De quoi Jean-Luc Mélenchon est-il le nom? edit
La percée de Jean-Luc Mélenchon amène à s’interroger sur ce que représente le candidat de la France insoumise. La première réponse la plus courante est qu’il personnifie la gauche de la gauche. Soit l’une des trois grandes sensibilités qui se dégagent au sein de la gauche en France comme dans le reste de l’Europe. La première considère dépassée le temps de la social-démocratie et s’efforce d’inventer un compromis entre le libéralisme économique et des mesures sociales. La deuxième entend rester fidèle aux recettes fondamentales de la social-démocratie tout en s’efforçant de la rénover de l’intérieur. Enfin, la troisième, la radicale justement, rejoint la première sur le constat de l’échec de la social-démocratie mais lui reproche pour sa part d’avoir trop fait de concessions au libéralisme et cherche par conséquent à inventer une nouvelle alternative. En France, pour cette élection, chacune de ces sensibilités a son prétendant, respectivement, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.
Ce dernier bénéficie à l’évidence, et sous réserve que son envolée présente se confirme au soir du 23 avril, de multiples atouts. L’impopularité de François Hollande et de ses gouvernements. La profonde crise du Parti socialiste qui se traduit par le départ de certains de ses responsables vers Emmanuel Macron. Ou encore la position inconfortable, pour ne pas dire impossible, de son candidat Benoît Hamon : lequel, après avoir perdu du temps à signer un accord avec les Verts en faisant nombre de concessions et s’être illusionné sur la possibilité d’un ralliement de Mélenchon, se livre à un périlleux exercice de funambule, critiquant en bon frondeur la politique du président de la République tout en défendant quelques-unes de ses réformes. Mélenchon a au moins le mérite de la cohérence. Il a, presque depuis le premier jour, fustigé le quinquennat et le Parti socialiste. Il mêle habilement une personnalisation à outrance et la mobilisation collective de ses soutiens. Il déploie, avec dextérité, plusieurs répertoires d’action : des réunions publiques centrées autour de lui au cours desquelles ses talents d’orateur explosent, des actions de « déboulés » (meetings dans des lieux symboliques organisés au dernier moment), une manifestation de masse le 18 mars dernier à Paris selon un mode de mobilisation classique pour la gauche, des prestations télévisées qui enchantent les médias et marquent les téléspectateurs, une présence constante et extrêmement suivie sur les réseaux sociaux, des initiatives originales, comme celle de l’hologramme qui, le 5 février dernier lui a permis d’être simultanément à Lyon et à Aubervilliers. De la sorte, à 65 ans, Jean-Luc Mélenchon réussit à effacer l’image qui lui collait à la peau d’un homme politique vieillissant, voire archaïque. Mais au-delà de ces coups médiatiques savamment orchestrés, qu’en est-il justement de ses propositions ?
La plupart de celles-ci s’inscrivent dans la tradition d’une certaine gauche à la française, républicaine, laïque, souverainiste, étatiste, protectionniste, sociale, protestataire et radicale car ne concevant le changement qu’au terme d’une rupture forte et non point par l’enchaînement de réformes graduelles. Son programme, L’Avenir en commun, prescrit notamment l’augmentation des salaires à commencer par le SMIC, la réduction du temps de travail, la retraite à 60 ans, l’abrogation de la loi El Khomri, l’interdiction des licenciements boursiers, une réforme fiscale d’envergure avec, entre autre, un taux de 100% pour les plus hauts revenus, quelques formules un peu floues (le mot de nationalisation n’apparaît pas) sur l’arrêt des privatisations et la volonté de « rendre effectif le droit de réquisition d’entreprises d’intérêt général par l’Etat etc. Bref, autant de dispositions qui tournent autour de vieux préceptes consistant à « faire payer les riches » et à « prendre l’argent là où il est ». Mélenchon renoue avec la tradition parlementaire de la gauche en proclamant, lui qui concentre tout sur sa personne, la nécessité d’ « abolir la monarchie présidentielle », et, grâce à une assemblée constituante, d’instaurer une VIe République avec possibilité de révoquer les élus en cours de mandat et d’organiser des référendums d’initiative citoyenne. Par ailleurs Jean-Luc Mélenchon promet de renégocier le contenu des traités européens et, en cas d’échec, de sortir unilatéralement de ces traités. Enfin, il affiche son intention de « constitutionnaliser la règle verte », d’engager la sortie du nucléaire et d’assurer 100% d’énergies renouvelables en 2050, verdissant ainsi son programme rouge. Dans ces conditions, et connaissant son itinéraire personnel (le trotskysme, puis le Parti socialiste jusqu’à sa rupture en 2008 par désaccord avec l’orientation selon lui trop modérée de celui-ci, la création du Parti de gauche l’année suivante), rien d’étonnant à ce que 44% des Français estiment, selon un sondage de l’IFOP, qu’il incarne le mieux les valeurs de la gauche.
