Grèce : dernière ligne droite avant le rééchelonnement ? edit
Rien ne va plus dans la zone euro. La Grèce est sur la sellette un an après avoir sauvée par le programme concocté par le FMI et la Commission européenne. L’Espagne tangue et l’Italie a été placée sous surveillance par Standard and Poor’s. Les députés de la CDU sont en rébellion contre Angela Merkel, qui subit défaite électorale après défaite électorale. Son ministre des Finances, qui avait secoué les marchés financiers en évoquant publiquement un rééchelonnement de la dette grecque, vient de changer d’avis. Jean-Claude Trichet rabroue Jean-Claude Juncker qui envisageait de « re-profiler » cette dette grecque et menace de ne plus alimenter les banques grecques. Une responsable de ce pays indique que, dans ce cas, il faudrait quitter la zone euro. Voici, en gros, l’état des lieux qui résulte de la remarquable solidarité européenne promise par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Il y a de quoi se poser des questions.
Pourquoi le déficit grec ne se résorbe-t-il pas ?
La Commission prévoit un déficit de 9,5% du PIB en 2011 et de 9,3% en 2012 après 10,4% en 2010. Ce n’est pas faute d’efforts de la part du gouvernement. La dernière évaluation des progrès par le FMI date de mars dernier. On lit : « L’économie a évolué comme prévu, avec une baisse de 4,5% du PIB en 2010, un taux d’inflation qui reste faible, et des coûts unitaires du travail qui commencent à baisser. Face à ces vents contraires, les autorités ont achevé un ajustement budgétaire de 5,75% en 2010. » Explication de ces calculs en apparence contradictoires : le gouvernement a fortement resserré les vis (les 5,75%), mais la récession est profonde (les -4,5%), et sans fin, précisément en raison de cet ajustement précipité. Du coup, les recettes budgétaires baissent et… le déficit ne se résorbe pas vraiment (-9,5%).
Que faire maintenant ?
Pour le FMI et la Commission, il faut faire plus et mieux. « La Grèce a progressé en direction de ses objectifs [ceux qui lui ont été imposés comme condition du prêt], et les réformes budgétaires et structurelles nécessaires sont graduellement mises en œuvre. Cependant, des réformes majeures doivent encore été préparées et mises en œuvre pour construire la masse critique nécessaire à la soutenabilité budgétaire et à la reprise économique. » Autrement dit, il faut encore resserrer les vis. Mais si les mesures de l’an dernier prolongent la récession et ne permettent toujours pas de réduire le déficit, comme prévu par la Commission, que fera-t-on dans un an ? Resserrer encore. On persiste à appliquer un remède qui affaiblit le malade.
Pourquoi les Allemands ont-ils brisé le tabou de la restructuration de dette ?
Comme le déficit ne se résorbe pas et que le gouvernement grec ne peut plus emprunter sur les marchés financiers, il faut que le FMI et l’Europe continuent à faire des prêts. L’Allemagne étant le premier bailleur de fonds, une sourde inquiétude se fait jour outre-Rhin (mais pas en France où, apparemment, l’opinion publique ne s’inquiète pas du montant de ces prêts). Une restructuration réduirait le montant des prêts supplémentaires à consentir, ce qui soulagerait la pression sur Merkel.
Qu’est ce qu’une restructuration ?
Défaut, rééchelonnement, remise de dette, etc. sont divers moyens de réduire une dette. Comme un pays ne peut pas être mis en prison, il peut décider de manière unilatérale de ne pas rembourser la totalité de sa dette publique. C’est illégal mais le fait du prince. Ses créanciers ont peu de recours et leur meilleure option est, en général, de négocier ce qu’ils vont perdre – le « haircut » comme on dit délicieusement en anglais. Que cela prenne la forme de paiements différés, de baisse du taux d’intérêt ou d’une réduction directe de la somme due, il y a défaut dès lors que les termes initiaux sont unilatéralement modifiés. Certains responsables politiques ont parlé de rééchelonnement « volontaire et bien organisé ». C’est de la pure fiction. Les créanciers, et il y en a des dizaines des milliers ou beaucoup plus, ne sont jamais volontaires et certains se battent avec énergie en négociant très dur et en recourant aux tribunaux. Du coup, la procédure est désordonnée, longue et compliquée.
Que pensent les marchés financiers ?
L’opinion générale, mais pas unanime, est que la Grèce n’échappera pas à une restructuration. Les marchés sont habitués à ces événements et s’y préparent. Une partie des banques et des investisseurs qui détenaient la dette grecque s’en sont défait, souvent en subissant des pertes modérées ; ils sont maintenant positionnés pour faire des profits lorsque cela se produira. D’autres ont voulu éviter des pertes à la revente et sont maintenant inquiets. Nul doute qu’ils entretiennent l’angoisse des gouvernements pour que le contribuable leur sauve la mise. On prend des habitudes.
Pourquoi la France est-elle opposée à une restructuration ?
Le langage officiel affirme que l’Europe n’est pas l’Amérique Latine, que la solidarité n’est pas un vain mot et que le remède risque d’être pire que le mal car il existe un risque de contagion. La contagion est possible, en effet. Il reste une autre interprétation, parfaitement hypothétique. Les banques françaises (et allemandes) semblent détenir une part de la dette grecque et pourraient faire des pertes. Si ces banques sont moins solides qu’on ne l’affirme, elles pourraient être sérieusement déstabilisées, et encore plus s’il y avait contagion. Mais l’information sur ces questions n’étant pas disponible, on ne peut qu’imaginer le pire.
Pourquoi la BCE est-elle violemment opposée à une restructuration ?
La BCE est en pointe, et depuis longtemps, sur cette question. Aux avertissements succèdent les menaces. Comme tout le monde, la BCE craint la contagion. Elle a aussi averti que le système bancaire grec s’effondrerait, ce qui est possible, mais pas dramatique. En effet, si le gouvernement réduit sa dette de, disons, 50% du PIB et qu’il lui faut alors remettre à flot (c’est-à-dire nationaliser) le système bancaire pour un coût de l’ordre de 20% du PIB, le gain reste de 30% du PIB, une jolie opération financière.
Les angoisses de la BCE peuvent être ailleurs. Depuis mai 2010, sous pression intense des gouvernements, elle a acheté beaucoup de dettes publiques. Prudente, elle a appliqué un haircut de l’ordre de 20% mais des défauts en série la laisseraient avec des pertes très substantielles. Elle serait bien sûr recapitalisée par les gouvernements, mais elle redoute une perte vertigineuse de son prestige, déjà mis à mal par ses achats pas très volontaires de dettes, et plus généralement, par un regain de scepticisme vis-à-vis de la monnaie unique. Ses admonestations sonnent comme un signal de panique, la réalisation qu’elle a imprudemment mit le doigt dans un engrenage qu’elle ne contrôle pas.
Qui décide ?
La Grèce est un pays souverain et c’est elle qui décidera. Depuis le début de la crise, ses partenaires européens lui dictent la marche à suivre et elle accepte ces injonctions dans l’espoir évident d’être aidée, même si les aides ne sont pas des dons, il faut le rappeler, mais des prêts qui augmentent sa dette. Comme tous les autres, le gouvernement grec pèse le pour et le contre de ses options. Un défaut lui donnerait de l’air un moment et lui permettrait de soulager la pression sur sa population. Mais la décision pourrait devenir inévitable si les Grecs accéléraient le mouvement, pour l’instant lent, de retrait de fonds des banques, informés qu’ils sont par la BCE que le système bancaire peut s’effondrer. Le volontarisme politique se brise souvent sur le roc de la réalité économique.
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