Match Fillon-Macron: thatchérisme versus libéralisme? (2) edit
Comme nous l’avons vu dans le premier volet de cet article, assimiler la droite et le libéralisme n’est pas plus pertinent que d’affirmer que la gauche serait naturellement antilibérale. C’est pourquoi l’audacieux pari politique d’Emmanuel Macron visant à transcender les frontières partisanes traditionnelles ne consiste pas seulement à briser le clivage gauche-droite qui a jusqu’ici structuré la vie politique sous la Ve République, en forgeant une force centrale qui sache agréger tous ceux qui se reconnaissent dans un discours progressiste, européen et libéral, tout en refusant toute forme de repli sur soi (qu’elle soit de nature économique ou culturelle). Cette synthèse suppose une rupture franche avec la double hémiplégie dont souffre de longue date notre classe politique, avec une gauche qui adopte un libéralisme culturel tout en tenant un discours économique anti-libéral, tandis que la droite très fait exactement l’inverse.
En opérant cette mutation intellectuelle, Emmanuel Macron se distinguera clairement du candidat des Républicains François Fillon, dont le conservatisme en matière de mœurs et l’illibéralisme politique (dont témoignent ses récentes attaques contre la justice) sont encore plus flagrants que sa soudaine conversion au thatchérisme économique. De fait, si l’ancien lieutenant du très antilibéral et souverainiste Philippe Séguin a semblé développer un programme radical durant la primaire, c’est largement parce qu’il s’adressait alors à un public très ciblé, sensiblement plus âgé et plus aisé que la moyenne des Français. Si bien qu’à peine désigné, il a dû mettre de l’eau dans son vin, comme on a pu le voir sur la Sécurité sociale. Ce qui, soit dit en passant, augure assez mal de sa capacité à mettre en œuvre son programme s’il venait à être élu – a fortiori depuis que des scandales à répétition ont écorné son image d’homme austère et intègre, apte à faire avaliser par les Français toute une série de mesures que d’aucuns se sont plus à qualifier de « remède de cheval ». Quant à Emmanuel Macron, s’il veut pouvoir rassembler le centre gauche et le centre droit pour se frayer un chemin jusqu’au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, il est contraint d’adopter une prudence de Sioux, faute de quoi tout un pan de la gauche détalerait promptement, comme le troupeau de gazelles à l’approche du lion.
Cela étant dit, il n’est pas si aisé de déterminer lequel des deux programmes est le plus libéral sur le plan strictement économique, dans la mesure où leurs différences sont de nature plus que de degré.
En effet, trois éléments dominent le projet filloniste : sa volonté affirmée haut et fort de diminuer de 500 000 le nombre de fonctionnaires ; son souhait assumé de baisser substantiellement les impôts sur les ménages les plus aisés et sur les entreprises ; et enfin, sa promesse réitérée d’obtenir – à terme – une baisse des déficits publics, via une diminution drastique de la dépense publique. Certes, si ces trois engagements étaient respectés, cela constituerait indéniablement une nette rupture avec la politique de Gribouille de l’ère chiraquo-sarkozienne, faite de demi-mesures assaisonnées de coups d’éclat médiatiques, le tout sur fond de creusement continu des déficits publics. Pour autant, cette cure d’amaigrissement de l’Etat constitue-t-elle l’alpha et l’oméga du libéralisme économique ? Ce dernier ne comporte-t-il pas d’autres variantes ?
À l’évidence, un libéral de gauche – sans condamner le principe même d’une réduction des dépenses publiques et de la fiscalité – répondra que la priorité absolue consiste à rendre la société française plus mobile, plus fluide, plus flexible, et plus ouverte. Pour lui, l’essentiel est en effet de donner sa chance à tous les citoyens (quelles que soient leurs origines), en privilégiant vraiment le mérite et en faisant en sorte que l’audace et la prise de risque l’emportent à l’avenir sur la culture du statut et la stricte défense des avantages acquis. Un libéral de gauche aspire à une société qui donne réellement à chacun les meilleures chances de réaliser son projet de vie (professionnel et personnel). Ce qui suppose plusieurs choses : que l’esprit d’entreprise soit systématiquement encouragé ; que les acteurs puissent inscrire leurs plans dans un cadre législatif et fiscal aussi stable que pondéré (ce qui veut dire que la réglementation ne doit pas être paralysante et la fiscalité asphyxiante) ; qu’aucun obstacle juridique ou social ne vienne contrarier une véritable méritocratie ; que d’éventuelles défaillances du marché puissent être corrigées par la puissance publique, sans que celle-ci prétende pour autant régenter l’économie et la société au nom d’un fallacieux monopole de l’intérêt général, etc.
Bref, le libéral progressiste considère que notre pays a besoin de toute urgence que l’on réhabilite l’esprit d’entreprise, la vertu créatrice et l’envie de réussir, plutôt que de ressasser éternellement les inepties démondialisatrices ou les rituelles antiennes anticapitalistes qui n’ont aucune prise sur la réalité – sans oublier les vieilles recettes protectionnistes, usées jusqu’à la corde. Mais cette libération des énergies doit aussi s’accompagner (c’est en cela que le libéralisme peut être une valeur de gauche) du souci de ne laisser personne sur le bord du chemin. Non pas en développant une culture de l’assistanat mortifère, mais en offrant une seconde chance et surtout une formation adéquate à tous ceux qui, dans l’état actuel des choses, ne parviennent pas à obtenir un vrai travail, qui réponde à une réelle utilité sociale (ce qui, contrairement à ce qu’affirment nombre d’économistes français foncièrement malthusiens, ouvre un champ infini dès lors que les besoins de l’homme sont sans limite). À ce propos, un détail est largement passé inaperçu, alors qu’il a pourtant valeur de symbole : en novembre 2016, Emmanuel Macron a fait sa déclaration de candidature depuis un centre d’apprentissage de la banlieue parisienne. Comment mieux montrer que dans sa vision de l’avenir tout le monde doit enfin avoir sa chance de réussir ? Comment aussi mieux illustrer la nécessité absolue de réhabiliter l’enseignement technique et professionnel, l’une des clés de l’annihilation du chômage de masse français, en sus des rigidités indiscutables de notre marché du travail ? Comment enfin mieux symboliser le fait que lorsque le candidat d’En Marche ! dit vouloir renouveler nos élites, ce projet doit absolument être étendu à toute les sphères de la société française, afin qu’à l’avenir, dans l’entreprise nous sachions mieux mettre en valeur les divers types de talents ; qu’à l’école, nous sachions mieux reconnaître les différentes formes d’intelligences et de compétences ; et que dans nos institutions, nous sachions mieux valoriser la multiplicité des parcours susceptibles d’enrichir l’horizon de nos dirigeants.
Là réside un authentique libéralisme de gauche, plutôt que dans une cure de désintoxication étatiste qui, pour être nécessaire, ne saurait se limiter à une baisse de la fiscalité sur les plus hauts revenus et à un dégraissage aveugle de la fonction publique ; le tout mâtiné de conservatisme culturel et de retour au souverainisme. Ce libéralisme de droite proposé par François Fillon est une forme de thatchérisme français. À Emmanuel Macron de prouver qu’il peut incarner une autre vision du libéralisme ; plus sociale, plus ouverte, plus européenne, et plus progressiste.
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