Fonds monétaire européen : une bien mauvaise idée edit
Il n’y aura pas de Fonds monétaire européen. C’est une idée saugrenue qui répond à des motivations largement infondées. C’est aussi un projet complexe dont les défenseurs ne mesurent ni les implications, ni les conditions de succès.
La première motivation est d’ordre juridique. Le Traité Européen interdit formellement le sauvetage d’un gouvernement par les autres ou par toute institution communautaire. Les gouvernements français et allemands cherchent des solutions pour contourner cette clause, et cela ressemble à un casse-tête. Un FME, construit en dehors des instances communautaires, pourrait faire l’affaire. Mais créer une institution pour violer une excellente clause est une opération fondamentalement mauvaise, qui pourrait d’ailleurs être sanctionnée par la Cour Européenne.
Deuxième motivation : Jean-Claude Trichet a dit qu’il serait humilié si la Grèce devait faire appel au FMI, reflétant les vues de nombreux dirigeants. Pourtant, lors du G20 de Pittsburgh, les Européens et Sarkozy en tête, se sont battus pour accroître les ressources du FMI car ils pressentaient que la crise financière allait atteindre de nombreux pays. C’était d’ailleurs la principale mesure de ce sommet. Maintenant qu’un pays de la zone euro se trouve dans une situation qui peut justifier un appel aux ressources, désormais abondantes, du FMI, la musique change brutalement. Le FMI est perçu comme un danger, pour certains un cheval de Troie américain même si, collectivement, les Européens y ont plus de voix que les États-Unis, même si son directeur général et son chef économiste sont français. Incompréhensible.
La troisième motivation est plus intéressante. En plein milieu de la crise qui a ravagé les pays d’Asie de l’Est en 1997, le Japon avait proposé la création d’un Fonds monétaire asiatique. J’avais approuvé cette démarche parce que, en dehors du même sentiment d’humiliation que ressentent nos dirigeants, les Asiatiques avaient considéré à juste titre que les conditions imposées par le FMI en échange de son soutien financier étaient inappropriées. C’était le temps du « consensus de Washington », une vision dogmatique qui prônait pour tous la mobilité des capitaux et les taux de change flexibles. Le FMI avait alors jugé que la crise était justifiée par des mauvaises politiques économiques et il avait imposé l’orthodoxie budgétaire, ce qui n’avait aucun sens. Il s’est ensuite déjugé en « adaptant » ses conditions. L’an dernier il a répudié le consensus de Washington.
Il reste que l’idée d’avoir plusieurs fonds monétaires mérite réflexion. En principe, un monopole est une mauvaise chose. Le FMI d’aujourd’hui semble plus éclairé que celui qui avait sévi en Asie, mais rien ne garantit que demain nous n’aurons à nouveau une institution obtue. Avoir droit à un second avis est toujours une bonne chose. Évidemment, le FMI est contre, aucun monopole ne veut abandonner sa position. La proposition de fond asiatique avait été fusillée sans ménagement par les États-Unis et les Européens, qui avançaient un bon argument : une concurrence entre FMI et fonds régionaux pourrait conduire à un nivellement par le bas, chaque institution offrant des conditions plus douces pour attirer le client. C’est pour cela qu’il faut comprendre les motivations actuelles. Si le FME est aussi dur que le FMI, comme le souhaitent les Allemands, les pays européens en difficulté iront à Washington. S’il est plus coulant, comme pourraient le souhaiter des pays du « Club Med », le risque de laxisme est sérieux.
En fait les Allemands ne font pas mystère de leurs intentions. Ils veulent pouvoir imposer la discipline budgétaire aux pays qu’ils n’ont pu empêcher d’entrer dans l’Union Monétaire avec les critères de Maastricht qu’ils avaient inventés à cet effet. Ils ont essayé la prévention avec le Pacte de Stabilité, mais le Pacte souffre de trop de défauts pour être fonctionnel. Le défaut principal est que la politique budgétaire reste une prérogative nationale et qu’il est donc impossible de forcer un gouvernement et son parlement contre leur gré. Certes, il existe des sanctions, mais elles sont surtout symboliques, et le symbole d’une amende infligée à un pays souverain risque fort de se retourner contre « Bruxelles ». La dernière idée allemande, durcir les sanctions en bloquant le versement des fonds structurels, va exactement dans la mauvaise direction. Le FME fait partie du même arsenal de punitions.
Mais admettons qu’un FME soit établi et que la Grèce y fasse appel. Le FME offrirait de l’aide, tout comme le FMI peut le faire, et imposerait des conditions. Même si elles sont plus douces, l’austérité passe toujours mal et le FME devra assumer le rôle de bouc émissaire. Cela plaira peut-être à l’opinion publique allemande, mais transformera dans le pays sous conditions l’idée que l’on se fait de l’Europe, déjà peu populaire. De toute façon, un pays ne se résout à appeler à l’aide que lorsqu’il est contraint, donc lorsque la crise a déjà éclaté. Le FME n’empêchera pas les dérapages, et les empêchera d’autant moins qu’il sera perçu comme une version « soft » du FMI.
Que se passera-t-il si un pays sous conditionnalité ne remplit pas ses engagements ? Quand cela se produit, le FMI suspend ses paiements… quand il en a le courage. Car le risque de provoquer délibérément une crise fait toujours hésiter le FMI. Un FME soft aura encore plus de mal à prendre ce risque. À voir la réaction des responsables politiques aujourd’hui, on imagine les pressions qui s’exerceront sur le FME pour qu’il évite une crise. Mais si la sanction ne tombe pas, tout l’édifice s’effondre et on aboutit à l’opposé de ce que l’on souhaite, encourager la discipline.
Il reste une question secondaire, mais délicate : le financement du FME. Le FMI gagne sa vie lorsqu’il consent des prêts aux pays en difficulté. Lors de la période dite de grande modération, entre 2003 et 2007, le FMI s’est trouvé en situation financière précaire et a dû licencier. Avec 186 membres, la panne d’activité est rare mais quid du FME qui aura seulement 16 clients potentiels ? Cette crise est la première en 10 ans d’existence de l’euro. Le mode de financement devra donc être autre. On pourrait faire appel au contribuable, comme toujours, mais le contribuable devra demander pourquoi il paie pour un service disponible auprès du FMI. Il faudra aussi pouvoir présenter le fonds comme une organisation non-gouvernementale, donc autorisée à prêter à des pays membres de la zone euro. Mais alors, qui le contrôlera ?
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