Où en est la réforme bancaire ? edit
Voici trois ans que la grande crise bancaire s’est mise en route et deux ans qu’elle a explosé. La vraie surprise est la lenteur avec laquelle les responsables politiques avancent pour prendre les mesures que réclame la dure leçon de ces événements. Deux étapes viennent d’être franchies, l’une superficielle au niveau de l’Union européenne, l’autre plus fondamentale au niveau international. Jusqu'à quel point les gouvernements ont-ils résisté à l'intense lobbying des banques ?
Au moment de la grande crise bancaire, qui s’est déroulée entre août 2007 et septembre 2008, tous les responsables politiques se sont succédé devant les micros pour promettre « plus jamais ça ». Les mots pour décrire le comportement des banques n’étaient jamais assez sévères et les engagements à les réglementer ressemblaient à des cris du cœur. Des dizaines de rapports, publics et privés, ont élaboré des projets très détaillés et, même si des controverses subsistent, elles concernent plus les détails que le cœur de la question. Mais en termes d’actions concrètes, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Cet été, le Président Obama a fini par faire passer un programme assez complet, même si la plupart des économistes le trouvent un peu court. Mais la lutte a été énorme, les banquiers ayant déployé tous les moyens dont ils disposent – et ils ne sont pas sous-dimensionnés dans le domaine du lobbying – pour limiter ce qui représente pour eux des dégâts. Barack Obama a même débarqué à Wall Street pour solennellement demander aux financiers de cesser de saboter la réforme. Depuis presque un an, la Suisse a adopté des mesures assez semblables et un autre train est en chantier. Dès son élection, le nouveau gouvernement britannique a annoncé une restructuration complète de ses organismes de régulation et de supervision, transférant l’essentiel des pouvoirs à la banque centrale, qui sera moins sensible aux pressions des banquiers que les politiciens. C’est là la clé : on avance, donc, même si tout ceci peut apparaître bien lent, à condition de résister aux pressions des banquiers. Et chez nous, en France et en Europe ?
À écouter les responsables politiques, le chemin parcouru en Europe est considérable. Les agences de notation seront désormais réglementées, tout comme les hedge funds, et les bonus des banquiers sont encadrés. Tout ceci est merveilleux, sauf qu’aucune de ces mesures ne s'affronte aux causes de la grande crise. La première cause a été la prise de risques excessifs par les grandes banques, celles que l’on ne peut pas laisser faire faillite sans menacer toute l’économie, qui le savent et en ont profité pour s’endetter massivement et acheter des produits dangereux.
En Europe, les grandes banques expliquent, chacune à son gouvernement, que des règles plus strictes vont réduire leurs profits, ce qui les « obligera » à renchérir le coût du crédit et réduira la croissance économique. Que les règles précédentes aient produit une récession historique ne rentre pas dans leurs calculs de la croissance économique, ce n’était qu’un accident malheureux. Qu’il n’existe aucune preuve qu’une réglementation bancaire sévère ralentit la croissance n’empêche pas la menace de faire vaciller les responsables politiques accrochés aux prévisions économiques et au calendrier électoral.
Pourquoi les dirigeants européens se laissent-ils ainsi manipuler ? Les raisons sont nombreuses. Il y a des calculs protectionnistes, chaque pays souhaitant protéger ses grandes banques. Il y a le manque de courage pour affronter des lobbies très puissants. Il y a surtout l’ignorance des milieux politiques, qui trouvent commode de se rabattre sur des mesures symboliques et populaires mais largement hors sujet : les bonus que chacun envie, les hedge funds qui ont joué un rôle marginal dans la crise, les agences de notation qui ont servi de caisse de résonnance, certes, mais qui n’ont fait que constater, avec retard, les dégâts.
Ces jours-ci, des progrès « majeurs » sont annoncés. Des mois de tractations ont abouti à la création d’une organisation paneuropéenne chargée de coordonner le travail des superviseurs nationaux. Peu importe que ces superviseurs aient fait la sieste avant et pendant la crise, pour des raisons ne sont jamais abordées. Peu importe que le pouvoir de décision – faut-il fermer telle banque ? – restera national et donc foncièrement protectionnistes. Le plus grave est que cette « avancée » ne porte que sur l’organisation de la supervision bancaire et non sur son contenu. Même si la nouvelle architecture peut fonctionner de manière efficace – ce qui est loin d’être garanti – le plus important est ce qu’elle fera, donc le contenu de la réglementation qu’elle devra mettre en œuvre. Sur ce point, on « réfléchit ».
