Le mirage de la relance ciblée edit
La relance budgétaire est une opération de bon sens. On ne devrait jamais accepter un déficit budgétaire de bon cœur car il est rarement justifié. Après trois décennies de gabegie, la dette publique est élevée et pèse sur l’économie. Mais il n’y a pas le choix. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Bravo, donc, pour la relance et, courage. Si les prévisionnistes ne se trompent pas – ce serait original ! – il en faudra sans doute beaucoup plus. Mais il est étrange de voir comment une bonne idée peut être immédiatement galvaudée. Tous les groupes d’intérêt n’ont compris qu’une chose : le porte-monnaie de l’État – le vôtre, le mien, celui des contribuables – s’entrouvre. Et le gouvernement semble avoir compris la même chose : le temps est aux bonnes œuvres, celles qui vous valent des reconnaissances durables. À ce jeu très en vogue, ce n’est ni le sens de l’intérêt général ni la qualité du raisonnement économique qui compte, mais le toupet et la gourmandise. De quoi faire pâlir les banquiers.
La palme d’or revient au dirigeant d’un groupe pétrolier qui a expliqué (à quelques chefs d’État et en ma présence) que la baisse du prix du pétrole posait un problème pour son industrie. Certes, à 40 dollar le baril, chercher de nouveaux puits ou extraire des schistes bitumineux n’est pas rentable. Mais nous redescendons juste des 140 dollars, et uniquement parce que le monde entre dans la plus sérieuse récession depuis soixante ans. Qu’il se rassure, les prix retourneront bientôt, hélas, vers de nouveaux sommets, et l’industrie pétrolière a dû amasser de très jolies réserves ces derniers temps. Demander aujourd’hui l’argent du contribuable relève de la provocation.
La médaille d’argent pourrait aller au lobby des travaux publics. Ils ont demandé, et obtenu, des grands travaux, pour ne pas menacer les 75 000 nouveaux emplois créés depuis cinq ans. Bien joué, le coup des emplois ! Ça touche le contribuable, mais on y reviendra. Ce puissant lobby prévoit une chute cumulée de 10% de son activité cumulée en 2008 et 2009. C’est beaucoup. Mais le chiffre affaire du secteur a augmenté de 50% depuis 2002. Donc, au total, ça ne fera que 40% de mieux, pas de quoi sonner le tocsin.
Mais, en fin de compte, les travaux publics n’auront que le bronze. L’argent va aux promoteurs immobiliers. Avant que les concurrents n’aient compris ce qui allait arriver, ils ont obtenu que l’Etat rachète les logements récemment construits mais pas encore vendus, et donc invendables pour l’instant. Un promoteur est quelqu’un qui est bien payé parce qu’il prend des risques. Il imagine des programmes, les met en route, mais n’est pas sûr que ça se vendra, en tout cas pas aussi bien que prévu. Entre 2002 et 2007, la plupart d’entre eux se sont sentis à Las Vegas, avec des prix en hausse de 10% à 15 % par an. Puis la situation s’est retournée, ce qui était prévisible, et les prix se sont « effondrés » d’environ 10%. Panique, donc, lorsque le risque n’est pas seulement à la hausse. Le gouvernement a offert de racheter 100 000 logements qui deviendront « sociaux ». Et bien, les promoteurs ne sont plus paniqués, en tout cas pas assez pour offrir à l’État leurs stocks d’invendus. Parce que l’État demande une décote de 30%. La médaille récompense la rapidité et le cynisme.
Les autres n’ont pas droit à la médaille. Les constructeurs d’automobile se sont réveillés bien après leurs collègues américains et n’ont pas obtenu grand-chose, du moins pour l’instant. Les PME, toujours promptes à expliquer qu’elles sont les plus grandes créatrices d’emploi, en oubliant de mentionner qu’elles sont aussi les plus grandes destructrices d’emploi, n’ont eu droit qu’à une accélération de ce que l’État leur doit. Les vraies bonnes causes ont fleuri de partout : écologie, innovation, hôpitaux (une mention pour les urgentistes), éducation nationale, art et culture, etc. Chacun y est allé de sa préférence, après tout c’est Noël et les clochettes de l’Armée du Salut sont de retour.
