Hongrie: les raisons d’une nouvelle victoire de Viktor Orbán edit
Aux élections législatives du 3 avril dernier le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a remporté une quatrième victoire d'affilée en laminant l’opposition unifiée. Son parti, le Fidesz, a obtenu 54% des voix et 135 sièges au Parlement composé de 199 députés. « Chers amis, nous avons remporté une victoire exceptionnelle – une victoire si grande qu'on peut sans doute la voir depuis la lune, et en tout cas certainement depuis Bruxelles », a déclaré M. Orbán le soir des élections. La coalition de six partis d’oppostion – allant du Jobbik, parti de droite radicale qui s’est « dédiabolisé » ces derniers temps, à Momentum, parti libéral siégeant dans le groupe Renew au Parlement Européen, en passant par les Verts et les socialistes – doivent se contenter de 34 % et 57 sièges. Le choc est d’autant plus fort que les sondages prévoyaient une course serrée (48-50 % pour le Fidesz et 45-47 % pour l’opposition selon les instituts). La coalition dirigée par Péter Márki-Zay, le maire conservateur de la ville de Hódmezővásárhely dans le sud du pays, choisi par une primaire populaire avec une forte participation l’automne dernier (800 000 électeurs dans un pays de 9,7 millions d’habitants) a perdu même les circonscriptions pourtant classées à gauche. L’opposition domine Budapest (17 circonscriptions gagnées, contre une pour le Fidesz), tandis que le pays est orange (la couleur du Fidesz) : sur 89 districts hors capitale, le parti au pouvoir en a gagné 87.
C’est donc une Bérézina électorale pour ces forces qui, en 2018, se lançaient séparément dans la course électorale. Ils ont certes réuni 46% des électeurs et remporté 63 sièges. Mais pour le Premier ministre c’est une victoire au-delà de ses espérances, qui lui permet de conserver sa majorité des deux tiers au Parlement – une majorité avec laquelle la Constitution peut être modifiée. À la surprise générale, le parti d’extrême droite Mi Hazánk (Notre patrie) est entré au Parlement avec 5,88% des voix et six sièges.
Pour comprendre le contexte, il est utile de rappeler que le Parlement hongrois est une assemblée monocamérale composée de 199 sièges. 106 sièges sont distribués au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans autant de circonscriptions électorales, auxquels s’ajoutent 93 sièges pourvus au scrutin proportionnel plurinominal de liste avec seuil électoral de 5% dans une unique circonscription nationale.
La participation a été forte (69,59 %), très proche du taux de 2018 (69,73 %). La mobilisation des électeurs, le grand écart entre Fidesz et l’opposition, le bon déroulement des élections (garanti notamment par deux assesseurs délégués par l’opposition dans chacun des 10 mille bureaux de votes) rendent le résultat sans appel. Bien que la mission de l’OCDE a critiqué à juste titre les injustices de la campagne, notamment la propagande des chaînes de télévision publiques et des médias financés par l’État (répétant en boucle les éléments de langage du parti de M. Orbán), la porosité des financements de campagne, l’utilisation des ressources de l’État et des municipalités dirigés par des maires Fidesz, ou la disparition des frontières entre la communication gouvernementale et celle du parti au pouvoir, les raisons de la victoire du Premier ministre sont plus profondes. Dans cette analyse nous essayons de les expliquer pour mieux faire comprendre une société si différente de la française.
L’analyse des données est encore en cours, mais d’ores et déjà trois grands axes se dégagent qui expliquent cette victoire et surtout de la disparition d’au moins 700 000 électeurs de l’opposition (surtout du Jobbik, mais pas seulement) depuis 2018. La stratégie de l’addition des forces qui semblait fonctionner aux élections municipales de 2019 (quand l’alliance anti-gouvernemantale a remporté les grandes villes et Budapest) s’est avérée totalement insuffisante en 2022. Pour les raisons suivantes.
Le souhait de la stabilité
La société hongroise reste profondément traumatisée par l’histoire du 20e siècle : défaite de la Première Guerre mondiale, terreur d’extrême droite et d’extrême gauche en 1919, traité de Trianon en 1920 (perte des deux tiers du territoire du pays), défaite de la Deuxième Guerre mondiale, occupation allemande, la tragédie de l’Holocauste, puis la soviétisation après 1948; une dictature dure dans les années 50, la révolte de 1956, réprimée par les chars russes, l’exode de 200 000 personnes, avant une relative stabilité puis une stagnation pendant les années Kádár. Et enfin effondrement du communisme en 1988-1990 : près d’un million personnes perdent leur emploi en quelques mois, une bonne partie de la société est tétanisée par la transition et la pertes de repères. Avec cet aperçu, il est clair que la Hongrie du 20e siècle ne connut que rarement développement et continuité.