La réflexion va pouvoir se nourrir des recommandations, arrivées le weekend dernier, du Comité de Bâle. Ce comité regroupe les banquiers centraux et les superviseurs des pays du G20 et de quelques autres pays. Il propose, mais les pays disposent, donc ce n’est pas une vraie décision, mais un élément qui devrait influencer la décision finale. Les principaux éléments de la proposition sont les suivantes :
. Les banques devront détenir plus de capital, c’est-à-dire un coussin pour absorber les pertes. En effet, si les pertes dépassent le capital, les actionnaires ont tout perdu et la banque est en faillite. En Septembre 2008, c’est ce qui passé, sauf que les gouvernements ont volé au secours des banques et, souvent, de leurs actionnaires. L’idée est de réduire la probabilité que cela ne se reproduise. Le problème est que, en situation de crise, les pertes peuvent toujours excéder la réserve en capital, quelle soit son épaisseur. L’espoir est que les actionnaires seront, à l’avenir, plus vigilants car plus engagés.
. Le capital exigé devra varier avec la situation de l’ensemble du système bancaire. Si les prises de risque s’accélèrent, comme ce fut le cas en 2005-7, les autorités pourront exiger des augmentations de capital. L’idée est que ce sera un puissant signal de la montée des dangers et donc, encore une fois, que les actionnaires deviendront méfiants car plus engagés.
. Une limitation de l’endettement des banques pour financer leurs propres investissements. Les banques placent l’argent collecté par les dépôts de leurs clients, c’est la base de leur activité. Mais elles agissent aussi pour leur propre compte, plaçant de l’argent qu’elles empruntent. C’est ce qu’on appelle l’effet de levier. Le problème c’est que si elles font des investissements malheureux – les subprimes lors de la dernière crise – elles n’ont plus de quoi rembourser leurs emprunts, on dit qu’elles sont alors illiquides. Ce type d’activité qui pas directement lié au métier de banque, c’est-à-dire à la collecte de dépôts et au placement prudent des sommes ainsi réunies. La nouvelle loi adoptée aux États-Unis interdit tout simplement ces investissements en compte propre. Le Comité de Bâle n’est pas allé aussi loin. Il propose une limite pour ces activités et une autre pour les montants empruntés. Ces limites ont pour objectif de forcer les banques à être plus prudentes.
Tout cela est excellent, même si ces mesures ne seront mises en place que très graduellement, jusqu’en 2023 pour certaines d’entre elles. D’ici là, les banques auront sans doute trouvé la parade. Mais la vraie déception concerne les grandes banques, celles qui sont à l’origine de la crise et qui sont appelées systémiques parce que leurs difficultés affectent tout le système financier, comme on l’a vu lors de la faillite de Lehman Brothers. Le Comité de Bâle annonce qu’il continue à travailler sur la question. Les pistes sont connues, et déjà en partie décidées aux États-Unis ou en Grande Bretagne. D’une part, il s’agit d’imposer que les exigences en capital augmentent avec la taille et la complexité de chaque grande banque. D’autre part, on exigerait d’elles qu’elles rédigent leur « testament ». Ce serait un plan détaillé de la manière dont une banque en situation de faillite serait découpée en plus petites entités, dont la plupart seraient viables, de manière à ne pas secouer tout le système financier.
Ces mesures ont un coût, bien sûr. Elles devraient réduire la profitabilité des banques. Sans surprise, dans tous les pays, les lobbies bancaires ont bataillé dur pour limiter la portée des accords de Bâle. À juger de l’attitude des autorités politiques, elles ont fait des convertis en Allemagne et en France qui ont bataillé ferme pour atténuer les contraintes et pour en reporter l’application effective le plus longtemps possible.
L’Europe apparaît ainsi aujourd'hui comme le dernier bastion du capitalisme financier sauvage, dont Nicolas Sarkozy avait annoncé la fin prochaine il y a deux ans, alors qu’Angela Merkel fustigeait la finance globalisée. La bataille sur les grandes banques « too big to fail » s’annonce homérique. Le bon exemple viendra sans doute, encore, des États-Unis.
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