Le président règne, gouverne et légifère edit
La mise en place du pouvoir exécutif de l’ère Macron a vu alterner en un très court laps de temps, la célébration de l’habileté stratégique et tactique du jeune président avec les critiques d’amateurisme de la nouvelle majorité parlementaire, la dénonciation de l’inconsistance du nouveau Premier ministre recadré sur les réformes fiscales après son discours d’investiture, les couacs dans les premières décisions à caractère budgétaire ou l’attente inquiète du vote de la Rue après la présentation des ordonnances.
Les cinq ordonnances qui forment la loi Travail livrent les premières clés pour comprendre le nouveau régime, une « démocratie exécutive » pour reprendre les termes de Nicolas Roussellier (La Force de gouverner, Paris, Gallimard, 2015).
C’est un engagement de campagne qui renvoie non pas à un processus d’élaboration au sein d’un parti, à l’adoption d’une plateforme au terme d’une délibération interne mais au choix d’un homme qui l'a soumis au peuple à l’occasion de l’élection présidentielle et qui est réputé adopté dès lors que le président est élu.
Ce choix présidentiel est soumis à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une procédure d’ordonnances qui exclut donc que la loi procède de la « nation assemblée » à travers ses commissions spécialisées et ses débats internes, au terme d’échanges contradictoires et du droit d’amendement. Le parti majoritaire ne joue même pas les utilités car ce qu’on attend de lui c’est qu’il se glisse dans le calendrier serré défini par le président.
L’Assemblée nationale ayant adopté la procédure, l’écriture des ordonnances peut commencer. Est-ce alors l’occasion de voir la machine Matignon prendre le relais de la parole présidentielle ou, mieux encore, les services du ministère compétent ? Le Premier ministre comme la ministre Pénicaud procèdent en fait uniquement du président. Le travail législatif, la rédaction des ordonnances sera le fait d’un comité ad-hoc formé de hauts fonctionnaires et de membres de cabinets. C’est donc le pouvoir administratif qui rédige la loi sur la base des engagements du président. Du reste dans sa composition des cabinets ministériels le président a tenu à ce que des équipes resserrées se mettent en place. Emmanuel Macron a voulu ainsi contraindre les ministres à travailler avec les directeurs d’administration centrale. Et, afin d’ancrer dans la durée cette articulation du pouvoir politique et du pouvoir administratif, il entend implanter un spoils system en France, s’étant engagé à renouveler rapidement les hauts cadres de l’administration centrale.
Si la réforme procède de la parole du président, si le Premier ministre et la ministre compétente n’ont pas d’existence politique propre, si le parti et les députés sont nouveaux et au service du président et si l’écriture des lois est le travail de l’administration, le gouvernement du pays ne se réduit-il pas à un face-à-face entre le président et la nation ? Non, car le processus d’élaboration des ordonnances a révélé l’existence d’un tiers majeur, les syndicats. La démocratie sociale est donc ce qui résiste à la réinvention du gaullisme institutionnel. Le système mis en place est à la fois singulier, puisque basé sur une intense préparation technique dans une série de rencontres bilatérales, et plus classique puisqu’il laisse à l’exécutif le choix du dosage des concessions et du choix des partenaires syndicaux électifs.
Dans un article récent, Gérard Grunberg s’interroge sur la part de gaullisme et de libéralisme chez Emmanuel Macron. Il insiste sur l’ambivalence du jeune président en s’appuyant sur ses déclarations publiques où il pense lire un sincère attachement au pluralisme, aux lumières, à la conscience d’une souveraineté partagée avec l’Assemblée à la différence du général de Gaulle. La procédure suivie pour l’adoption de la loi Travail ne laisse guère subsister d’hésitations : tout procède du pouvoir présidentiel, l’Assemblée comme le pouvoir administratif, la majorité parlementaire comme le Premier ministre désigné, seuls on l’a vu les syndicats et la démocratie sociale paraissent résister à cet alignement des pouvoirs qui procèdent tous du président.
