Bonne nouvelle : l’euro est fort ! edit
L’euro est fort, et alors ? Oui, c’est une mauvaise nouvelle pour nos exportateurs qui doivent serrer leurs marges. Au fait, où étaient-ils quand l’euro ne valait que la moitié de sa valeur actuelle ? On ne les entendait pas plus à l’époque que l’on n’entend aujourd’hui les agriculteurs, maintenant que les prix des céréales et du lait explosent.
Mais l’euro fort c’est une excellente nouvelle pour nous tous, les consommateurs. L’essence est chère ? Elle le serait beaucoup plus si l’euro n’avait grimpé face au dollar. Les prix des produits importés de la zone dollar (Amérique du Nord et du Sud, Asie) sont devenus moins chers, du moins les importateurs payent beaucoup moins. Si les prix n’ont pas baissé au détail, c’est que les importateurs ou les distributeurs font de gros bénéfices, sans doute parce que la concurrence est muselée, par exemple par les lois scélérates qui régentent le commerce. Aujourd’hui l’euro est fort, il était faible en 2000 et il le sera à nouveau, un jour. Quand le taux de change fluctue, il fait des heureux et des malheureux. Le hasard, sans doute, fait que l’on entend les soupirs des malheureux et non les cris de joie des heureux. C’est sans doute dans la nature humaine. Et c’est aussi dans la nature humaine de se préoccuper des pauvres gens. Mais il ne faut pas être naïf et nous laisser impressionner par les groupes de pression qui demandent de l’aide quand ça va moins bien et disparaissent du paysage médiatique quand ça va très bien.
Certes, tout cela n’existerait pas si les taux de change étaient stables, contrôlés par les gouvernements et leurs banques centrales. Mais, pour y arriver, il faudrait que les politiques monétaires soient très étroitement coordonnées. Du bon temps de Bretton Woods, les monnaies étaient fixées par rapport au dollar et donc les banques centrales suivaient de très près ce que faisait l’une d’entre elles, la Réserve Fédérale américaine. Dès que l’on déviait de cette discipline, la monnaie était attaquée – à la baisse chez nous, à la hausse en Allemagne ou en Suisse. C’est pour éviter ces attaques, sans grand succès d’ailleurs, qu’on avait instauré des contrôles de change. Est-ce bien cela que veulent ceux qui se plaignent de la volatilité des taux de change ? Espèrent-ils que c’est notre monnaie, l’euro, qui deviendra le centre de l’univers financier ? Si c’est ça l’idée, désolé, mais ce n’est pas pour demain. Les Etats-Unis ne veulent pas en entendre parler. Ni les Anglais ou les Japonais, et d’ailleurs pas les Allemands non plus. C’est dur d’avoir raison contre tout le monde.
Au moins, alors, ne pourrait-on pas limiter les fluctuations des taux de change ? Une petite intervention de temps en temps ne ferait pas de mal, c’est vrai. Mais elle ne ferait pas de bien non plus. Dans notre beau monde globalisé, le pouvoir des banques centrales se limite à fixer le taux d’intérêt interne, et encore juste les taux à très court terme. Le reste, c’est l’affaire des marchés financiers, qui sont beaucoup plus forts que les banques centrales. Par les temps qui courent, il est difficile de défendre le rôle des marchés financiers. Ne sont-ils pas en train, une fois encore, de faire la preuve de leur dangerosité ? Et bien, ce n’est pas si sûr que ça.
Il y a encore un an, la grande angoisse globale, sur laquelle dissertaient sans fin les observateurs, avait pour nom « les grands déséquilibres mondiaux ». D’un côté le déficit externe des Etats-Unis, de l’autre le surplus de la Chine. Cela ne pouvait pas durer et la grande question était de savoir comment tout cela allait se terminer. On savait ce qui devait arriver. Il fallait que les Chinois consomment et importent plus. Ils s’y sont mis, avec un solide appétit pour le lait, le blé, le pétrole, l’acier, le charbon et plein d’autres bonnes choses. Du coup, les prix de tout ce que les quelque 1,3 milliards de Chinois veulent acheter ont grimpé. C’est un pas dans la bonne direction : le surplus de la Chine a commencé à fondre et ses fournisseurs se frottent les mains. Il va falloir s’y habituer : nous ne sommes plus les seuls consommateurs voraces.
Il fallait aussi faire fondre le déficit externe des Etats-Unis. Pour cela, deux évolutions étaient nécessaires, chacune à la taille du problème. D’abord, les Américains devaient se serrer la ceinture, consommer moins et épargner plus. Ils avaient cessé d’épargner parce que l’envolée des cours des actions et du prix de l’immobilier leur avait donné l’impression d’être devenu très riches. Pour qu’ils épargnent, ces cours devaient un jour retomber. Nous y sommes. Mais la baisse de leur consommation allait créer une récession aux Etats-Unis et donc une baisse du dollar qui rende l’économie américaine plus compétitive et atténue la récession. Nous y sommes aussi.
Tout cela était prévisible et prévu. La seule question était de savoir si cela se produirait progressivement ou violemment ; on parlait d’atterrissage en douceur ou en catastrophe. Il semble que cela va être entre les deux, même si la catastrophe reste encore possible. Les marchés financiers font leur travail. Avec trop de zèle sans doute : trop d’exubérance d’abord, trop de panique ensuite. Depuis des siècles qu’ils existent, ils ont toujours eu cette caractéristique. Mais on a fait d’énormes progrès pour les stabiliser un peu et, surtout, limiter les effets de ces accès de fièvre. Bien des efforts restent à faire, mais empêcher le dollar de jouer son rôle n’en fait pas partie. Ne serait-ce que parce que personne ne sait quel est son « bon » niveau aujourd’hui. Surtout pas les gouvernements qui écoutent trop ceux qui pleurent et pas assez ceux qui rient.
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