L’enjeu des présidentielles est aussi médiatique edit
Aux États-Unis comme en France, les campagnes présidentielles ont souvent été le révélateur de profonds bouleversements dans le rôle et la hiérarchie des médias. En 1960, le fameux débat télévisé entre Kennedy et Nixon a marqué le début de la primauté de la télévision et la fin du règne de la presse écrite dans les affrontements politiques. Cinq ans plus tard, en France, on assista au même phénomène lors du duel entre de Gaulle et Mitterrand au cours duquel le général manifesta sa maîtrise du petit écran.
Dans les dernières années du XXe siècle, ce fut l’essor des chaînes tout info, CNN d’abord puis Fox News, qui ont marqué les présidentielles aux États-Unis avec leurs incessantes tables rondes d’experts et la couverture heure par heure des déclarations des candidats. Là encore, la France a suivi quelques années plus tard avec ses trois chaînes d’information, LCI, BFM et I-Télé.
La séquence électorale 2016-2017 est le théâtre d’un nouveau bouleversement dont les conséquences se manifesteront bien au-delà de la présidentielle américaine de novembre 2016 et de la française, en mai 2017.
Cette fois, c’est l’essor extraordinaire des réseaux sociaux qui change profondément le mode de transmission des messages des candidats. La première campagne d’Obama, en 2008, avait déjà donné une idée de leur impact. En 2016 ils ont reconfiguré profondément le champ de la communication politique et, plus important encore, la structuration de l’offre. Aux États-Unis, Donald Trump s’est révélé comme un virtuose de Twitter, animant en permanence sa campagne par des tweets virulents, repris par les medias traditionnels comme des informations importantes, ce qui lui permettait d’être constamment au cœur de l’actualité, sans que cela lui coûte rien, alors que ses concurrents des primaires républicaines dépensaient des dizaines de millions de dollars en publicité télévisée. Le fait que « le Donald » ait triomphé de sa douzaine d’adversaires en dépensant dix fois moins qu’eux constitue un événement considérable alors que, jusqu’à présent, les résultats des candidats étaient proportionnels à leurs budgets de spots publicitaires.
Toutefois le changement le plus profond est la conséquence de la puissance sans égale de Facebook. Dans un remarquable article du New York Times du 24 août, « Inside Facebook’s political media machine », John Herrman analyse cette situation nouvelle et lourde de conséquences. Il souligne qu’en 2016, d’après une étude du Pew Center, 44% des Américains s’informent sur Facebook qui a 200 millions d’abonnés dans ce pays. En France, on en compte déjà plus de 20 millions. Par comparaison la même étude de Pew évaluait à 5% le pourcentage d’Américains qui s’informaient dans la presse écrite.
Compte tenu de l’ubiquité de Facebook, ce service est devenu en quelques années le principal canal de diffusion de l’information. Les médias traditionnels s’efforcent d’exploiter son potentiel en montant des pages spécifiques sur Facebook, ce que les médias français, presse et télévision, font aussi. De même, les candidats aux présidentielles ont aussi leur page qui draine des millions de visiteurs ou d’amis, pour un coût très réduit.
Toutefois, la grande nouveauté, aux États-Unis, mais ce sera sans doute bientôt le cas en France, c’est la mise en route de pages spécifiques destinées à Facebook. Ces pages sont réalisées par des individus, journalistes ou simples passionnés de la politique, dans le but de promouvoir leurs opinions et de rassembler des familles d’idées.
John Herrman énumère des dizaines de ces pages, certaines très marquées à gauche, qui soutiennent ardemment Bernie Sanders, d’autres très à droite, gravitant dans l’orbite de Donald Trump. Ces bulletins électroniques qui ne sont accessibles que par l’intermédiaire de Facebook, drainent des centaines de milliers et parfois des millions d’abonnés. Ainsi, par exemple, Us Uncut, qui penche à gauche, a 1,5 millions d’abonnés. À droite un groupe d’une cinquantaine de pages autour d’An American Patriot récolte une dizaine de millions d’abonnés. L’audience de ces différentes pages est telle qu’elle concurrence les medias traditionnels comme le New York Times ou CNN qui peinent à capter un public important et surtout à lui faire quitter leur page du réseau social pour aller sur leur site et leur permettre d’engranger de la publicité ou des abonnés payants pour financer leurs lourdes charges de fonctionnement.
Pour ces bulletins, les enjeux sont complétement différents. Ils fonctionnent dans des conditions beaucoup plus économiques, employant une ou deux personnes, exploitant des informations et des images glanées sur le web pour réaliser des montages audacieux, ridiculisant leurs adversaires politiques. Ce qui compte, c’est de recueillir le maximum d’approbations, de « Like » ou « Follow », quitte quand même à exploiter un site web qui récoltera un peu de publicité, suffisamment pour faire vivre l’initiateur du projet.
L’auteur de l’article souligne aussi que ces page fonctionnent d’autant mieux qu’elles soutiennent des positions plus extrêmes, très à gauche ou très à droite ce qui contraste évidemment avec l’attitude plus mesurée des grands medias traditionnels qui s’efforcent de présenter avec honnêteté les positions des différents candidats.
Enfin, l’usage croissant des smartphones pour consommer les services sur Internet joue en faveur de ces pages de Facebook dont l’ergonomie est calculée pour qu’elles soient faciles d’accès et facilement lisibles.
Il est aisé de prévoir que cet état des choses se répercutera sur les présidentielles françaises de l’an prochain. Comme le souligne Frédéric Filloux dans sa Monday Note du 8 août dernier, l’influence des réseaux sociaux a déjà comme effet d’accélérer dangereusement le rythme de l’information. Il montre qu’en 10 ans, ce rythme s’est modifié considérablement, posant un défi majeur à tous ceux qui se préoccupent de la qualité de l’information. Les médias traditionnels ont déjà du mal à résister à cet afflux incessant d’informations plus ou moins vérifiées qui parasitent leur travail et gênent toutes tentatives de mener des enquêtes de fond et des investigations sur ce qu’affirment les candidats et leurs partisans. On imagine aisément les ravages que peut causer la multiplication de pages sur Facebook répercutant rumeurs non fondées et photos manipulées.
Même si ce processus est plus long à se mettre en place dans notre pays, il n’en demeure pas moins que la campagne à venir va prendre en compte le rôle d’un support d’information qui est utilisé par près de la moitié de la population. La presse écrite n’est plus depuis longtemps le forum du débat démocratique. L’âge moyen des téléspectateurs est élevé, de l’ordre de 60 ans aussi bien pour les chaînes traditionnelles que pour les chaînes tout info. Pour atteindre un public plus jeune, le canal de Facebook est un passage inévitable. Il ne faut pas cependant se faire des illusions. Comme le souligne le New York Times, la tendance des usagers est de consulter les sources d’information qui confortent leurs opinions et non à rechercher la contradiction. De ce point de vue, les mécanismes mis en place par Facebook s’appuyant sur des algorithmes sophistiqués et sur le critère éminemment subjectif de « j’aime » ou « je n’aime pas », sont évidemment favorables à la polarisation des points de vue et à l’absence de dialogue entre adversaires.
Les présidentielles françaises de mai 2017 se dérouleront dans un contexte médiatique très différent de celles de 2012. Les médias traditionnels auront la lourde responsabilité de défendre le débat et la vérification des faits et des affirmations partisanes face à des circuits d’information de plus en plus incontrôlables et de plus en plus puissants.
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