Faut-il y voir la manifestation conjoncturelle d’un pouvoir qui se met en place sur les ruines de l’ancien système ou le retour à la philosophie gaulliste de l’exercice du pouvoir ? Reprenons point par point les éléments du nouveau système de pouvoir.
À la Libération, le souci premier du général de Gaulle n’est pas de restaurer les institutions de la démocratie parlementaire. En 1958, son jugement sur la faiblesse des gouvernements passés, sa critique du rôle fractionniste des partis, sa conviction que seul l’État est porteur de l’intérêt général et que c’est autour de cet État qu’il faut reconstruire et rassembler la nation, le conduisent à graver dans le marbre des nouvelles institutions, la prééminence du président. Dans les déclarations du candidat puis du président Macron on perçoit une étonnante continuité avec cette vision.
L’armature du nouveau pouvoir
On l’a déjà vu sur les ordonnances Travail, quatre éléments constituent l’armature du nouveau pouvoir.
1 - La verticalité présidentielle revendiquée. L’investissement massif dans les affaires diplomatiques et régaliennes a pu laisser penser un moment à une division du travail au sein de l’exécutif avec les questions économiques et sociales laissées à Matignon, mais la reprise en main après les couacs fiscaux et le pilotage de la loi Travail depuis l’Elysée ont vite dissipé les illusions.
2 - Le refus de travailler à une coalition politique avant les législatives et le choix d’un alignement total de la majorité législative sur la personne du président. La marginalisation du Modem, le refus de négocier avec les sociaux-libéraux issus du PS, la création d’un parti-entreprise dirigé par un conseil d’administration qui choisit les futurs députés sur la base de critères définis par un quasi DRH… tout milite pour incarner cette rupture avec le vieux monde politique, ses appareils et ses connivences alors même que l’étroitesse de l’électorat de premier tour du président aurait pu l’inciter à un autre choix.
3 - L’absence de légitimité propre du Premier ministre, le gouvernement avalé par le pouvoir exécutif présidentiel à travers le choix des ministres, les cabinets communs au président et au Premier ministre, le pouvoir administratif réduit avec l’instauration du spoils system : le pouvoir exécutif présidentiel domine l’ensemble du système politique. Il peut paraître étrange de parler d’un pouvoir administratif détaché du pouvoir gouvernemental mais la tradition française du service public, la multiplication d’autorités indépendantes, la stabilité au-delà des alternances des directeurs d’administration centrale, l’autorité du Conseil d’État ont avec le temps conféré une autonomie relative au pouvoir administratif. Paradoxalement, en exhortant des ministres à prendre effectivement les rênes du pouvoir dans leurs ministères, le président paraît redonner le pouvoir politique aux ministres. Mais, comme ces derniers ne sont pas toujours eux-mêmes des politiques et comme leurs cabinets sont peu étoffés, ils deviennent de fait des rouages d’une machinerie où tout commence et tout finit à l’Élysée. Il faudra observer l’évolution dans les mois qui viennent d’administrations de mission comme le CGI ou d’autorités indépendantes comme l’Arcep pour juger de l’étendue de la remise en cause de l’État administratif.
4 - Pour le général de Gaulle la légitimité présidentielle devait être retrempée par le contact permanent avec le peuple, par sa consultation périodique et par les manifestations de son soutien. Dans le cas d’Emmanuel Macron, la volonté de consultations systématiques des partenaires sociaux, l’engagement pris d’un dialogue permanent avec le peuple à travers tous les canaux de communication disponibles et l’attente à l’occasion de prochaines élections du jugement populaire retrospectif sur son action constituent les éléments de ce dispositif d’écoute et de validation de ses choix politiques.
Au total la démocratie représentative est captée par le parti entreprise dominant et le pouvoir gouvernemental et administratif par l’appareil élyséen. La régulation du système passe ainsi à la fois par le lien personnel entre le président et le peuple, la négociation directe avec les groupes d’intérêt, notamment dans le cadre de la démocratie sociale, et la contestation de la rue.
Quelle évolution du système?
Comment peut évoluer un tel système dans les mois et les années qui viennent ? Là aussi le précédent gaulliste peut nous servir de guide.
