L’éclatement inévitable du parti républicain ou le pari perdu de Mitch McConnell edit
Jusqu’au tout dernier moment l’establishment du parti et le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, ont soutenu Donald Trump dans ses extravagances. La grande popularité du président dans le parti et dans l’électorat républicains et, du coup, la nécessité de coller à cette base électorale pour recueillir ses suffrages, les ont amenés plus loin qu’ils ne l’auraient sans doute voulu. McConnell estimait alors que tel était le prix à payer pour sauvegarder l’unité d’un parti où il occupait une position centrale. Ce pari, il l’a perdu.
Acculé le 6 janvier à faire un choix crucial entre le soutien à Trump et la défense de la démocratie américaine, entre la reconnaissance des résultats de l’élection présidentielle et leur rejet, il a finalement choisi la rupture avec le président sortant, provoquant ainsi l’éclatement du parti. Les raisons de cette lourde décision et ses conséquences peuvent être comprises en analysant la situation politique du moment et les options qui étaient offertes.
La dérive fasciste de Trump et du parti trumpiste
La journée du 6 janvier demeurera inscrite dans l’histoire de la République américaine. Ce jour-là, le président Trump, haranguant la foule réunie devant la Maison-Blanche, a réitéré son refus de reconnaître l’élection de Joe Biden (« We will never give up. We will never concede. It doesn’t happen. You don’t concede when there’s theft involved. We won this election. ») et a lancé un appel à l’insurrection, appelant ses partisans au combat (« And we fight. We fight like hell and if you don't fight like hell you're not going to have a country anymore. »), les pressant de marcher sur le Capitole (« We're going to walk down Pennsylvania Avenue and we're going to the Capitol. »). Cet appel a provoqué la prise et le sac du Capitole et l’interruption de la séance du Congrès consacrée au décompte des votes du Collège électoral. Les prises de position du groupe républicain au Sénat, et en particulier de McConnell et du vice-président, Mike Pence, prenant parti contre Trump, ont déchaîné la colère et les menaces de celui-ci, bien décidé à punir les « traîtres ». La rupture ne peut donc qu’être définitive. À partir de ce moment, la partie de l’establishment républicain qui a rompu avec Trump se trouve dans une situation qui l’oblige à faire d’autres choix décisifs.
Trump est toujours là !
L’Amérique n’en a pas fini avec Trump. Contrairement à certains commentaires, il est loin d’être sorti du champ politique. Sa détermination est intacte et sa volonté d’en découdre farouche. Même si au terme de la procédure d’impeachement il pourrait se voir interdire d’exercer à nouveau un mandat fédéral, il est clair aujourd’hui qu’il entend être candidat à l’élection présidentielle de 2024 et continuer à dominer le parti républicain. Cet homme ne renoncera jamais, mû par son désir de vengeance et de destruction d’un parti républicain qu’il ne dominerait plus. Or, il dispose toujours dans ce parti de nombreux et solides soutiens. A la Chambre des représentants, le 6 janvier, 138 républicains, soit une large majorité du groupe dont le chef de la minorité républicaine Kevin McCarthy, pouvaient encore soutenir les objections sur le vote en Pennsylvanie. Le 8 janvier, Ronna McDaniel, fervente trumpiste, a été réélue à l’unanimité et sans opposition à la présidence du Comité national républicain de même que Tommy Hick, ami du fils du président. Aucune critique n’a été élevée à cette occasion à l’égard de Trump qui a été reconnu comme le leader du parti pour l’avenir. Les orateurs se sont succédés à la tribune pour le soutenir et très peu ont remis en cause son comportement le 6 janvier. Aucun changement dans le parti n’a été réclamé. McDaniel a déclaré qu’elle comprenait que la base soit en colère et veuille se battre à propos des fraudes électorales. Elle a appelé à combattre les « socialistes ». Elle a obtenu une standing ovation.
Certes, le 11 janvier, le National Republican Congressional Committee a reconnu que les violences au Capitole n’avaient pas leur place dans une démocratie. Mais le fossé entre l’establishment du parti et les militants n’a jamais été aussi large. Il est très probable que la base du parti conservera intact son soutien à Trump. La loyauté à son égard s’est renforcée au sein du comité par le remplacement progressif de politiciens professionnels et de boss locaux par des loyalistes dévots et dogmatiques choisis directement par l’entourage du président et bien décidés à rendre très difficile la montée de personnalités qui pourraient se présenter à une primaire présidentielle. Trump a forgé une nouvelle génération d’activistes qui menace les anciens leaders du GOP. « Nous ne pouvons exister, explique un membre de ce Comité, sans les gens qu’il a amenés au parti. Nous sommes un parti différent avec eux et grâce à eux nous sommes un meilleur parti. » « C’est Trump qui amène les électeurs et c’est la raison pour laquelle il doit rester à la tête du parti » déclare un autre. Le parti républicain est devenu un parti trumpiste.
Comment dans ces conditions imaginer ce parti sans Trump ? La base a totalement intégré son discours. Elle le suivra jusqu’au bout car il incarne tous ses griefs, tous ses espoirs et toutes ses haines. C’est cette intensité de l’attachement à Trump qui a transformé les militants en zélotes et qui caractérise aujourd’hui ce parti. Cette dévotion empêche toute transformation. Être trumpiste est une identité politique en soi, d’une autre nature que l’identité républicaine d’hier, et qui crée un fossé profond entre sa base et son establishment traditionnel.
