettent peut-être pas, mais le marché croit en tout cas qu’ils sont aujourd’hui plus enclins à sauver les marchés financiers en cas de besoin qu’à faire preuve de rigueur monétaire. C’est pour cela que les valeurs non-monétaires, comme l’or et le pétrole, s’envolent.
Jusqu’où tout cela ira-t-il ? Nous ne sommes pas dans un environnement où les spéculateurs en quête d’une bonne affaire attendent que le dollar soit tombé suffisamment bas pour l’acheter. La bonne affaire, aujourd’hui, c’est d’essayer de vendre des dollars avant les autres. Il s’agit plus de la crainte de ne pouvoir se débarrasser de ses dollars que de considérations sur leur cours à long terme. Cela dit, ceux qui cet automne se sont bruyamment alarmé de la surévaluation du dollar n’ont pas rendu service à sa cause.
Mais la baisse du dollar n'est-elle pas une bonne chose ? Peut-être, mais le marché est en désordre – les prix chutent, les gros acheteurs se font rares – et nous devrions donc nous attendre à une intervention des banques centrales. Cette intervention visera à stopper la chute du dollar et à recréer un marché dans les deux sens (achats et ventes de dollars à court terme), mais elle n’inversera pas la tendance baissière. Celle-ci ne s’interrompra que lorsque le cours du dollar sera assez bas pour provoquer un changement de politique monétaire en Europe – trop déflationniste à présent – et aux Etats-Unis –trop inflationniste. Il est clair que nous n’en sommes pas encore là. Je prévois que ce point sera plus proche d’un cours de $1,70 dollar pour l’euro et de $2,20 pour la livre sterling que des niveaux actuels. C’est une bonne nouvelle pour les exportateurs américains et une mauvaise nouvelle pour les exportateurs européens, même si une baisse des taux d’intérêts en Europe pourrait soutenir la consommation. Il est amusant de rappeler qu’u moment de la naissance de l'euro, et à la grande consternation de mes collègues londoniens, j'avais prévu qu’à cinq ou dix ans son cours monterait à $1,50. Ce pourrait bien être le cas, même si bien sûr je n'avais pas prévu les voies et les détours qu’il lui faudrait pour en arriver là.
L'analogie que j'utiliserais aujourd'hui, ce seraient les circonstances qui ont entouré l'effondrement du dollar en 1995, quand il a atteint face au yen des records de faiblesse, toujours inégalés. L’une des clés de cette crise était la pression en faveur d’une baisse des taux d'intérêt, suite à la crise mexicaine. Des interventions mineures ont eu lieu à plusieurs reprises cette année-là, principalement par la Banque de Japon, avant l’intervention décisive, qui fut accompagnée d’un changement de politique au Japon et d'objectif de politique aux Etats-Unis. Au lieu de la Banque de Japon, vous pouvez lire la BCE cette fois-ci.
L'été 1995 a vu la naissance de la ritournelle du « dollar fort » de M. Rubin, désormais si usée qu’il va falloir en trouver une autre. A l’époque j’avais l’habitude de discuter avec une des figures-clés du secteur international du Trésor américain, un personnage un peu gamin et plein de talent, Tim Geithner. Il préside à présent la Réserve fédérale à New York. Si quelqu’un sait ce qui se trame, c’est bien lui. Qu'il puisse y faire quelque chose est une autre affaire.
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