Le spectacle donné lors des derniers débats à l’AN préfigure une nouvelle polarité LREM-France insoumise : faut-il y voire le nouveau clivage qui organiserait notre vie politique ? La réponse est rien de moins qu’évidente pour trois raisons : la majorité gaulliste de 1959 était moins monolithique et moins exclusivement dévouée à la personne du président que la majorité LREM actuelle, avec les Républicains-constructifs et les socialistes de gouvernement il y a une base pour une éventuelle recomposition du Centre, l’opposition peut se restructurer autour d’une droite refondée ou de la France insoumise. Le précédent gaulliste milite toutefois pour une nouvelle polarité. Souvenons-nous que la polarité gaulliste/socialiste a fini par dominer la scène politique après l’institution du parti gaulliste (RPF, UNR, UDR, RPR, UMP, LR) et la formation de l’union de la gauche. Macron et Mélenchon le voudraient bien mais ce scénario est malgré tout peu probable, ne serait-ce que parce qu’à droite le jeu est ouvert et que les républicains pèsent d’un poids non négligeable, quel que soit l’avenir du Front national.
Le pouvoir parlementaire pourrait-il reprendre plus d’autonomie et de centralité ? S’il faut entendre par là l’opposition larvée des frondeurs socialistes à leur propre gouvernement, LREM n’est pas le bon vecteur, et c’est heureux. Pour autant le regain parlementaire est peu probable tant notre histoire depuis les années 20 illustre un mouvement continu vers le parlementarisme rationalisé, qu’il s’agisse de la séparation de la loi et du règlement, de l’instauration des décrets-lois puis des ordonnances puis du 49-3 et plus généralement de la confiscation du travail législatif par le gouvernement et l’État administratif.
S’agissant du gouvernement, il risque peu de gagner en autonomie ne serait-ce que parce que le Premier ministre n’a pas pu bâtir une force politique avec les Républicains constructifs et parce que les ministres politiques sont peu nombreux. Verra-t-on apparaître des ministres puissants ? L’organisation même du travail gouvernemental rend cette hypothèse peu probable. L’allégeance au président restera pour longtemps le seul capital politique des nouveaux venus en politique.
Paradoxalement, en 1958, le Général de Gaulle , en puisant dans le vivier de la IVe République, a pu bénéficier d’emblée d’hommes politiques expérimentés, puis le relais a pu être pris après 1962 par des fidèles maintenus près d’une décennie aux mêmes postes (Messmer ou Couve de Murville).
La concentration des pouvoirs est une donnée de la Ve République. La novation du moment macronien réside dans une conjonction rare entre renouvellement massif de la classe politique, éclatement du système des partis et hyper-présidence. L’indétermination quant aux évolutions du système est donc majeure.
Les objections les plus fondamentales au modèle gaulliste ne sont donc pas d’abord d’ordre institutionnel mais politiques. L’élection du président au suffrage universel ainsi que la formation d’une majorité présidentielle et son effet entraînant sur les législatives, illustrent les vertus du système. Les difficultés sont ailleurs.
La France vit de fait sous un régime de souveraineté partagée depuis Maastricht. La concentration des pouvoirs dans l’exécutif national et la faible prise de ce pouvoir sur la politique macroéconomique ont des effets importants sur la crédibilité des dirigeants nationaux et sur leur capacité à tenir leurs promesses de changement.
Par ailleurs le mouvement profond de décentralisation et les demandes croissantes de participation de différents groupes de la population concernés rendent le décisionnisme d’un exécutif concentré plus difficile à mettre en œuvre que du temps du général de Gaulle. Enfin l’avènement d’une démocratie du public rythmée par les sondages quotidiens, les chaînes continues d’information et le buzz sur les réseaux sociaux soumet l’action politique à une dictature de l’instant.
Au total c’est à un système hiérachisé de « Command & Control » que le système actuel fait penser. La rapidité de conception et d’exécution en font la force dans une époque de réformes. Le monolithisme de la direction, les faiblesses du décisionnisme et d’une conception balistique de l’action, la multiplicité et la volatilité de contre-pouvoirs fractionnés à l’infini en font la faiblesse.
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