Un tunnel peut en cacher un autre edit
On savait bien que le plus difficile pour François Hollande n’était pas de se faire élire mais de prendre le pays en charge à un moment extraordinairement difficile sur le plan économique. Son silence sur ces questions durant la campagne pouvait soit être de la tactique politique, soit l’absence de plan stratégique. Quatre mois après son élection, il n’a pas encore articulé sa vision d’une crise qui ne cesse de s’aggraver dans la zone euro. En mettant bout à bout les petites phrases des uns et des autres, on sent le débat et, peut-être la direction dans laquelle Hollande semble se diriger, et ce n’est pas très rassurant.
La première question est celle de la dette publique. Hollande semble avoir décidé de respecter la vision allemande de la discipline budgétaire : ce sera 3% de déficit en 2013, et 0% en 2017, comme promis par Sarkozy. L’argument officiel est que toute reculade serait interprétée par les marchés financiers comme un marque de laxisme, ce qui précipiterait la France dans le panier des pays en crise. Cet argument reflète une profonde méconnaissance des marchés financiers. Les marchés comprennent qu’il faut du temps pour retourner la situation et que cela ne se fera certainement pas dans un contexte de récession. Or les objectifs annoncés exigent une politique budgétaire restrictive qui va plomber la croissance et produire une récession. Rien de ce qui est dit ne se produira. Autrement dit, les objectifs annoncés ne sont pas crédibles et les marchés raisonnent avant tout en terme de crédibilité.
La crédibilité n’est pas une question de 2013 ou de 2017. La France doit prouver que, sur le long terme, qui se mesure en décennies et non en années, la dette publique sera ramenée à un niveau soutenable, disons de l’ordre de 50% du PIB. Cela demande une stratégie économique et des changements institutionnels. On sait depuis longtemps que les stabilisations budgétaires qui réussissent sont celles qui se basent sur une réduction des dépenses de l’État. La chance de Hollande est que la France est numéro 1 au monde en matière de dépenses publiques, 55% du PIB. Tailler dans le gras devrait être techniquement facile. Mais c’est aussi politiquement délicat. Déjà certains syndicats et autres groupes de pression s’agitent pour défendre leurs parts du gâteau. Hollande aura établi sa crédibilité lorsqu’il aura défini la liste des réductions de dépenses, étalées sur aussi longtemps qu’il veut, mais chiffrées avec précision et calées sur une volonté inflexible. Oui, couper les dépenses a la réputation d’être de droite, mais le gouvernement français est tout bonnement obèse. Soigner sa maladie est au-delà des clivages politiques. C’est désormais la condition sine qua non de la crédibilité.
Sur le plan européen, la situation est la même. Merkel a offert à Hollande sa croissance, quelques mesurettes symboliques, mais elle s’efforce de tenir le cap sur les orientations fondamentales. Elle se trompe profondément, l’austérité imposée est un échec de plus en plus criant, et elle devra reculer, comme elle l’a déjà beaucoup fait depuis deux ans sous la pression des marchés financiers. Face à une stratégie claire mais erronée, Hollande pourrait être celui qui fait bouger les lignes, mais c’est lui qui semble reculer. La semaine dernière, recevant le Premier ministre grec venu demander un répit dans l’austérité, Hollande a collé à la ligne Merkel, celle qu’il avait dénoncée durant la campagne. Il pourrait s’inspirer de la nouvelle BCE qui avance pas à pas des idées nouvelles et force ainsi Merkel à évoluer. Mais cela demande des idées précises qui s’articulent autour d’une stratégie viable.
En fait, budget de la France et crise européenne relèvent de la même problématique. La plupart des pays européens sont ou seront en récession et n’ont plus les moyens de faire de la relance budgétaire. La politique monétaire a atteint ses limites avec un taux d’intérêt proche de zéro. Les marchés paniquent périodiquement face à la montagne des dettes publiques. C’est un héritage épouvantable, le résultat de trop d’années de laxisme budgétaire et bancaire. La bonne réponse est logique : apurer le passé et faire en sorte que ceci ne se reproduira plus jamais. Les Allemands veulent avant tout s’attaquer au « plus jamais », en imposant des punitions qui ne seront pas oubliées. Face à cette déviance moralisatrice, il est essentiel de séparer les deux questions.
Apurer le passé consiste à nettoyer les écuries, ce ne sera pas une partie de plaisir. Inévitablement, certains pays vont devoir répudier en partie leurs dettes, ce qui va conduire des banques à la faillite. Les marchés financiers ont compris cette évolution aussi catastrophique qu’inéluctable. Il faut donc les stabiliser, et ensuite il faudra remonter les banques. Les sommes nécessaires, plusieurs milliers de milliards d’euro, ne sont disponibles nulle part. Seule la BCE peut « trouver » ces euros. Elle devra briser ses tabous en garantissant partiellement les dettes publiques et en agissant comme prêteur en dernier ressort pour remettre à flot le système bancaire. Elle s’y prépare activement, face à une Allemagne pétrifiée par la remise en cause des principes de bonne gestion.
C’est pour cela qu’il faut, en même temps, mettre en place les arrangements qui garantissent le « plus jamais ». Plus jamais de déficits de confort, c’est le pacte budgétaire. Plus jamais de banques qui s’imaginent éternelles car protégées par l’argent du contribuable, c’est l’union bancaire.
La petite musique parisienne est très loin de tout cela. L’apprentissage risque d’être pénible et, malheureusement, le temps est compté. Encore quelques semaines et toutes ces questions vont surgir. On ne gère pas une crise financière majeure avec de belles phrases, une com élaborée et des calculs politiques. Quand la ligne Merkel s’effondrera, ce seront ceux qui ont les bonnes idées qui vont piloter la suite des événements. Peut-être les Allemands eux-mêmes ? Peut-être d’autres leaders, Monti par exemple ? Sûrement la BCE. Il y a des places à prendre.
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