La loi Travail d’Emmanuel Macron edit
La question du travail sous tous ses aspects, seuils sociaux, hiérarchie des normes, modalités de licenciement, impasses et inefficacité de la politique de formation, indemnisation du chômage, est au cœur de la réforme économique du pays. Les chantiers de réforme ouverts depuis des décennies ont mobilisé les syndicats, les administrations et les politiques sans avoir jamais abouti. Ces réformes structurelles étaient la réponse à un chômage structurel persistant, frappant les jeunes, dont la durée ne cessait de s’allonger privant le pays d’une part de son potentiel de croissance. On ne compte pas les rapports qui retracent cette réalité ni les recommandations des organisations internationales sur les voies et moyens d’une réforme efficace et équitable du marché du travail.
Le dernier à s’être saisi de ces problèmes fut François Hollande, c’est son échec qui motive aujourd’hui le train de réformes que veut lancer, par ordonnances, le président Macron.
Le dispositif envisagé s’ordonne autour de trois volets. Une réforme du marché du travail qui doit consacrer l’inversion de la hiérarchie des normes avec un primat donné à la négociation d’entreprise, le rétablissement du caractère obligatoire de l’application d’un barème des indemnités pour licenciement abusif aux Prudhommes et l’abandon des reculs de la Loi Rebsamen sur les seuils sociaux et l’unification de la représentation des salariés. Le deuxième volet porte sur l’assurance chômage, son extension aux indépendants et aux démissionnaires, ses conditions de financement (par la CSG) ses modalités de gestion (sortie du paritarisme). Enfin le troisième volet portera sur une nouvelle réforme de la politique de formation qui coûte 32 milliards d’euros et dont l’inefficacité et les gaspillages nourrissent la littérature grise depuis fort longtemps. L’individualisation du droit à la formation et la création d’une offre régulée et certifiée de programmes de formation devant se substituer au régime actuel.
Que peut-on apprendre de l’échec de Hollande, que peut-dire de la stratégie de Macron et de ses chances de succès ?
Dans les annales des réformes ratées, la Loi El Khomri restera comme un modèle de ce qu’il ne faut pas faire. Elle a fini par résumer les errements de la présidence Hollande.
Ce qui caractérise en effet cette présidence c’est l’audace réformatrice en paroles (la flexisécurité à la française). Aucun des sujets ayant trait aux dysfonctionnements du marché du travail n’est négligé : adaptation négociée à la crise, seuils sociaux, formation, code du travail, indemnisation du chômage, réforme des prudhommes, du licenciement économique…
Au départ, avec la Loi El Khomri, il s’agit de faire de la négociation dans l’entreprise des accords collectifs majoritaires la norme et des accords interprofessionnels l’exception dans les limites des principes de l’ordre public social.
Ce principe sitôt posé va subir des aménagements majeurs.
Pour tenir compte des objections du Parti socialiste l’objet de l’accord d’entreprise est réduit à peau de chagrin avec l’abandon du CDI des 35 h et du Smic comme objets de débat et de compromis au sein de l’entreprise.
La définition de ce qui relève de l’ordre public social et plus généralement de ce qui relève de chaque niveau de négociation est renvoyé à dire d’expert. S’en suit une multiplication des rapports sur l'inversion des normes (Rapport Combrexelle, Rapport Badinter, Rapport Barthélémy-Cette).
La volonté de faire vite conduit à centraliser à Matignon la préparation de la Loi et à la faire porter par une nouvelle ministre inexpérimentée, d’où un éclatement des lieux de négociation et l’intégration de dispositifs non négociés comme l’article 30 bis qui va déchaîner l’opposition de la CFDT.
La fuite dans la presse du projet de Loi, l’absence de discours du sens sur l’utilité de la réforme et l’opposition de la CFDT conduisent le Gouvernement à reculer notamment sur la barémisation des indemnités prudhommales qui deviennent indicatives et non de droit.
Face à la mobilisation des syndicats et du combat des frondeurs de nouvelles négociations sont menées sur le périmètre des licenciements économiques… jusqu'à l’usage du 49.3.
L'imposition d'une pratique politique autoritaire rejaillit alors sur le texte qui est paré d’un côté de vertus réformatrices qu'il n'a guère et de l’autre de tares anti-sociales qu’il n’a pas davantage. Au passage la véritable novation que constituait le compte personnel d’activité est oubliée.
A la fin, une loi croupion dont nul ne comprend la portée réelle est adoptée malgré les mobilisations de la rue, malgré la cassure entre deux gauches « irréconciliables » au Parlement. Cette loi adoptée en même temps qu’est discuté le texte sur la déchéance de nationalité signe l’échec de Hollande.
Emmanuel Macron semble avoir tiré les leçons de l’expérience El Khomri. Il a annoncé très en amont pendant la campagne électorale sa volonté de réformer le marché du travail et fait du mot d’ordre « libérer et protéger » l’antienne de sa campagne. Il a tenu à expliquer pourquoi il fallait libérer le travail pour accroître l’emploi et comment en parallèle il fallait sécuriser le travailleur en réformant l’indemnisation du chômage et en investissant dans la formation (15 milliards d’euros pour former un million de chômeurs). Lorsqu’en cours de campagne la France insoumise lui a réclamé le retrait de ce projet de réforme pour prix de son ralliement à la stratégie du Front Républicain il s’y est refusé. Son élection sur un programme aussi clair vaut mandat politique. Certes il a été élu au second tour grâce à une majorité qui voulait faire barrage à Marine le Pen mais c’est la règle des seconds tours !
