Compétitivité : pourquoi la France a un problème edit
La compétitivité fait retour dans le débat public. La dégradation continue du commerce extérieur français, la nécessité de corriger les déséquilibres intra-européens et la volonté politique d’une convergence franco-allemande y contribuent. Une étude récente de COE-Rexecode vient nourrir ce débat en présentant un bilan exhaustif des données sur le décrochage français et en faisant du passage aux 35 heures en 1998 le principal facteur explicatif. Cette explication est-elle à elle seule convaincante ? Rien n’est moins sûr.
Depuis 30 ans on assiste à une érosion continue des parts de marché de la France à l’export (3,8% en 2010 contre 6% en 1980). Ce décrochage présente trois caractéristiques. Il porte sur tous les secteurs et concerne toutes les parties du monde (l’Asie émergente comme l’Allemagne, le secteur des biens de consommation comme celui de l’automobile), il n’est pas le fait de la seule montée en puissance des émergents puisque les parts de marché de la France baissent même au sein de la zone euro (de 17% en 1998 à 13% en 2010), il est le plus marqué vis-à-vis de l’Allemagne (qui maintient sa part de marché du commerce mondial). Quelques chiffres illustrent ce constat. Il y a 10 ans les exportations françaises représentaient 55% des exportations allemandes ; elles en représentent aujourd’hui 40%. Si la France avait maintenu le même rapport, elle exporterait 150 milliards d’euros de plus. De plus, la compétitivité coût de la France par rapport à l’Allemagne s’est dégradée de 8% entre 2003 et 2008.
Cet effondrement du commerce extérieur de la France s’est accompagné d’une forte contraction de la base industrielle française : l’industrie ne représente plus que 13% de la valeur ajoutée en France contre 29% en Allemagne. De plus les investisseurs nationaux délaissent l’industrie qui devient de plus en plus une proie pour investisseurs étrangers. Là réside du reste le paradoxe de l’attractivité française : les investissements directs de l’étranger en France s’expliquent davantage par des rachats d’entreprises que par des créations nouvelles d’unités de production en France.
Pour les auteurs de l’étude COE-Rexecode c’est la divergence observée dans l’évolution des coûts salariaux par rapport à l’Allemagne depuis l’an 2000 (>10%) qui explique le décrochage, d’où la mise en cause des 35 heures et la revendication d’un allègement sensible des charges patronales. En effet, le surcoût salarial français s’est répercuté sur les prix des exportations et a pesé sur les marges, initiant ainsi un cercle vicieux du déclin industriel et du déclin des parts de marché. Entre 2000 et 2007 le profit (EBE) des entreprises manufacturières a progressé de 67% en Allemagne et régressé de 14% en France. COE-Rexecode ne méconnaît pas les autres facteurs explicatifs du déclin français : faible investissement en R&D des entreprises, moindre qualité perçue, déficit d’ETI innovantes et exportatrices, moindre spécialisation dans le haut de gamme. Mais ces problèmes sont anciens et l’effondrement date de l’an 2000. D’où l’accent mis sur la divergence observée dans l’évolution des coûts salariaux.
Cette divergence France/Allemagne a donné lieu à un débat très animé entre statisticiens : les chiffres produits ne sont pas les mêmes selon qu’on raisonne en coûts du travail du secteur manufacturier ou tous secteurs, qu’on mobilise des données Eurostat en coupe ou en niveau…. Mais quelle que soit la mesure utilisée la tendance est incontestable. Il y a bien eu hausse relative des coûts du travail français pour des raisons parfaitement identifiables en Allemagne (modération salariale, transfert charges sociales vers TVA, réformes Harz etc.).
Ce résultat acquis, un nouveau débat a surgi : le problème ne viendrait pas tant d’une dérive salariale française que d’une atypique modération salariale Allemande, ce ne serait donc pas tant la France qui se singulariserait par rapport au reste de l’Europe que l’Allemagne. Des études fines menées sur l’évolution des productivités et des coûts salariaux unitaires en Europe permettent d’établir que loin d’être atypique la situation française est dans la moyenne de la zone euro. Le problème toutefois est qu’une moyenne entre Portugal, Grèce, Espagne, Irlande d’un côté et Allemagne, Autriche de l’autre ne signifie rien car ces deux groupes de pays ont connu des évolutions très divergentes au cours des dix dernières années. Les gains de compétitivité coût de l’Allemagne sont venus renforcer les avantages historiques en matière de compétitivité hors coût (marque R&D effet-qualité etc.). Quant à la dégradation de la compétitivité coût des pays périphériques de la zone euro, elle est au cœur de la crise européenne actuelle. Une moyenne entre une Allemagne qui répond aux défis de la mondialisation et des pays du Sud qui décrochent est une piètre consolation pour la France ! Au total, même si l’accent mis sur les coûts salariaux est excessif, il y a bien eu forte érosion de la compétitivité française.