La tentation est donc grande de considérer Mélenchon comme un simple interprète d’une version mise au goût du jour (en particulier avec le volet écologique) du logiciel de la gauche de la gauche, laquelle, depuis les années 80-90 du XXe siècle, reprend en large partie à son compte les recettes social-démocrates des années 70 que pourtant, à l’époque, elle fustigeait. Toutefois, cette analyse n’est vraie qu’en partie. Car, du point de vue de la stratégie, Jean-Luc Mélenchon explore une autre voie. Il a abandonné le projet originel du Front de gauche, associant son propre parti et le PCF, qui fut à la base de sa candidature de 2012. Il refuse désormais de rester enfermé dans le seul camp de la gauche. « Mon défi, a-t-il expliqué au Journal du dimanche du 2 avril, n’est pas de rassembler la gauche, étiquette bien confuse. Il est de fédérer le peuple ». Son affiche de campagne le montre en gros plan avec le slogan : « La force du peuple ». Il ne s’agit pas là que de rhétorique. Mélenchon poursuit deux grands objectifs. Le premier est tactique. Après avoir mordu sur l’électorat vert (26% d’entre eux seraient décidés à voter pour lui selon l’IFOP) et un peu, mais pas trop, sur celui du PS (13% des sympathisants socialistes voteraient pour lui et 17% des électeurs de Hollande de 2012, contre 46% qui se prononcent pour Macron, toujours selon l’IFOP), Mélenchon s’adresse ainsi aux indécis, aux abstentionnistes ou aux primo-votants. C’est là, doit-il penser, que se trouve sa réserve de voix pour dépasser François Fillon, voire, si l’on en croit ses déclarations, pour arriver à se qualifier au second tour, ce qui reste improbable. Il a en outre besoin d’élargir l’assise sociologique de son électorat qui, pour le moment, est caractérisé par une forte présence des salariés du public, des professions intermédiaires, de jeunes en cours d’études, tous dotés d’un niveau d’instruction assez élevé. Le second objectif relève d’un changement de cap, du moins dans les intentions, voire d’un syndrome largement partagé qui consiste à invoquer plus que jamais le peuple, comme si une « peuplecratie » venait maintenant se substituer à la démocratie. Pour Mélenchon, il s’agit, un peu à l’instar de Podemos en Espagne, et sous l’influence de la théorie des philosophes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, de prospérer grâce à un populisme qu’il a revendiqué à plusieurs reprises. Par exemple dans un entretien à L’Express le 16 septembre 2010 : « Je n’ai pas du tout envie de me défendre de l’accusation de populisme. C’est le dégoût des élites. Qu’ils s’en aillent tous ! Populiste, moi ? J’assume. » Il oppose donc le peuple à « la caste », un mot qui a éclos dans les médias et en politique en Italie suite à la publication en 2007 d’un best-seller de deux journalistes qui épinglaient les privilèges de la classe politique transalpine, qui est passé ensuite en Espagne et qui donc arrive en France. « Dégagez » et « Résistance » crient les supporters de Mélenchon. La France insoumise prétend instaurer un nouveau clivage opposant le peuple aux élites, un peuple qui serait a priori différent de celui auquel s’adresse Marine Le Pen. A dire vrai une différence labile. Car Mélenchon oscille entre un appel incessant au peuple citoyen, responsable, démocrate, conscient, vertueux, actif, politisé, et un dialogue direct avec « les gens », ce substantif qu’à une époque le Parti communiste de Georges Marchais utilisait abondamment et que Mélenchon emploie constamment dans ses meetings et ses causeries sur YouTube.
Mélenchon est en situation de force mais aussi de faiblesse. De force, parce que s’il réalise son vieux rêve de dépasser le PS, il pourra envisager de dicter ses propres conditions à la grande recomposition politique qui devrait s’esquisser après le 7 mai, quel que soit le vainqueur. Il réfute la politique de Hamon qui pense, lui, à des accords entre partis, avec le PS, les Verts et un PCF fort intéressé à ce type de dispositif qui lui permettrait de sauver ces derniers élus aux législatives, et c’est d’ailleurs là l’un des sérieux points de friction entre communistes et mélenchonistes. Mélenchon cherchera à consolider son mouvement à la fois personnel et collectif, vertical et horizontal, auquel tous devraient faire allégeance. Mais il voit sans doute trop grand. Car rien ne prouve qu’il pourra attirer dans son « peuple » des « gens » venus d’autres horizons que ceux de la gauche ou issus des milieux ouvriers et populaires qui votent pour Marine Le Pen. A moins de lever complètement quelques tabous, comme par exemple, ceux qui concernent les questions de l’immigration et de l’identité. Ce que Mélenchon, malgré quelques formules quelque peu alambiquées et ambigües sur les immigrés, n’a pas encore fait. En outre, les électeurs de gauche qui croient voir en lui un « vrai » leader capable de participer de manière décisive à la refondation de la gauche risquent d’être désarçonnés par son immense ambition d’incarner le peuple, bien au-delà de leur camp. En Espagne, Podemos a alterné des phases où il entendait rassembler le peuple et d’autres où il acceptait de forger des alliances avec d’autres forces de gauche, et cela a provoqué des déchirements internes. En outre, les législatives qui suivront la présidentielle constitueront, du fait de leur mode de scrutin, une épreuve redoutable pour La France insoumise. La dynamique actuelle de Jean-Luc Mélenchon risque donc de buter contre de réels obstacles et s’avérer lourde de puissantes contradictions.
Le chef de La France insoumise réalisera peut-être un très bon score dans quelques jours. Mais il n’a sans doute pas devant lui l’avenir radieux qu’il promet à ses troupes, en citant les plus grands poètes, faisant ainsi honneur à la langue française. En revanche, il contribue avec Emmanuel Macron et Marine Le Pen, chacun et chacune dans son genre, à précipiter la crise des partis de gouvernement, les Républicains et le Parti socialiste, et par conséquent à faire exploser le système des partis comme le jeu politique sans que personne ne soit vraiment en mesure de dire ce qui en résultera.
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