Les mêmes caractéristiques se retrouvent au niveau de l’électorat républicain. Un sondage YouGov du 9 janvier montre que parmi les électeurs de Trump de 2020, 44% se disent d’abord des soutiens de Trump lui-même, 22% seulement des soutiens du parti républicain et 22% des soutiens des deux. Un sondage Marist-polls du 7 janvier (voir tableau) montre que 77% des électeurs républicains approuvent l’exercice du pouvoir de Trump, 72% ne croient pas à la véracité des résultats de l’élection présidentielle, 47% estiment que la prise du capitole était légitime et 30% seulement blâment Trump pour le rôle qu’il a joué le 6 janvier. 83% enfin s’opposent à sa destitution. Il ressort de ces chiffres qu’une la moitié de l’électorat républicain pourrait suivre Trump dans sa dérive fasciste, soit au moins 20% des électeurs américains ! Son noyau demeure dans l’ensemble de l’électorat les électeurs blancs de sexe masculin sans diplôme universitaire dont 58% ne croient pas à la véracité des résultats. Le fait que 28% seulement des blancs de sexe féminin ayant un diplôme universitaire fassent la même réponse montre qu’indépendamment de la variable de race, celles de le sexe et de niveau d’études jouent un rôle également très important dans la structure de l’électorat trumpiste.
A cela, il faut ajouter que FoxNews, bien qu’ayant été obligé par son propriétaire Rupert Murdoch de reconnaître les résultats de l’élection, est vite redevenu un média trumpiste, ses présentateurs vedettes exonérant Trump de toute responsabilité dans les événements du 6 janvier, pronostiquant qu’il serait candidat en 2024 et se montrant solidaire de ses partisans. Tucker Carlson a ainsi déclaré : « Tens of millions of Americans have no chance; they’re about to be crushed by the ascendant left. These people need a defender. You need a defender. »
McConnell et l’establishment républicain face à un choix décisif
Les événements du 6 janvier ont fourni à la partie de l’establishment républicain, qui supportait de plus en plus mal depuis l’élection présidentielle la dérive anti-démocratique du président mais ne savait comme desserrer son étreinte, l’occasion inespérée de se libérer enfin. Mais, du coup, elle est confrontée à la nécessité de faire un nouveau choix. Devrait-elle privilégier l’opposition à un parti démocrate bien décidé à obtenir l’impeachment de Trump, donnant ainsi la priorité au clivage partisan, ou saisir l’occasion, en se joignant à lui pour voter l’impeachment, d’interdire à Trump de se représenter à une élection présidentielle ?
Ce second choix, qui semblait encore au lendemain du 6 janvier repoussé par l’establishment républicain, ne paraît plus exclu aujourd’hui. Certes, le 13 janvier, 197 républicains de la Chambre ont voté contre l’impeachment, mais dix autres ont voté avec les démocrates lui donnant ainsi une large majorité de 34 sièges. Surtout, McConnell semble prêt à s’y rallier, ayant reconnu que le président avait commis une impeachable offense et se disant ouvert à l’idée d’impeachment alors qu’une douzaine de sénateurs républicains ont déjà fait ce choix (il en faudrait dix-sept). Certes, par un tel choix, les signataires brûleraient leurs vaisseaux et mettraient en grave péril leur réélection. En outre, si le texte n’était pas voté par un nombre suffisant de républicains, ses signataires risqueraient d’être marginalisés. Et si le texte est voté, la conséquence directe sera la fin du parti républicain et la reconnaissance que ce qui en reste est devenu un parti personnel, celui de Donald Trump.
Malgré les enjeux très lourds qui pèsent sur un tel choix, et les risques très grands qu’il leur ferait courir, de nombreuses raisons pourraient pousser les sénateurs républicains à voter l’impeachment. D’abord, les républicains anti-Trump ne reprendront jamais à Trump le parti républicain. Ensuite, un tel vote permettrait le regroupement des républicains qui n’ont rompu qu’au dernier moment avec Trump et de ceux qui lui ont été hostiles dès la première heure, qu’ils soient demeurés dans le parti, tel le sénateur Mitt Romney, ou qu’ils s’en soient séparés comme les participants au Lincoln Project. Il permettrait également aux premiers de faire oublier leurs attitudes pour le moins ambigües en matière de défense de la démocratie et de se ranger clairement dans le camp de ses défenseurs. Un tel choix impliquerait qu’ils acceptent le combat frontal avec Trump et la formation d’un nouveau parti. Ce choix consisterait alors à faire prévaloir le clivage démocrates/anti-démocrates sur le clivage gauche/droite.Un tel choix serait en cohérence avec l’état actuel de l’opinion publique américaine. Au soir du 6 janvier le vent a tourné. Selon un sondage IPSOS, entre le 6 et le 7, la condamnation des insurgés et celle de Trump se sont amplifiées dans une opinion publique sidérée par le sac du Capitole. L’opposition aux insurgés a atteint 83%. Selon une enquête de PBS NewsHour/Marist Poll du 7 janvier 58% désapprouvent l’exercice du pouvoir de Trump, 64% estiment exacts les résultats de l’élection présidentielle, 72% trouvent illégitime l’invasion du Capitole et 63% blâment le président pour son rôle dans les évènements. En quelques jours, la popularité de Trump, mesurée par le site FiveThirtyEight, s’est effondrée (35% d’opinions positives contre 60% d’opinions négatives). L’impeachment du président contribuerait fortement à sa dé-légitimation et à un affaiblissement déjà favorisé par les défaites sénatoriales en Géorgie, les décisions de nombreuses et puissants donateurs de cesser de lui verser des fonds, de certains des médias de Murdoch de cesser de le soutenir (le Wall Street Journal a appelé à sa démission) et de certains de ses proches collaborateurs et ministres de démissionner. Il renforcerait le front démocratique dans la lutte centrale contre la dérive fasciste. Pour McConnell et d’autres Républicains, cette crise offrirait l'opportunité d’empêcher Trump de se représenter en 2024. Ce choix capital, nous saurons bientôt combien ils seront à le faire.
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