Couple franco-allemand: la grande explication edit
Comment n’être d’accord sur rien en matière de philosophie de l’action économique, se convaincre du caractère vital de l’accord sur tout, faire vivre en permanence la relation sans rompre et assister année après année au délitement de la construction européenne ?
Comment masquer les failles grandissantes sur l’Union Bancaire, la dette, l’extension du marché unique, l’investissement ; continuer à donner le change en multipliant les rencontres et les déclarations creuses sur l’Europe de l’énergie, le socle européen d’indemnisation du chômage, célébrer ad nauseam les vertus du couple franco-allemand avec pour résultat le lamentable accord du 13 juillet qui présente cette triple caractéristique
- de ne rien régler en matière économique, puisque de nouveaux objectifs irréalistes d’excédent primaire sont fixés sans qu’un sentier de croissance crédible ne soit défini
- d’aggraver une dette déjà insoutenable malgré les réductions et aménagements déjà menés
- et d’imposer aux Grecs des réformes qui feraient hurler les militants les plus timides du PS de François Hollande ?
Parce qu’il était conscient du ridicule des hommages qui lui étaient troussés au motif qu’il aurait évité le Grexit et mis en échec la stratégie de M. Schäuble, François Hollande s’est empressé d’esquisser les termes d’une relance de l’union politique. Or il se trouve que simultanément les « sages » allemands faisaient des propositions pour sortir l’Europe des dysfonctionnements révélés par l’affaire grecque.
Côté français, le triptyque hollandais s’énonce comme suit : il faut tout à la fois une nouvelle gouvernance pour sortir d’un pouvoir intergouvernemental dysfonctionnel, une nouvelle capacité permanente d’intervention financière propre à l’eurozone, une nouvelle instance de légitimation politique avec un nouveau parlement zone euro.
Comment éviter qu’au cœur de la nuit, à la veille de l’ouverture des marchés le 13 juillet, 28 chefs d’Etat n’aient à débattre du régime de TVA de l’île de Kos ou de Paros, que ces mêmes chefs d’Etat au bord de l’épuisement physique ne règlent dans le détail la logistique de l’agence de privatisation, si ce n’est en prohibant de type de négociation pour en faire la compétence exclusive d’un Commissaire Euro rattaché au Conseil et à la Commission et ayant une autorité pour mener à bien ce type de négociation.
Comment éviter que la Commission Européenne ne soit assimilée à une Cour de discipline budgétaire si son rôle effectif est de faire la police des déficits et des manquements aux critères de Maastricht, si elle ne peut ni encourager la réforme structurelle par des incitations appropriées, ni atténuer les chocs subis par tel ou tel pays en indemnisant partiellement les chômeurs, ni remettre un pays sur un sentier de croissance soutenable par des investissements appropriés ? Pour la France la solution passe par un budget de la Zone Euro qui reprendrait le MES et qui serait doté de ressources propres comme une fraction d’un impôt des sociétés normalisé au niveau européen.
Enfin comment effacer la sinistre impression qu’un pays en difficulté cesse d’être un membre à part entière de l’Union pour devenir un débiteur condamné à subir les oukazes d’un tribunal de créanciers ? La solution passe par une relégitimation des décisions du Conseil par une instance représentative qui peut être au choix une nouvelle chambre expression des parlements nationaux des « 19 » membres de la zone euro ou une section de l’actuel Parlement européen réuni dans une configuration à 19.
Côté allemand, après un rappel des évidences – pas de clause de sauvetage, pas d’union de transferts – et des avancées –le MES et l’UB – les sages entendent renforcer la discipline budgétaire en ôtant aux Etats le statut privilégié de la dette émise, en posant le principe que toute socialisation de moyens comme un budget commun ou un socle commun d’indemnisation du chômage doit s’accompagner d’un transfert de souveraineté. Pour les sages surtout la crise grecque rend impérative la nécessité de penser la gestion d’un défaut souverain par la sortie de la zone euro. En résumé : non à l’union de transferts, non au budget, oui au renforcement des règles, et surtout à un article 125 réformé pour préparer les exits.
La mise en parallèle de ces deux propositions révèle l’abîme qui sépare les positions françaises et allemandes. Certes les positions des sages ne sont pas celles de Wolfgang Schäuble et ne sont pas celles d'Angela Merkel. Le gouvernement français est lui-même partagé sur l’ampleur du budget euro, les compétences de « Monsieur Euro », les abandons de souveraineté à consentir pour la nouvelle avancée, la nécessité de réformer les Traités… Mais il est frappant de constater que face au keynesianisme sociétal français, les Allemands opposent un ordo-libéralisme radicalisé.
La grande explication franco-allemande approche donc.
Il n’y aura pas d’union de transferts sans abandon parallèle de pans de la souveraineté notamment en matière budgétaire. Pour la France c’est une révolution copernicienne, son addiction à la dépense publique, aux déficits et à la dette n’ont guère besoin d’être illustrés. L’enjeu pour la France est l’acceptation du transfert à Bruxelles de l’autorité sur les grands équilibres budgétaires.
Il n’y aura d’union bancaire réelle, c’est-à-dire avec un mécanisme de solidarité financière, sans une intégration réelle, une extension de la supervision européenne et une rupture du cordon entre banques nationales et Etat national.
Il n’y aura d’avancée significative sur les ressources propres de l’Eurozone que si un régime d’insolvabilité et d’exits est mis en place pour les pays qui ne peuvent soutenir les disciplines communautaires.
François Hollande et son équipe n’ignorant rien de ces contraintes. Il reste à comprendre pourquoi ils ont engagé un tel mouvement et laissé Emmanuel Macron préciser le plan Hollande en y ajoutant une nouvelle ambition pour le marché unique, une convergence fiscale sur l’IS, une capacité d’investissement propre à la zone euro, etc. Car la partie allemande demande à présent des précisions, des engagements motivés et des agenda détaillés de négociations. Il y a deux hypothèses possibles.
La première est que François Hollande se soit sincèrement convaincu de la nécessité d’une nouvelle avancée européenne et de la responsabilité qui était la sienne dans le moment présent. L’Europe étant plus que jamais indispensable dans un monde instable, avec une montée continue des tensions, qu’il s’agisse des drames migratoires, du nouveau terrorisme ou de l’aventurisme poutinien, il conviendrait selon cette interprétation de consentir aux abandons de souveraineté nécessaires. Ce faisant Hollande sait qu’il prend de très grands risques, les Français n’étant guère enclins à consentir des abandons de souveraineté, surtout s’ils se convainquent que c’est la dépense publique qui en souffrirait, mais le président estimerait que ce combat mérite d’être mené.
La seconde est que rien ne pouvant se faire avant 2017 et la double élection française et allemande, il est peu coûteux politiquement de s’engager sur un bouleversement institutionnel qui passera par un appel aux peuples et qui avant cette date nécessitera un temps infini de négociations. Les Allemands ayant peu le goût des proclamations romantiques négocieront âprement les moindres éléments de cette nouvelle donne institutionnelle.
L’hypothèse la plus probable est sans doute dans l’entre-deux : en politicien madré qu’il est devenu François Hollande a sans doute une réelle conviction européenne mais il sait aussi que le temps lui est favorable et que l’adoption de cet agenda ne le conduira à prendre aucun engagement qui puisse mettre en péril ses soutiens avant l’élection de 2017.
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