Le débat prend alors une nouvelle dimension : quelle importance y a-t-il à être plus compétitif et à détenir des parts de marché plus élevées que celles du voisin ? Si l’évolution du PIB et notamment du PIB/habitant sur les 10 dernières années ne diverge pas entre la France et l’Allemagne, la performance en termes de commerce extérieur est secondaire. Or c’est le cas, le niveau de vie des habitants de la France et de l’Allemagne a évolué en parallèle.
Pourtant l’indifférence à l’égard des déficits permanents du commerce extérieur n’est plus de mise. En effet, un déficit en matière d’échanges de biens non compensé par des excédents en matière de services et de revenus accroît la dette des agents économiques domestiques à l’égard de l’extérieur. On a pu penser qu’une dette en euros essentiellement détenue par des investisseurs européens ne posait pas problème, mais la crise des dettes souveraines des pays périphériques de la zone euro a changé la donne. Un équilibre de balance courante est donc souhaitable, tant pour des raisons domestiques qu’européennes ; nul ne peut rester durablement excédentaire ou déficitaire. L’Europe restant une construction inachevée avec un faible budget communautaire, une mobilité faible du facteur travail et des mécanismes de solidarité qui s’inventent à la faveur de la crise, force est de reconnaître le retour de la contrainte extérieure dont l’euro était censé nous avoir débarrassés.
Comme les 3/4 des échanges mondiaux portent sur des biens industriels, un pays qui n’est pas compétitif, c’est-à-dire qui n’est pas capable de vendre les biens demandés sur le marché international, est conduit à avoir des difficultés grandissantes. La question industrielle fait à nouveau retour. Contrairement à l’argument de Jagdish Bhagwati ce n’est pas le fétichisme manufacturier qui pousse à mettre en avant une spécialisation manufacturière, mais plus simplement l’état de la demande mondiale. Même le pays le plus avancé de la planète – les États-Unis – est confronté au problème du déficit de sa balance commerciale malgré la qualité des services high tech qu’il vend.
Devons-nous alors devenir tous Allemands en Europe ? L’absurdité de cette proposition saute aux yeux. Par définition il faut des pays déficitaires pour qu’il y ait des pays excédentaires. La proposition vaut au sein de la zone euro comme dans le monde. On le voit déjà aujourd’hui dans les relations entre États-Unis et Chine. Une Europe mercantiliste trouverait les États-unis sur son chemin. Il est donc probable que la correction des déséquilibres globaux viendra, d’un côté, d’une plus grande stimulation de la consommation intérieure des Chinois et des Allemands, et donc d’un modèle de développement moins dépendant des exportations, et d’un autre côté d’une moindre contribution à la croissance de la consommation et d’un effort d’exportation plus marqué des Français et des Américains.
Pour les Français, un regain de dynamisme passe donc par une amélioration des éléments de compétitivité hors coûts avec une stimulation de l’innovation, de la créativité, de la montée en gamme des produits exportés et des éléments de compétitivité coûts. La capacité de l’Allemagne à développer sa spécialisation manufacturière, à trouver la balance entre production domestique et production délocalisée et à répartir le coût de sa protection sociale entre charges salariales et taxation de la consommation méritent considération. Il y a probablement plus d’enseignements à tirer de ces pratiques que d’un éventuel « pacte de compétitivité européen » fondé sur la déréglementation sociale.
Au total, même si la fixation de COE-Rexecode sur les 35 heures est excessive, même si le différentiel salarial franco-allemand est moindre qu’annoncé, le diagnostic d’un effondrement du commerce extérieur n’en est pas moins établi et la question de la compétitivité mérite d’être rouverte dans la perspective de 2012.
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