« Je dois être le maître dans tout et surtout dans ce qui concerne les affaires de la Banque » edit
« Je dois être le maître dans tout ce dont je me mêle et surtout dans ce qui concerne les affaires de la Banque, qui est bien plus à l'empereur qu'à ses actionnaires puisqu'elle bat monnaie », disait Napoléon. Aujourd'hui Nicolas Sarkozy n'est pas loin de penser la même chose. Sans la citer, le président a de nouveau épinglé la Banque centrale européenne, sur trois thèmes : il faut pouvoir débattre de tout, y compris de la politique monétaire ; l'Europe ne doit pas être la seule grande puissance économique à ne pas pratiquer une politique de change conforme à ses intérêts ; l'indépendance ne doit pas se confondre avec une "totale irresponsabilité". Quelle peut être la portée de ces déclarations ?
Deux aspects de ce débat sont extraordinairement frappants. D'abord, c'est un débat franco-français, il n'y a pas un gouvernement étranger, pas même un organe de presse reconnu en Europe, qui reprenne à son compte la rhétorique française. On peut donc présumer que le recours récurrent à ce thème fait plutôt partie de notre débat de politique intérieure. Le corollaire de cette stratégie, malheureusement, c'est notre isolement croissant - Madame Lagarde en fait la douloureuse expérience à chaque réunion des ministres des Finances - et de ce fait la perte d'influence de notre pays en Europe.
L'hypothèse suivant laquelle cette contradiction se dénouerait en faisant plier nos partenaires de l'eurozone et la banque centrale n'a en effet pas de sens. Nous n'avons pas suffisamment conscience en France du fait que, pour tous nos partenaires et notamment pour l'Allemagne, notre pays a pour caractéristique de céder depuis des années à la facilité en refusant les disciplines et les réformes nécessaires pour régler nos propres problèmes. Le volontarisme affiché de la nouvelle équipe fait bonne figure en certaines circonstances mais, fragilisé par l'équation budgétaire, il n'est pas suffisant pour renverser cette image. Trop de pays petits et grands ayant donné la preuve que ces ajustements étaient possibles et qu'ils étaient payants, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de mansuétude de leur part. Finalement, l'idée que dans cette position de faiblesse nous puissions donner des leçons sur la marche à suivre en matière économique, monétaire ou financière apparaît tout simplement fantaisiste.
Sur le plan institutionnel, le fond du problème, c'est, comme le souligne le président la qualité du dialogue entre gouvernements et banque centrale. Nous restons à cet égard marqués en France par l'héritage de Napoléon, alors que le principe de l'indépendance des banques centrales s'est imposé partout dans le monde occidental. Cela dit, les contours de cette indépendance et ses modalités d'exercice peuvent en effet prêter à débat. Par quel biais l'aborder de manière constructive?
Certainement pas en passant sans ménagement de la haute politique au pointillisme juridique, feignant par exemple de croire que le fameux article 111 du traité de Maastricht, celui portant sur les compétences en matière de changes, tranche sans ambiguïté la question en faveur du volontarisme politique. En fait, si on s'en tient là, c'est le contraire : " le Conseil, est-il dit, statuant selon la majorité qualifiée et agissant soit sur la recommandation de la Commission après consultation de la BCE, soit sur recommandation de la BCE, peut formuler des orientations générales sur la politique de change ; ces orientations générales n'affectent pas l'objectif principal à savoir la stabilité des prix ". Avec la Banque centrale, en quelque sorte, tout peut être discuté, rien ne peut être imposé : cela suffit pour que la porte du dialogue entre autorités politiques et monétaires ne soit pas fermée. Mais comment pousser adroitement cette porte ?
Abordant cette question de manière pragmatique, on peut se référer à des exemples étrangers. Celui de la Fed aux Etats Unis est fréquemment cité et il est instructif. Il faut avoir deux différences présentes à l'esprit. D'abord, l'indépendance de la BCE est d'un degré en quelque sorte supérieur à celle de la Fed car cette dernière est l'émanation du Congrès - qui a peu de scrupules à rappeler qu'il exerce un vaste empire dans la démocratie américaine - alors que la BCE a été créée par traité ; deuxièmement, la mission de la BCE est explicitement concentrée sur la hausse des prix alors que la Fed a plutôt, comme l'a voulu le Congrès, un objectif dual, inflation et croissance.
Partant de là, ce qui frappe, c'est de constater que la pratique institutionnelle soit aussi proche des deux côtés de l'Atlantique : vis-à-vis des représentants élus, le gouverneur de la BCE rend compte au Parlement européen de la situation et de la politique monétaires comme le fait son homologue de la Fed devant les commissions du Congrès ; et vis-à-vis de l'exécutif, il n'y a pas de grande différence entre le dialogue régulier du gouverneur de la Fed avec le Secrétaire au Trésor d'un côté et celui du patron de la BCE avec les ministres des Finances de l'eurogroupe. Dans l'un comme dans l'autre cas, ce qui caractérise ce dialogue avec l'exécutif, par contraste avec des auditions parlementaires, c'est que la confidentialité s'impose : personne par exemple n'a en mémoire une querelle publique entre la Maison Blanche et la Fed même si des divergences fortes peuvent apparaître.
" La Fed baisse ses taux et tout repart, je dis à la BCE regardez ce que font les autres ", avait commenté le Président il y a quelques semaines.
En fait, si l'on observe en effet les décisions de la BCE depuis ses origines et les commentaires, on est au contraire frappé par sa capacité à suivre une voie médiane. Contrairement aux reproches qui lui étaient faits avant même sa création, elle n'a jamais cédé à un penchant rigoriste ; en 1999, elle a accepté, sans s'en réjouir probablement, mais sans relever ses taux, une dévalorisation presque honteuse de la monnaie commune qui était très éloignée des espoirs que l'on avait placés en elle ; par la suite, elle n'a jamais réagi avec excès à une évolution des prix qui a toujours été dans l'eurozone supérieure à son objectif, contrairement aux Etats Unis où les risques déflationnistes ont été réels, avec une inflation reculant jusqu'à 1% en termes annuels.
En matière de stabilité monétaire et financière, la BCE, avec d'autres banques centrales, a toujours été plus vigilante que la Fed sur l'explosion des prix d'actifs, elle en a été bien inspirée puisque l'Europe a échappé aux délires du marché " subprime " ; et au moment où ses mises en garde répétées s'avèrent soudainement judicieuses, l'été dernier, elle fait face rapidement et avec pragmatisme, refusant et le rigorisme bien mal inspiré du gouverneur de la Banque centrale d'Angleterre et l'esprit de facilité auquel a rapidement cédé la Fed, en dédouanant les excès passés d'un capitalisme de spéculateurs et en prenant sans sourciller le risque de la prochaine vague spéculative : c'est cela que le marché actions a salué, pas beaucoup plus !
Prendre la Banque centrale européenne comme bouc émissaire des insuffisances bien connues de notre économie et du retard coupable pour entreprendre des réformes nécessaires n'a donc pas de justification et restera sans effet sur nos partenaires.
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