Avec l’éclatement de la guerre dans un pays frontalier le 24 février dernier, les angoisses à peine refoulées sont remontées à la surface. Face aux déclarations maladroites du candidat de l’opposition, le Premier ministre Viktor Orbán, qui a établi des liens proches avec Vladimir Poutine ces dernières années, pouvait se poser comme garant de la paix et la stabilité du pays contre une oppostion hétéroclite et présentée comme va-t’en-guerre. La campagne, qui portait jusque-là sur le bilan du gouvernement, se transformait complètement. La machine de communication de l’État martelait avec l’aide de fonds sans limites, que l’enjeux principal est désormais la paix ou la guerre. Mission réussie.
Les enjeux économiques
Malgré la crise du COVID, l’économie hongroise se portait plutôt bien. La croissance annuelle était aux alentours de 4-5 % (7,1 % en 2021, grâce au rebond après la pandémie), le chômage se stabilisait autour de 3-4 % (contre 11 % en 2010 quand Viktor Orbán est arrivé au pouvoir après le gouvernement socialiste), les salaires nets augmentaient depuis des années de 10 à 11 % annuellement. Grâce aux fonds européens, les infrastructures et les équipements publics (routes, ponts, écoles, hôpitaux etc.) ont été modernisés ou reconstruits.
Prédisant un duel serré, fin 2021, début 2022, le gouvernement proposait et la majorité parlementaire votaient une série de mesures extrêmement populaires, chaque catégorie sociale recevant des avantages considérables. Une hausse de 20% du salaire minimum, des primes spéciales pour les policiers et autres agents de l’État, un treizième mois pour les retraités, un allègement de l'impôt sur le revenu pour les ménages ayant des enfants à charge et l’exonération complète des jeunes travailleurs en dessous de 25 ans. Consient du danger que l’inflation (7%) représente, le Premier ministre décidait parallèlement de geler les prix de six produits de base. Pour contrer les mesures généreuses (et extrêmement coûteuses), l’opposition était en désarroi. Elle ne pouvait pas les attaquer frontalement, et avait de la peine à proposer autre chose. Son message étant inaudible, beaucoup d’électeurs ont préféré le Fidesz, qui semblait beaucoup plus près de la préoccupation des Hongrois que l’opposition dont les thèmes centraux (État de droit, corruption, orientation géopolitique) étaient moins attractifs.
Les problèmes de l’opposition
Choisi à la surprise générale par les électeurs pendant les primaires de l’opposition à l’automne 2021, Péter Márki-Zay n’a pas de tout le profil d’un politicien à la tête d’une alliance d’orientation de centre gauche. Ancien électeur du Fidesz, catholique pratiquant, père de sept enfants, il a gagné en février 2018, à la tête d’une coalition de partis, l’élection municipale anticipée de Hódmezővásárhely, un ville moyenne dans le sud du pays, bastion historique du Fidesz. Ce succès, juste avant les élections législatives, redonnait espoir à l’opposition. Depuis, il était présent sur le scène nationale, mais son succès inattendu aux primaires interpelle. Il est probable que les électeurs de l’opposition étaient fatigués des politiciens bien connus qui luttaient entre eux depuis longtemps, et voulaient une nouvelle figure comme challenger de Viktor Orbán. Mais le concept original avait plusieurs problèmes. Le conflit entre Márki-Zay et les partis de l’opposition était à peine voilé : le candidat les critiquait ouvertement pour leur manque de volonté de coopération et leur supposé manque d’enthousiasme pendant la campagne. Les politiciens lui rendaient la monnaie en pointant du doigt la communication sans filtre et apparemment sans cible du candidat. Novice en politique nationale, volontiers disrupteur, Márki-Zay multipliait les gaffes exploitées sans pitié par la machine de la communication du Fidesz qui inondait les réseaux sociaux avec des vidéos sans pitié.
Mais à côté des problèmes tactiques, il y avait aussi une question stratégique. Márki-Zay promettait de convaincre des électeurs déçus du Fidesz, en arguant que son profil politique était beaucoup plus acceptable pour des citoyens qui n’ont jamais voté pour la gauche. Or il s’avère que ces électeurs n’existent pas, en tout cas, pas en nombre assez important pour faire pencher la balance en faveur de l’opposition. À part quelques quartiers huppés de Budapest qui ont toujours voté À droite, mais ont tourné le dos au parti de M. Orbán le 3 avril, le phénomène d’ancien électeurs du Fidesz votant pour l’opposition n’existe quasiment pas. Le contraire s’est produit : des anciens électeurs du Jobbik ont boudé les urnes, ont voté pour le nouveau parti d’extrême droite Mi Hazánk (Notre patrie), fondé par des anciens du Jobbik déçus de la normalisation du parti. En analysant les données, il est aussi fort probable qu’une partie des électeurs du Jobbik en 2018 se sont tournés vers Fidesz. En général, ces citoyens habitent des villages et des petites villes en province – des endroits où l’opposition manque cruellement de militants et d’organisation et oú le Fidesz remporte ses plus grands succès.
Dans ces conditions, Viktor Orbán a tout les atouts pour gouverner sans trop se soucier d’une opposition en ruines.
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