Pourquoi il faut repenser le lien entre présidentielle et législatives edit
Dans l’architecture actuelle du quinquennat, la proportionnelle ne parviendrait pas à elle seule à revivifier la démocratie parlementaire : c’est d’abord l’articulation entre les élections présidentielles et législatives qui doit être profondément revue, pour ne plus faire de l’une la confirmation de l’autre.
Dans la situation actuelle – et à moins d’instaurer une prime majoritaire qui en réduirait fortement la portée représentative – l’instauration de la proportionnelle créerait nécessairement une concurrence de légitimité entre le Président et sa majorité. L’un serait élu sur un seul programme, quand l’autre serait une coalition et un compromis entre plusieurs partis, validé par les électeurs après le premier, mais probablement avec une participation moindre. Sans parler du risque d’une cohabitation ou d’un Parlement bloqué un mois après la présidentielle. Il n’y a pas ce conflit de légitimité au Portugal ou en Autriche alors que le Président y est élu au suffrage universel direct : ce sont des présidents dont les responsabilités politiques restent à peine plus étoffées que dans une république parlementaire « pure » comme l’Allemagne ou l’Italie. D’ailleurs, les électeurs choisissent une personnalité et non pas un programme, acceptant parfois d’élire des personnalités indépendantes et relativement apolitiques. Ce n’est évidemment pas le cas en France, où on choisit des présidents sur un programme électoral. De même, on voit mal la France adopter des coalitions à géométrie variable entre les niveaux locaux et nationaux, vu la forte tradition bipartite et « bloc contre bloc »[1]. En Allemagne il est parfaitement admis que deux partis puissent gouverner ensemble au niveau fédéral en étant opposés au niveau local ; en France on ne peut pas être allié et adversaire à la fois. L’approche de n’importe quelle élection locale – et plus particulièrement de la présidentielle – risquerait de pousser chaque parti de la coalition de gouvernement à le critiquer ou le quitter, pour marquer leur différence et exister médiatiquement.
Proportionnelle ou pas, il est en fait impossible de revivifier la démocratie représentative sans changer l’articulation présidentielle-législative. On pourrait certes rêver de revenir sur l’élection présidentielle au suffrage universel direct, mais cela semble peu réaliste. Dans la logique de la Ve, l’élection présidentielle choisit un homme, alors que le programme de gouvernement doit se décider lors des législatives ; mais depuis les 110 propositions de Mitterrand en 1981, les élections présidentielles sont devenues le lieu de toutes les promesses de campagne, réduisant les législatives à de la figuration. On voit difficilement comment le Conseil constitutionnel pourrait forcer les candidats à la présidentielle à ne pas parler de programme ni prendre d’engagements, tant l’habitude est ancrée dans les esprits.
C’est probablement des États-Unis que l’on pourrait s’inspirer pour rendre sa légitimité au Parlement, tout en gardant un rôle majeur pour le chef de l’État. Il faudrait pour cela raccourcir le mandat des députés, et faire coïncider les élections présidentielles et législatives durant les années présidentielles. Le raccourcissement des mandats d’abord. Pour que les députés regagnent en légitimité propre, ils ne peuvent pas être toujours élu sur une vague présidentielle : il faut recréer des midterms à l’américaine. Une solution serait de garder le quinquennat présidentiel, et de le faire coïncider avec deux mandats législatifs de deux ans et demi (ou trois + deux ans). Certes cela ferait des mandats législatifs courts, presqu’autant qu’aux Etats-Unis, contre plutôt quatre ans en général chez nos voisins européens[2]. Mais on peut considérer que dans un pays aussi versatile que la France, le mandat du ciel ne dure pas cinq ans. On pourrait dire que l’amour dure trois ans en politique, surtout en cas de coalition : au-delà, l’imprévu et la nouveauté finiront toujours par dépasser le mandat initial et rendre caduc tout accord de partis. Plutôt que de faire des diverses élections européennes et locales des faux midterms avec des enjeux imprécis, autant avoir des vrais midterms tous les trois ans, et pas tous les ans. Ce qui donnerait aux électeurs l’occasion de voter pour une politique, et non simplement contre un gouvernement qu’ils ne peuvent changer.
Mais puisque cela nécessiterait probablement des changements constitutionnels ou organiques, autant aller plus loin, et porter le mandat présidentiel à six ans, coïncidant avec deux mandats législatifs de trois ans. Les élections locales pour des mandats de six ans pourraient alors avoir lieu en même temps que ces midterms, comme les élections des gouverneurs dans de nombreux états fédérés américains. Un parti au pouvoir aurait donc un mandat clair pour trois ans sans élection intermédiaire (sauf des partielles ou les européennes), qu’il remettrait en jeu complètement après trois ans. Autre avantage de synchroniser les calendriers : il sera plus difficile de profiter d’un mandat local pour faire une campagne législative ou briguer un autre mandat local : il faudra choisir de concourir, à un seul mandat possible.