Les aides ciblées, pour reprendre l’expression à la mode, sont tout simplement des subventions étatiques. Elles peuvent avoir deux objectifs : protéger l’emploi ou permettre le développement – ou juste la survie – d’entreprises menacées par la récession. Les deux objectifs sont trop souvent confondus. Pour comprendre la différence, on peut regarder à l’étranger, histoire de dépassionner un peu le débat. Supposons que General Motors fasse faillite, que se passera-t-il ensuite ? Les Américains sont les derniers clients de cette compagnie qui a misé sur une stratégie qui avait clairement échoué bien avant la crise. Mais ils continueront à acheter des voitures, en tout cas une fois la crise passée. La plupart seront fabriquées aux États-Unis, comme c’est déjà le cas pour les voitures étrangères qui ont acquis une part de marché de 60%. La disparition de GM comme entreprise ne signifie pas que ses usines seront abandonnées ni que les talents de ses salariés seront ignorés. Des compagnies étrangères arriveront, rachèteront les usines et réembaucheront une bonne partie des salariés. Cet exemple montre que protection des emplois et protection des entreprises ne coïncident pas. C’est bien cela que les patrons de GM, Ford et Chrysler sont allé expliquer au Congrès : qu’il s’agit de sauver la technologie américaine.
L’autre argument est que les aides peuvent permettre à des entreprises innovantes de se développer. Il est vrai que les entrepreneurs audacieux et imaginatifs ont du mal à trouver des financements de la part d’investisseurs craintifs. C’est bien pour cela qu’existent des agences spécialisées. Pourquoi multiplier les aides en période de crise ? Une bonne raison est que ces entrepreneurs vont devoir attendre plus longtemps que normalement pour percer. Mais les sommes annoncées vont au-delà de ce que les agences spécialisées peuvent distribuer. Une grande partie de ces aides va aller aux GM pour qui la récession est le coup de grâce. Cela leur permettra de survivre un peu plus longtemps, à grands frais pour le contribuable, sans beaucoup d’effet sur l’emploi.
Et l’emploi, alors ? Ca devrait être l’objectif prioritaire de la relance. Pour que les entreprises maintiennent l’emploi, il faudrait que leurs marchés se maintiennent, et c’est là que le bât blesse. La solution consiste à soutenir la demande par des baisses d’impôt, en espérant que les consommateurs en dépenseront une bonne partie, de préférence sur des produits « made in France ». Les critiques de cette option affirment que les baisses d’impôt seront épargnées ou consacrées à des importations. Mais rien ne justifie cette affirmation. Les montants épargnés seront limités si les mesures favorisent les bas revenus. Quant aux importations, c’est inévitable, mais nous n’importons que le quart de nos dépenses et on peut espérer que nos partenaires nous renverront l’ascenseur, c’est tout l’enjeu d’une relance européenne concertée.
Hélas, la pente naturelle va vers les aides ciblées. Ça sonne bien. Ça donne une impression de précision et d’efficacité. Ça enthousiasme les technocrates qui peuvent à nouveau manœuvrer leurs leviers de commande, normalement cadenassés par les accords européens sur les aides d’Etat. Ça plaît aux politiques qui peuvent exercer leurs pouvoirs, se charger de remplacer les si frustrantes lois de l’économie par le volontarisme, et finement ajuster leurs cadeaux en oubliant un temps la contrainte budgétaire. Ça plait à gauche parce que ça donne l’illusion d’un retour de l’Etat. Ça plaît à droite parce que l’argent va à l’establishment industriel. Mais les contribuables et les employés ne devraient pas se laisser tromper. Ce sont eux qui rembourseront la dette, et ils ont le droit et le devoir de demander que leur argent soit bien dépensé. Mais qui parle pour eux ?
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