Les socialistes et le déni du centre edit
Les leaders socialistes, comme ceux des autres partis de gauche, considèrent Emmanuel Macron et son parti comme faisant partie de la droite. En conséquence, il estiment qu’il n’y a pas de différence entre les Républicains et la République en marche. Anne Hidalgo déclarait ainsi le 12 décembre : « La droite a déjà ses deux candidats, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron . L’un comme l’autre expriment des propositions qui peuvent mettre par terre le pacte social et républicain français. Tout cela menace la démocratie et la République ». Cette disqualification politique du pouvoir actuel était déjà présente dans le discours prononcé par Olivier Faure au Congrès de Villeurbanne le 19 septembre dernier : « Voulez-vous vraiment continuer avec Darmanin, Blanquer, Le Maire ? Ils étaient déjà là sous Nicolas Sarkozy ! Avec eux, ce n’est pas le nouveau monde, c’est le retour à l’ancien régime ! » Ce faisant, ils refusent de considérer qu’il puisse exister un centre. Ce qui n’est pas à gauche est ipso facto classé à droite, le clivage gauche/droite étant la seule représentation possible de la structuration des forces politiques. Les enquêtes d’opinion nous disent cependant bien autre chose.
Si l’on demande aux électeurs de se situer sur une échelle en six positions de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, il apparaît que les proches de LREM et ceux de LR se situent de manière très différente (tableau 1).
Tableau 1. Auto-positionnement des proches de LREM et de LR (%)
(enquête IFOP juillet 2021, radioscopie de l’électorat macroniste.)
Les proches de LREM se situent pour 30% d’entre eux au centre gauche et pour 48% au centre droit. Seuls 17% se situent à droite. En revanche les proches de LR se situent pour 17% au centre droit et pour 78% à droite. Cela est cohérent avec le fait que LR et sa candidate se revendiquent de la droite ce qui n’est pas le cas de Macron et de LREM. Plus clairement encore, 78% des proches de LREM se situent soit au centre gauche soit au centre droit contre 19% des proches de LR. Ces deux électorats diffèrent donc profondément ; le déni du centre interdit ainsi aux socialistes d’avoir une lecture exacte de la réalité.
Ces différences d’auto-classement renvoient à des différences dans le domaine des valeurs. Si l’on compare les réponses des proches du PS, de LREM et de LR sur trois clivages de valeurs, universalisme/anti-universalisme, société ouverte/société fermée et libéralisme économique/antilibéralisme économique, il apparaît que les proches de LREM occupent une position particulière (tableau 2).
Tableau 2. L’attachement aux valeurs selon la proximité partisane (%)
Source : CEVIPOF IPSOS, Fractures françaises, 2021, 9e édition
Sur les valeurs universalistes, ils sont proches des sympathisants du PS. Sur les valeurs du libéralisme économique ils sont proches de ceux de LR, notamment sur les aspects sociaux (chômeurs, redistribution et protection des salariés), mais proches de ceux du PS sur le rôle que doit jouer l’État dans l’économie. Enfin sur le clivage société ouverte/société fermée, tandis que les sympathisants du PS et de LR sont proches les uns des autres, ceux de LREM partagent le plus nettement la vision d’une société ouverte. Ils ne sont pas centristes au sens où ils se situeraient, sur ces différents clivages, entre la gauche et la droite. Ils sont, selon les enjeux, tantôt proches de la gauche, tantôt proches de la droite ou occupent une position spécifique à la fois par rapport aux proches de LR et à ceux du PS.
Du point de vue des forces politiques, il est possible de considérer que les électeurs potentiels d’Emmanuel Macron et ceux de Valérie Pécresse constituent respectivement un centre et une droite (tableau 3).
Tableau 3. Second choix de vote au premier tour de l’élection présidentielle des électeurs ayant donné comme premier choix Macron ou Pécresse
Source : Enquête électorale IPSOS 2022, Vague 3, 14/15 décembre 2021 (%)
Lorsqu’on demande aux électeurs potentiels de Macron et de Pécresse quel serait leur choix en l’absence de leur candidat préféré, une forte majorité relative choisit respectivement Pécresse et Macron ; un tiers des électeurs de Macron choisissent un candidat de gauche et un tiers de ceux de Pécresse choisissent un candidat d’extrême-droite. Notre système politique est ainsi structuré en quatre grands éléments : une gauche (elle-même fracturée) un centre, une droite et une extrême-droite (elle aussi fracturée).
Contrairement à leurs leaders, les électeurs qui ont l’intention de voter pour la candidate socialiste font une différence entre le centre et la droite. Ainsi, au premier tour de la prochaine élection présidentielle 24-29% voteraient Macron et seulement 3-10% Pécresse.
Tableau 4. Intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle des proches du PS (%)
Sources : IFOP, vague 7, décembre 2021 ; Elabe, 21 décembre
Au second tour, sur les intentions de vote déclarées, les trois-quarts le sont en faveur de Macron.
Tableau 5 - Intentions de vote des proches du PS au second tour de l’élection présidentielle.
Le déni du centre fait partie du patrimoine génétique du Parti socialiste refondé à Épinay en 1971 sur la stratégie de l’union de la gauche. Le mode de scrutin majoritaire poussait à la bipolarisation gauche/droite. Idéologiquement, les seules alliances légitimes ne pouvaient se nouer qu’avec des partis de gauche et d’abord avec le Parti communiste. À Épinay, François Mitterrand s’exclamait ainsi : « La révolution, c'est d'abord une rupture avec l'ordre établi. Celui-qui n'accepte pas cette rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. » Le surmoi marxiste, antérieur à cette refondation, n’a pas disparu des consciences socialistes. Mais l’union de la gauche était possible tant que les gauches pouvaient représenter une majorité de l’électorat et qu’elles souhaitaient s’unir. Or ce n’est plus le cas. En 2017 la moitié de cet électorat a voté pour Macron dès le premier tour, une petite partie préférant Mélenchon. L’union de la gauche, malgré les récentes tentatives, ne peut plus être réanimée.
Dans ces conditions le déni du centre, autrefois tactiquement compréhensible, est aujourd’hui un choix fatal pour le Parti socialiste. Le monde bipolaire a disparu et de nouveaux clivages ont compliqué la structuration de l’électorat. Droite et extrême-droite représentent une bonne moitié de l’électorat et le macronisme un quart. Considérer que le macronisme est une droite ferme toute perspective au PS, face à une droite qui représenterait alors les trois-quarts de l’électorat, de jouer à nouveau un rôle politique. S’il refusait au second tour de faire voter pour Emmanuel Macron, il ne serait pas suivi par une majorité de son électorat. Son destin serait alors scellé.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)