La simultanéité des élections ensuite. Pour que les législatives aient un quelconque intérêt, elles ne doivent pas être le troisième et le quatrième tour d’une élection présidentielle déjà décidée. Les élections législatives – au scrutin majoritaire ou mixte majoritaire-proportionnel – pourraient donc coïncider avec les élections présidentielles, idéalement avec au moins un mois entre les deux tours de scrutin. Ainsi, même si chaque parti et chaque candidat faisait campagne séparément, avec son propre programme, les finalistes de la présidentielle auraient une forte incitation à chercher des alliés pour le second tour. L’intervalle de temps entre les deux tours permettrait alors de renégocier des programmes de coalition et des accords de liste. Un finaliste de la présidentielle aurait toujours la possibilité de faire cavalier seul, mais trouver des alliances serait dans son intérêt. Les programmes de gouvernement seraient représentatifs de davantage d’électeurs, offrant un mandat plus large au Président et à sa majorité.
Cette simultanéité renforcerait puissamment la légitimité du Parlement face au Président, avec une résolution de la querelle du filioque de la Ve République : la légitimité politique procéderait à la fois du Président et du Parlement, sans qu’une élection soit autant précédée et marginalisée par l’autre. Cela pourrait s’accompagner d’une dose importante de proportionnelle pour développer le pluralisme et les coalitions, mais ces derniers seraient de toute façon favorisés, même en gardant le scrutin majoritaire actuel. Dès lors qu’un président construirait sa majorité entre les deux tours, il ne serait pas encore tout-puissant, et il bénéficierait moins de l’abstention différentielle actuelle entre le parti présidentiel et les autres aux législatives. Ses alliés seraient tenus par leur accord de majorité signé ; ils ne pourraient pas prétendre l’avoir accepté le couteau sous la gorge, pour ensuite s’en dédire.
Avec de telles réformes, on pourrait d’ailleurs en finir avec le système des suppléants, dès lors que la logique des accords de coalition serait pleinement mise en œuvre. Les parlementaires nommés au Gouvernement continueraient de siéger au Parlement, excepté peut-être quelques ministres régaliens qui pourraient vouloir en démissionner – une poignée de législatives partielles ne serait pas un drame. L’augmentation du nombre de parlementaires-ministres permettrait une meilleure collaboration entre l’exécutif et le législatif, ainsi qu’un contrôle politique plus effectif des administrations[3]. Mais on en finirait aussi avec cette habitude grotesque des parlementaires en mission, qui ne servent qu’à transmettre le siège à leur suppléant, comme un droit de propriété, sans passer devant les électeurs.
[1] Sous la Ve République, l’autonomie centriste a réussi à survivre jusqu’aux municipales de 1977 : en ne soutenant pas trop directement les gaullistes, le CDS de Lecanuet et une partie de la droite antigaulliste ont pu conserver pendant longtemps des alliances locales avec certains socialistes anticommunistes. L’élection de Giscard en 1974 et le Programme Commun PS-PCF pour les législatives de 1978 ont fini d’arrimer le centre avec la droite et le PS avec les communistes. A Marseille le centriste Jean-Claude Gaudin fit partie de la coalition sociale-centriste de Gaston Deferre entre 1965 et 1977, quand ce dernier se rallia à l’Union de la Gauche avec les communistes.
[2] Le Royaume-Uni fait figure d’exception, puisque le Fixed Term Parliament Act de 2011 visait à empêcher un Premier Ministre de provoquer des élections anticipées à sa convenance, pour que les mandatures durent 5 ans. Ce principe a été mis de côté après à peine 6 ans : Theresa May (2017) et Boris Johnson (2019) ont chacun provoqué des élections anticipées après à peine 2 ans, pour obtenir un nouveau mandat pour leur deal avec l’UE.
[3] Ces ministres juniors ne siègeraient pas au conseil des ministres, resteraient payés par leur assemblée, et n’auraient pas le « train de vie de ministre » – logement, chauffeur et collaborateurs – des ministres principaux. Sous la dépendance étroite de leur ministre de tutelle, ils permettraient à ce dernier de se délester de certaines décisions subalternes mais néanmoins politiques, que l’administration n’a pas la légitimité à prendre elle-même. Voir un précédent billet qui revenait sur le fonctionnement de ces ministres parlementaires au Royaume-Uni.
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