Pendant la crise financière Sarkozy fait (toujours) de la politique... edit
C’est une affaire entendue : cette crise met un terme à 25 ans de domination absolue du marché sur la politique, de la déréglementation sur la régulation, de la cupidité des financiers sur l’esprit du capitalisme entrepreneurial. Pour une opinion publique en prise avec le chômage, l’érosion du pouvoir d’achat et la peur de l’avenir, le spectacle de dirigeants faillis grassement rémunérés ne peut que nourrir un anti-capitalisme atavique que Nicolas Sarkozy a réussi à capter parfaitement, quitte à asphyxier un petit peu plus le PS. C’est une affaire entendue, sauf que dans le monde réel, les faits observés correspondent rarement aux idées reçues.
Peut-on soutenir en effet que nous sortons d’une longue éclipse du politique au profit des régulations spontanées de marché ? L’idée n’a guère de consistance. Les économies contemporaines sont régulées. Les autorités politiques consacrent leur activité législative à doser le degré de liberté et de contrainte réglementaire.
Les grands choix de la période (1985/2007) – déréglementation, libéralisation, privatisation, indépendance des banques centrales – furent des choix politiques. Ils intervenaient en outre au terme d’une période d’inflation, de stagnation économique, de recul des gains de productivité (1974/1981).
Si l’on s’intéresse à la crise actuelle, force est de constater qu’elle naît d’abord de déséquilibres globaux que nous n’avons pas su gérer politiquement et d’une politique monétaire laxiste dont la justification essentielle était d’éviter la panne de croissance et le chômage, après l’éclatement de la bulle Internet et le 11-Septembre.
Si l’on resserre encore davantage le focus sur la crise des « subprime », qui a voulu promouvoir la propriété immobilière pour les classes défavorisées ? Qui a considéré que les subprimes étaient un élément de la « social fabric » ? Qui a tancé Fannie et Freddie pour leur timidité en matière de prêts aux démunis ? Qui, si ce n’est le pouvoir politique ?
Peut-on alors soutenir qu’à défaut de sortir d’une ère d’éclipse du politique, nous quitterions le monde dérégulé du tout marché ? Là aussi, le slogan est trompeur.
D’une part, chacune des crises intervenue au cours des 10 dernières années a été l’occasion d’un renforcement de la régulation. Citons pour mémoire les réformes de la gouvernance, les réformes des professions de l’audit et de l’analyse financière consécutives aux crises d’Enron et de la nouvelle économie (Sarbanes Oxley Act).
D’autre part, le secteur bancaire est hyper-régulé, et il a pourtant été l’épicentre de la crise. Les vingt dernières années ont certes vu la déconstruction du Glass Steagall Act, mais les normes prudentielles, les exigences de solvabilité ont été sans cesse renforcées. C’est du reste parce que le secteur était de plus en plus réglementé que l’innovation financière s’est développée aux marges du système. La combinaison d’une idéologie de l’autorégulation et d’une dynamique d’innovation financière ont conduit à la prolifération de produits toxiques et à une montée générale des risques ; mais ces trous de la régulation ont été voulus ou assumés par les régulateurs et notamment la Fed et la Sec. La cohabitation de secteurs régulés et non-régulés, la multiplicité des organes de régulation s’est soldée par un échec, mais il est difficile de soutenir que la régulation était absente.
Faut-il alors encadrer l’innovation financière au motif que certains produits innovants auraient un fort potentiel destructeur ? On aimerait souscrire à cette idée et introduire un principe de précaution en matière financière, si l’on avait la méthode. Dès lors que l’on se refuse à prohiber l’innovation les vraies questions deviennent : que réguler et à quel stade ? Comment corriger l’effet procyclique des régulations de solvabilité ? Comment limiter l’arbitrage réglementaire ? Comment corriger les asymétries d’information entre régulateur et régulé, comment combler le fossé financier entre acteurs et contrôleurs ? Comment contrôler les contrôleurs ? On le voit, le problème est difficilement réductible à un combat entre les lumières de la régulation et l’ombre de la déréglementation.
Peut-on enfin incriminer des comportements de cupidité qui rompraient avec un capitalisme des origines, éthique et entrepreneurial ?
Malgré tout le confort moral que confère un discours de dénonciation des bonus obscènes, des golden parachutes pour dirigeants faillis, des rémunérations délirantes que s’octroient les traders des hedge funds, la dénonciation manque son objet.
Le capitalisme entrepreneurial a besoin de finance, il ne se développe pas dans le ciel pur de la création industrielle. Il a même besoin de finance de marché, songeons simplement aux start ups, et plus généralement au financement du cycle de vie de l’entreprise.
Le capitalisme n’est pas affaire de morale ou d’éthique, il est plutôt fondé sur l’idée que la recherche par chacun de ses propres intérêts est la meilleure solution collective car aucun planificateur central, aucun dirigeant bénévolent ne peut produire en chambre un meilleur résultat collectif. De ce point de vue, la défense par Greenspan, devant le Congrès, de sa politique passée est pathétique : à l’en croire l’auto-régulation est la meilleure solution pour peu que les acteurs ne cèdent pas à la cupidité ! L’éthique n’est donc pas la réponse à la cupidité. Pour autant nul ne peut se satisfaire de bonus qui incitent à une prise de risque excessive et de court terme, nul ne peut accepter des rémunérations non indexées sur la profitabilité durable. La solution est donc à chercher dans l’invention et la mise en œuvre de bonnes structures d’incitations.
Alors peut-on se contenter de balayer d’un revers de la main ce retour du refoulé anti-capitaliste, anti-financier et mettre sur le compte de la posture politique les discours actuels de Nicolas Sarkozy. Des décisions peuvent être prises par temps de crise qui peuvent avoir des effets sur la longue durée, et, par exemple, conduire à renouer avec un passé interventionniste. En sommes-nous là ? Colbert est-il de retour ?
Pour en juger, il faut considérer les mesures prises jusqu’ici en comparant les plans de sauvetage britannique, américain et français.
La France comme le reste de l’Europe a adopté le Plan Brown qui consiste pour l’essentiel à recapitaliser les banques, à apporter la garantie de l’Etat pour dégeler le crédit interbancaire et à garantir l’argent des déposants.
Le plan français présente deux caractéristiques. Il est moins sévère que le plan britannique à l’égard des banques, dans la mesure où les conditions attachées à la recapitalisation sont moins exigeantes tant en termes de capital détenu et de présence dans les Conseils que de limitations des rémunérations et des dividendes.
La création de la SFFE est en revanche singulière : il ne s’agit pas tant d’un organe public apportant la garantie de l’Etat pour la fluidification du crédit interbancaire que d’une joint venture avec le système financier français pour refinancer des crédits à risque. La création concommitante d’un médiateur du crédit et la mobilisation du corps préfectoral peuvent conduire à l’émergence d’un système parallèle de crédit bancaire à la faveur de la crise. Mais attendons pour juger.
Par contre, l’évocation d’un fonds souverain français, hébergé par la Caisse des Dépôts et doté de larges ressources pour venir aider en capital les entreprises françaises victimes potentielles de fonds souverains étrangers, est du plus mauvais effet. Le détournement du concept de fonds souverain alors que la France n’a pas d’excédents à placer, que son dispositif est protecteur du capital national, que les fonds émergents rapatrient leurs capitaux, relève du stratagème politique plus que de la stratégie de sortie de crise.
À ce stade, on peut conclure que Nicolas Sarkozy, en mobilisant la rhétorique anti-capitaliste, fait de la politique intérieure plus qu’il ne contribue à « refonder » le capitalisme global.
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