L’engagement réitéré à procéder par ordonnances pour faire passer sa loi travail, engagement majeur renouvelé lors du discours d'investiture, est un gage supplémentaire de cette détermination car il inscrit cette loi en tête de l’agenda politique du nouveau gouvernement et de la nouvelle assemblée sans contrevenir pour autant aux règles de la démocratie sociale puisque les syndicats ont été saisis de ces projets entre les deux tours de la présidentielle et seront consultés par le nouveau gouvernement.
Enfin les thèmes de la nouvelle réforme ont été longuement débattus à l’occasion de la Loi El Khomri et évoqués très en amont avec la CFDT ce qui permet d’envisager une procédure accélérée. La recherche d'un accord préalable avec la CFDT a été un objectif majeur d’Emmanuel Macron avant même son élection. Un compromis dont on entrevoit les contours tant sur la formation que sur l’indemnisation du chômage ou la barémisation des indemnités est envisageable.
Au total et par rapport à la méthode Hollande de réforme le contraste est saisissant tant dans la pédagogie de la réforme, la gestion des relations avec la CFDT que l’absence de parasitage politique de la loi comme ce fut le cas avec la querelle Macron-Valls. Dès lors on peut espérer échapper aux effets délétères de la réécriture de la loi pour gagner des soutiens, calmer les frondeurs, tenir à distance les jeunes, désarmer les oppositions violentes dans la rue.
Pour autant, rien n’est gagné. Apprendre des échecs de François Hollande est une chose, réussir des réformes sociales majeures en est une autre. Emmanuel Macron a trois possibilités.
La première est de mettre en œuvre son programme, pousser son agenda de réformes dans sa cohérence, en procédant rapidement par ordonnances, investir son capital politique, faire œuvre de pédagogie donner des gages à Bruxelles et Berlin et prendre le risque d’aller à la confrontation avec les syndicat… et de perdre.
La deuxième est plutôt de mettre en œuvre une réforme gradualiste sur la durée, ce qui devrait le conduire à ne pas franchir les lignes rouges de la CFDT sur le référendum d’entreprise, sur le plafonnement impératif des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le paritarisme dans la gestion de l’assurance chômage. Le risque là est d’en faire trop peu et de ne pas convaincre.
La troisième est de renoncer en pratique à la réforme du marché du travail en multipliant les concessions selon un schéma que l’on a que trop vu sous Chirac, Sarkozy et Hollande. Une réforme audacieuse sur le papier, de réécriture en réécriture, finit par perdre de son tranchant et de son efficacité.
Peut-il réussir à convaincre l’opinion publique que pour libérer l’embauche il faut rendre prévisibles les conditions de la séparation, qu’il vaut mieux sortir un jeune du chômage et le mettre en formation même au prix d’un aménagement du SMIC, et qu’au total l’accord d’entreprise au plus près du terrain est préférable à des règles générales impersonnelles ? Le choix des ordonnances témoigne de la volonté de faire vite, il ne dit rien de la détermination du président à faire une réforme réelle qui traite à la racine les problèmes du marché du travail.
S’il venait à composer à l’excès, pour ne pas irriter les syndicats, alors c’est notre pratique de la démocratie sociale qui se trouverait en question. Celle-ci peut-elle être opérante avec des syndicats affaiblis et divisés qui ne s’entendent ni sur le diagnostic, ni a fortiori sur les solutions, qui refusent de s’emparer de problèmes vitaux pour l’avenir du pays ? La montée en puissance de la CFDT peut donner quelques raisons d’espérer mais si le prix à payer est la dénaturation des textes pour tenir compte de la concurrence syndicale, où est le profit réel ?
La longue bataille contre la loi El Khomri, les manifestations, les pétitions, les violences… sont autant indices d’une conflictualité et d’une violence qui ne reculent pas avec le temps. Comment mettre en œuvre des réformes votées au Parlement, largement concertées et acceptées par le principal syndicat, quand la paix civile est en cause et que les Français témoignent d’une sympathie renouvelée pour la censure législative par la rue ?
Les réformes du marché du travail sont urgentes, mais elles ne produisent des effets qu’à moyen long terme, et elles nécessitent la mobilisation par les nouveaux élus de l’essentiel de leur capital politique. Une présidence jupitérienne et un président à la parole rare ne feront rien à l’affaire : il faut d’immenses efforts de pédagogie et une bataille de tous les instants sur le terrain pour gagner l’opinion et créer un climat favorable à la réforme.
Par ailleurs de tels projets de réforme, indépendamment de leur portée économique ou sociale, ont des effets politiques forts sur les partis (le PS a décidé de partir en guerre contre une nouvelle loi Travail), ils sont au cœur de la recomposition syndicale (FO gère une transition au sommet et la CGT entend s’opposer) et seront scrutés à Berlin et à Bruxelles. D’où la tentation d’amodier, de différer, de chercher des accords rapides au prix de concessions qui dénaturent le sens de la réforme. Si le nouveau pouvoir venait à renoncer, alors le risque est d’aggraver l’image d’une France bloquée, décidément irréformable quelle que soit l’équipe au pouvoir.
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