Hamas-Israël, le jeu de l’Iran edit
Dès le lendemain de l’attaque massive du Hamas contre Israël, les responsables iraniens, tout en réaffirmant leur soutien à la Palestine, ont nié l’implication de la République islamique dans cette attaque. Dans un discours prononcé deux jours plus tard au sein d’une académie militaire, Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique, a lui aussi rejeté les accusations sur une implication de l’Iran dans la préparation de l’attaque du Hamas en déclarant : « Les partisans du régime sioniste et d’autres personnes ont fait circuler des rumeurs ces deux, trois derniers jours, dont celles sur le fait que l’Iran islamique serait derrière cette action. Elles sont fausses. » Il ajoutait : « Bien sûr, nous défendons les luttes, Nous embrassons les fronts et les bras des initiateurs de cette attaque et les courageux jeunes Palestiniens, mais ceux qui disent que l’œuvre des Palestiniens a été déclenchée par des non-Palestiniens ne connaissent pas la nation palestinienne et font une erreur. » (Libération 10 octobre 2023)
Plusieurs raisons expliquent cette attitude extrêmement prudente du chef de l’Etat iranien, bien qu’il soit de notoriété publique que depuis de nombreuses années Téhéran défend et soutient le Hamas de multiples manières (financièrement, fourniture d’armements et transferts de technologie, formation et entrainement de la branche militaire de l’organisation etc.).
La première raison est évidente : il s’agit de ne pas fournir de prétexte aux Israéliens, aux Américains et plus largement aux Occidentaux de lancer des opérations militaires contre l’Iran et de l’entraîner dans un conflit armé qui mettrait en danger l’avenir du régime islamique.
La deuxième raison est moins connue mais aussi importante pour les autorités de la République islamique car elles savent pertinemment qu’à part dans les cercles liés directement au pouvoir, la société iranienne n’est pas favorable à la politique régionale expansionniste du pouvoir. Ce qui est peut-être dans l’intérêt du régime n’est pas nécessairement dans l’intérêt de la nation. Dans un pays où la situation économique se dégrade de plus en plus chaque année, la priorité donnée par le gouvernement au soutien des mouvements ou des organisations qui lui sont liés à l’extérieur du pays est impopulaire. En effet, la majorité de la population considère que ces objectifs idéologiques sont poursuivis au détriment de la priorité qui devrait être accordée à la protection du niveau de vie des Iraniens. Cette situation prend des dimensions de plus en plus dramatiques dans le contexte actuel où, depuis plus d’un an, le régime doit faire face à une contestation sans précédent à laquelle, jusqu’à présent, il n’a répondu que par une répression féroce.
En ce qui concerne la première raison, il est intéressant de relever que tout en étant dans des camps opposés, les Iraniens auprès du Hamas et les Occidentaux dans le camp des Israéliens, les deux peuvent trouver un terrain d’entente sur la question de l’élargissement du conflit. L’élargissement peut prendre deux aspects différents mais liés. D’une part, il pourrait être consécutif à l’intervention massive du Hezbollah, qui possède plus d’hommes bien formé et des moyens beaucoup plus importants que le Hamas, dans le nord d’Israël, et prendre en tenaille les forces israéliennes. Dans ce cas les Américains, comme ils l’ont déjà indiqué, interviendraient.
L’autre aspect de l’élargissement serait une attaque israélienne contre l’Iran qui de son côté pousserait le Hezbollah et ses autres relais régionaux (proxies) à intervenir. Ce conflit généralisé et non contrôlé n’est dans l’intérêt de personne, ni des Occidentaux, déjà fortement impliqués en Ukraine, ni de l’Iran qui ne veut et ne peut prendre le risque d’être impliqué directement dans une guerre ouverte alors que le régime est déjà fragilisé à l’intérieur.
Dans cette situation on peut espérer que la raison prévaudra et que dans quelques temps on trouvera une sortie de crise qui évitera une conflagration généralisée qui, tout en ne contentant personne, calmerait le jeu. Cependant ce scénario est loin d’être garanti car les conflits développent leurs propres logiques qui parfois échappent aux acteurs qui en sont à l’origine.
Il est aussi possible qu’un événement inattendu et grave se produise et change le cours de la guerre. C’est ce qui arriva dans la soirée du mardi 17 octobre 2023 suite à la frappe de l’hôpital Al-Ahli de Gaza et son explosion qui a fait, d’après le Hamas, des centaines de morts. Les conséquences de cette explosion sont déjà dans l’immédiat significatives avec, par exemple, la fin de l’initiative diplomatique du président Joe Biden, arrivé le 18 octobre en Israël, des manifestations très nombreuses dans l’ensemble du monde musulman ainsi qu’en Cisjordanie, le changement du climat politique sur la scène régionale et internationale. Il faudra encore attendre des jours et des semaines pour pouvoir évaluer les conséquences d’un tel événement majeur.
Les événements de ces derniers jours semblent de prime abord servir l’agenda idéologique de la République islamique d’Iran : gel de la normalisation israélo-arabe, retour de la question palestinienne au premier plan sur les scènes régionale et internationale. Néanmoins, si la réponse israélo-américaine parvient à réduire les capacités militaires des alliés non-étatiques de Téhéran, cela nécessitera un nouvel investissement de Téhéran dans la région au détriment de la situation interne qui demeure explosive. Aussi le coût économique de l’engagement du régime auprès du Hamas éloigne la perspective d’une amélioration économique à court terme comme le montre l’affaiblissement de la monnaie nationale, le rial, face au dollar depuis le début du conflit.
Enfin, il apparaît que le risque d’escalade non voulu demeure. La République islamique doit maintenir dans sa logique idéologique une menace d’escalade, pour préserver sa crédibilité militaire auprès de ses partenaires non-étatiques en Syrie, au Liban et en Irak : c’est cela qui explique la mobilisation des milices chiites irakiennes à la frontière syro-israélienne. D’un autre côté, Israël doit rétablir un rapport de force avec « l’axe de la résistance » pour réduire la probabilité d’une future attaque à l’intérieur de ses frontières.
Cette dynamique d’escalade est en plus nourrie par l’agenda des acteurs palestiniens et non étatiques arabes (Hezbollah, milices chiites irakiennes par exemple). En d’autres termes, même si les puissances étatiques régionales n’ont pas intérêt à une extension du conflit, il n’en reste pas moins que des événements locaux pourraient avoir des conséquences militaires pour la stabilité régionale et internationale.
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